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Monde - Éclairage

Au Maghreb, l’exception marocaine sur la question palestinienne

Si la normalisation des relations entre le royaume et Israël reste improbable, Rabat semble avoir intérêt à ménager son allié américain sur ce dossier.


Dans les rues de Rabat, des milliers de Marocains manifestaient dimanche contre le plan de paix américain pour le Proche-Orient. Fadel Senna/AFP

Le 29 janvier dernier, le président américain Donald Trump dévoilait enfin son plan de paix pour le Proche-Orient, qui satisfait toutes les demandes israéliennes. Le même jour, le site français Intelligence Online révélait que le Maroc a acheté des drones Heron de l’Israel Aerospace Industries, l’entreprise israélienne de construction aéronautique, pour un montant de 48 millions de dollars. Ces avions sans pilote serviraient notamment, selon les médias israéliens, à traquer des groupes hostiles à Rabat dans les zones désertiques du Sahara occidental. L’information a été rapidement démentie par le site FAR-Maroc, proche des Forces armées royales, qui y voit « des manœuvres ayant pour but de ternir l’image du Maroc dans cette phase sensible » pour la cause palestinienne.

Quelques jours plus tard, le 3 février, c’est le site d’information américain Axios qui dévoilait qu’Israël et les États-Unis ont discuté d’un accord trilatéral qui impliquerait une reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental – un territoire disputé par le Maroc et les indépendantistes sahraouis, et dont le statut n’est toujours pas défini par l’ONU – en contrepartie de quoi Rabat devrait prendre des mesures effectives pour normaliser ses relations avec l’État hébreu et soutenir le « plan du siècle », rejeté par les Palestiniens et par la Ligue arabe. « Ces rumeurs surviennent dans un timing opportun et ont pour but de servir l’agenda du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. En perte de vitesse dans les sondages et en perte de popularité à cause de son implication avérée dans des affaires de corruption, ce dernier cherche à dévier l’attention de l’opinion publique israélienne en se faisant passer pour un leader qui a été capable de mettre fin à l’isolement d’Israël à l’échelle régionale et internationale et qui a normalisé ses relations avec des pays arabes », explique Samir Bennis, spécialiste de la diplomatie marocaine, contacté par L’Orient-Le Jour.

Les relations israélo-marocaines ont toujours été niées par le royaume chérifien alors que la cause palestinienne est encore une question taboue dans le monde arabe, particulièrement au Maghreb. Le deal du siècle a suscité de fortes réactions à Alger comme à Tunis. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et son homologue tunisien Kais Saied, en visite officielle dans le pays le 2 février, ont martelé leur convergence « totale et absolue sur tous les plans » affirmant leur attachement à un État palestinien indépendant, sur la base des frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale. Le président tunisien a d’ailleurs estimé que « la normalisation avec l’entité sioniste est un crime ».

Le Maroc s’est distingué de ses voisins par des réactions plus mitigées. Rabat a salué « des efforts constructifs » de la part de l’administration Trump tout en rappelant sa position sur le processus de paix au Proche-Orient. Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a réaffirmé le statut de Jérusalem, dont le roi préside le Comité al-Qods, qui œuvre pour la libération de Jérusalem-Est. Une manière de rappeler la position du royaume sans avoir à froisser l’allié américain. Jared Kushner, gendre et conseiller de Donald Trump, à l’origine du deal du siècle, s’est rendu à deux reprises au Maroc en 2019 pour promouvoir son plan.

Washington aurait tenté en décembre 2019 – selon la chaîne israélienne Channel 13 – de convaincre les Émirats arabes unis, le Bahreïn, Oman et le Maroc de signer un pacte de non-agression avec Israël. Ces mêmes pays qui, à l’exception du Maroc, ont participé un mois plus tard, le 28 janvier, à la cérémonie pour la présentation du deal du siècle à la Maison-Blanche.

« Non à la normalisation »

Le Maroc a une relation particulière avec l’État hébreu par rapport aux autres pays du Maghreb, en raison notamment de la communauté juive forte de plusieurs centaines de milliers d’individus qui y vivaient jusqu’à la création d’Israël en 1948. En 1994, un bureau de liaison était ouvert entre Rabat et Tel-Aviv mais en 2000 le roi Hassan II annonce la rupture de toutes les relations diplomatiques entre les deux pays. Les Israéliens peuvent néanmoins visiter le pays (en moyenne 50 000 israéliens visitent le royaume chaque année selon le journal marocain Hespress), ce qui reste une exception dans le monde arabe. « Il ne fait pas de doute que les échanges de renseignements existent entre les deux pays. Mais, pour le pouvoir marocain, avoir Israël a ses côtés est un atout majeur sur le plan du renseignement, de la sécurité du royaume, mais aussi sur le plan politique, au sein du Congrès américain », estime pour L’Orient-Le Jour Yahia H. Zoubir, directeur de recherche en géopolitique à KEDGE Business School à Marseille.

Selon le site Middle East Eye, proche du Qatar, des échanges commerciaux entre les deux pays s’éléveraient à 149 millions de dollars entre 2014 et 2017. De son côté, Times of Israël affirme en 2018 que le Maroc est le premier pays d’Afrique vers qui Israël investit et le 4e pays du continent à partir duquel il importe, des statistiques que le royaume tente de ne pas exposer officiellement dans ses comptes. « Dans les années 1970, Israël fournissait déjà de l’armement lourd au Maroc. Les Israéliens avaient aussi fourni du matériel électronique pour les murs autour du « Sahara utile » afin d’empêcher les forces armées sahraouies d’attaquer les forces armées marocaines », affirme M. Zoubir. La normalisation des relations entre les deux pays apparaît toutefois encore improbable. Outre que cela risquerait d’isoler le Maroc par rapport aux autres pays du monde arabe, cela pourrait heurter une partie de la population pour qui la cause palestinienne reste primordiale. Preuve en est, des milliers de Marocains ont manifesté dimanche aux cris de « Vive la Palestine » et en scandant « Non à la normalisation », « Non au soutien à l’entité sioniste ».

Le 29 janvier dernier, le président américain Donald Trump dévoilait enfin son plan de paix pour le Proche-Orient, qui satisfait toutes les demandes israéliennes. Le même jour, le site français Intelligence Online révélait que le Maroc a acheté des drones Heron de l’Israel Aerospace Industries, l’entreprise israélienne de construction aéronautique, pour un montant de 48 millions de...
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