Pour assumer sa responsabilité citoyenne, l’Université pour tous de Beyrouth a mis en place dans ses locaux, depuis le 18 novembre 2019, des agoras ouvertes à tous, pour discuter de sujets autour de l’actualité du pays dans différentes disciplines : politique, philosophie, arts, psychologie, sociologie, médias et information, anthropologie, etc. De par sa définition, une agora est la place publique dans les cités grecques, qui servait pour certains actes civils et politiques. Une dizaine de débats ont eu lieu devant un large public, dans le but de réfléchir à une « meilleure » responsabilité citoyenne et éthique.
La série des agoras a été inaugurée par le Pr Gérard Bejjani, directeur de l’Université pour tous, qui a eu l’initiative de ces rencontres hebdomadaires. Le Pr Bejjani a débattu avec plus de 50 auditeurs autour de la responsabilité à travers 7 concepts : la responsabilité citoyenne, morale, chrétienne, privée, intellectuelle, sociale et éthique, telles qu’expliquées par les grands humanistes. Ont suivi des rencontres abordant des sujets politiques et économiques à la une des événements que connaît le pays. Pour répondre aux importantes questions du public, l’Université pour tous a fait appel à des spécialistes du sujet. Sami Nader, économiste et enseignant des relations internationales à l’Université Saint-Joseph, a essayé d’apporter des solutions, dans le contexte de révolution, pour une sortie de crise selon son expertise. L’avocat Georges Assaf a traité de la problématique de la sécularisation du système politique libanais en proposant des moyens sûrs concernant la bipolarisation de la société libanaise, l’identité communautaire et les tentatives de dépassement par les tenants de la laïcité. Maître Nizar Saghieh a, quant à lui, avancé ses arguments face à la question récurrente : l’impératif d’une justice libanaise indépendante (لماذا نريد قضاءً مستقلاً ؟).
Outre les interrogations économiques et politiques, l’Université pour tous a consacré des débats autour de sujets psychologiques afin d’éviter les séquelles en temps de crise. Dr Boutros Ghanem a centré les débats autour du passage de la figure du père imaginaire à celle du père symbolique, tel qu’imposée par la révolution. Ghada Najjar a mené un atelier de soutien psychologique où chaque auditeur a pu partager ses craintes, et chacun a aidé l’autre à voir au-delà de ses peurs. De son côté, la Pr Marie-Thérèse Khair Badawi a réfléchi à la possibilité d’échapper enfin à la répétition du traumatisme engendré par les précédentes guerres; une occasion aujourd’hui possible grâce à la réaction sans précédent du peuple libanais qui passe enfin au statut actif et revendique ses droits dans la rue et à travers les réseaux sociaux. Internet est devenu l’agora première du peuple qui en profite pour y partager ses craintes, ses questionnements, ses créations artistiques, et pour tenter, tant bien que mal, de traverser ses jours d’angoisse avec une touche d’humour. Naji Boulos a d’ailleurs discuté avec le public du sujet d’internet et des réseaux sociaux comme rampe de participation citoyenne. L’Université pour tous a également reçu le photographe Élie Bekhazi pour une rencontre autour de l’évolution de la révolution à travers la photographie où il a partagé avec le public ses photos du terrain, toutes symboles d’événements majeurs de la crise. Il a également abordé la notion de fake news qui se propagent viralement en un clic : comment repérer les fake news, comment réagir et arrêter la propagation des rumeurs.
Et l’homme au cœur des débats? Pour le père Ramzi Jreige, la plus grande révolution qui a lieu en ces temps, c’est une révolution à la source de l’humain, dans l’âme même du Libanais ; et si nous espérons vivre un changement au Liban, c’est bien au fond de soi qu’il faudrait aller le chercher. Une notion humaine qui rejoint la vision du père Gabriel Khairallah. À la question « comment réagir face à la révolution ? », le père Khairallah nous ramène au fondement de l’homme : écouter les douleurs d’autrui et tendre la main à son prochain en ces moments de détresse, mais en même temps d’espérance.
On ne peut évoquer l’aspect humain sans penser aux personnes qui ont mené des actions signifiantes sur le terrain depuis le début de la révolution. L’Université pour tous a donné la parole à des hommes et des femmes engagés dans la rue qui ont témoigné des 40 jours passés dans les différentes manifestations aux quatre coins du pays. Une discussion menée par Sélim Mourad avec Perla-Joe Maalouli, Élie Rahmé et Jihad Saadé. Toujours parmi les témoins du terrain, l’Université pour tous a reçu Julie Tegho, l’une des organisatrices de la chaîne humaine qui a uni les Libanais du Nord au Sud. Julie a partagé avec les auditeurs les coulisses de l’organisation de la chaîne, entre difficultés et réussite inattendue. Une chaîne humaine qui a fait la une de la presse internationale.
Et enfin, nous n’oublions pas les femmes de la révolution. Ces mères, épouses, sœurs, filles qui rendent fier tout un peuple par leur force. Des femmes présentes dans les rues depuis la première heure. Des femmes qui s’imposent, qui crient haut et fort leurs demandes, qui calment les plus violents comme elles seules savent le faire. L’Université pour tous a tenu à rendre hommage à ces femmes qui tiennent entre leurs mains le salut du Liban, lors d’une agora tenue par Ziyad Makhoul.
Les agoras de l’Université pour tous continuent, tant qu’il y a de l’espoir à donner et tant qu’il y a révolte, en nous rappelant cette parole de Gebran Khalil Gebran : « Toute lutte dans la vie n’est que chaos qui aspire à l’ordre. » En nous souvenant, aussi, de cette phrase d’André Gide : « Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis. »
Janine BADRO
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