Des livres syriennes et des dollars. Photo d'archives Reuters
Le régime syrien semble bien désarmé face à la crise économique qui ronge le pays. Alors que la livre syrienne atteint des taux record de baisse, les autorités ont durci samedi les sanctions contre l’usage de devises étrangères dans les transactions courantes et commerciales. La mesure, révélée par l’agence syrienne SANA, a été entérinée par un décret législatif du président syrien Bachar el-Assad qui amende un précédent texte publié six ans plus tôt. Selon le nouveau texte, les personnes « utilisant des devises étrangères ou des métaux précieux » dans leurs transactions encourent désormais une peine de « travaux forcés d’au moins sept ans », alors que le précédent décret prévoyait une peine de prison pouvant aller de six mois à trois ans.
La réglementation syrienne inflige en outre une amende équivalente au « double » de la valeur de la transaction prise dans son ensemble, et non simplement sa contrepartie en numéraire. Elle permet au tribunal de confisquer tous les éléments inclus dans l’opération au profit de la Banque centrale de Syrie. Le régime a également promulgué un décret renforçant les sanctions (prison et amende) à l’encontre « de toute personne propageant des faits falsifiés ou des allégations mensongères ou illusoires en vue de provoquer une baisse ou une instabilité de la monnaie nationale ou de son cours sur le marché des changes ». Des peines qui paraissent absurdes dans le contexte actuel et qui donnent le sentiment que Damas n’a pas d’autres moyens de contrer la crise que de brandir le bâton contre la population.
« Ce décret est plus un effet d’annonce qu’autre chose, face à la grogne ambiante, le régime veut montrer qu’il “fait quelque chose” », estime Joseph Daher, opposant syrien, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne et professeur affilié à l’Institut universitaire européen de Florence. Une mesure d’autant plus aberrante que les compagnies de change en Syrie sont « liées de près ou de loin au régime », assure le chercheur.
Ces annonces interviennent dans une tentative désespérée de protéger la monnaie nationale qui a subi une forte dépréciation ces dernières semaines, tombant à son plus bas historique sur le marché noir, 1 200 livres pour un dollar, soit près de trois fois le taux officiel affiché sur le site de la Banque centrale (434 livres syriennes pour un dollar). Avant le début de la guerre en Syrie en 2011, le dollar s’échangeait à 48 livres syriennes au taux officiel. Peu après l’annonce de cette mesure, la livre syrienne est très légèrement remontée hier, passant à 1 150 LS pour 1 dollar.
(Lire aussi : Durcissement des sanctions, en Syrie, contre l'usage des devises étrangères)
Colère et frustration
En raison de la guerre, l’économie syrienne a été marquée par une forte baisse de la production et des destructions massives au niveau des infrastructures, tandis que les sanctions économiques internationales qui ont ciblé les secteurs bancaire et pétrolier ont largement fragilisé le pays.
La colère gagne depuis de nombreux mois les grandes villes du pays sous contrôle du régime, la population ne parvenant pas à sortir la tête de l’eau, après neuf années de guerre. La dépréciation et la mauvaise situation économique ont provoqué un bond des prix sur le marché, y compris des produits alimentaires de base, poussant les autorités à annoncer il y a quelques jours la mise en place, à partir de février, d’un système de rationnement de certains biens de première nécessité (sucre, riz, lait). Des pénuries d’eau, d’électricité, de carburant et d’autres dérivés pétroliers dans les zones sous le contrôle des autorités ont été constatées à travers le pays. À Damas, « le coût de la vie a atteint en 2019 de nouveaux records, avec un montant estimé à 400 000 LS par mois pour une famille de cinq personnes, alors qu’en 2016, 175 000 LS étaient nécessaires », écrit Joseph Daher, dans un rapport datant du 16 décembre dernier, intitulé Les racines profondes de la dépréciation de la livre syrienne (EUI). Les estimations pour 2020 seraient encore pires, puisque le coût de la vie pourrait atteindre 480 000 LS, ce qui signifie que le salaire mensuel moyen de 60 000 LS ne couvrirait que 12,5 % des besoins d’une famille.
Jeudi dernier, des manifestations contre la cherté de vie ont éclaté dans la province de Soueida, au sud de Damas, sous le slogan « On veut vivre ». Sur les réseaux sociaux, des voix prorégime s’élèvent pour dénoncer la corruption et une mauvaise gestion des finances de l’État. « Pourquoi faudrait-il rentrer au pays », se demande un activiste présenté sur Twitter comme un pro-Assad. « Pour humilier les gens qui doivent faire la queue pendant dix heures pour avoir une bonbonne de gaz ? » dit-il dans une vidéo. « Vous nous rendez esclaves des mafias qui ont pris en otage ce pays », dénonce l’activiste.
Le gouvernement syrien a mis en place une série de mesures afin de contrôler les prix de vente auprès des petits commerçants. Une démarche qui a exacerbé la frustration de la population, qui accuse le régime de ne pas s’attaquer aux gros poissons. Le durcissement des sanctions contre ceux qui utilisent des devises étrangères accentue davantage la méfiance de la part des investisseurs locaux. « J’ai arrêté de travailler en Syrie depuis six mois car le risque est énorme et la devise locale est instable », confie sous couvert d’anonymat un businessman alépin résidant au Liban.
En raison des sanctions occidentales imposées à la Syrie, le secteur commercial et notamment les importateurs sont devenus de plus en plus dépendants du Liban voisin et de son système bancaire pour poursuivre leurs activités. Mais ces derniers mois, les banques libanaises ont imposé des restrictions draconiennes sur l’obtention de dollars, dans un contexte de crise économique et de contestation populaire inédite. Début décembre, Mohammad al-Hallak, membre de la Chambre de commerce de Damas, estimait que la situation au Liban est « l’une des principales causes des variations de la valeur de la monnaie nationale ». Selon le Financial Times, 80 % des grandes fortunes syriennes conservaient leur argent dans des banques libanaises. Si la crise libanaise a certes eu un impact important sur le marché syrien, des causes plus structurelles sont à prendre en considération.
Cette situation de crise ne risque pas de s’améliorer, puisque les États-Unis ont adopté en décembre une série de nouvelles sanctions contre le pouvoir syrien, d’une dureté et d’une ampleur sans précédent. La loi dite « César », en référence au célèbre ex-photographe de la police militaire syrienne qui s’est enfui de Syrie en 2013, emportant 55 000 photographies de corps torturés, permettra de sanctionner toute entreprise internationale qui investit dans les secteurs de l’énergie, de l’aviation, de la construction ou de l’ingénierie en Syrie, ainsi que toute personne qui prête de l’argent au régime.
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Depuis 1982 Hassan Nasrallah essaye de nous promouvoir les bienfaits socio-économiques de l'Iran et Bassil dernièrement nous a donné une leçon d’économie sur le comment gérer un état sans budget s’adressant a Donald Trump. L'Iran dépérit depuis 70 ans dans la misère et l’instabilité la plus totale a tous les niveaux économique, sociaux et politiques. La Syrie, autre exemple de certains imbéciles locaux, idem, alors que Trump a conduit son pays a une prospérité que les USA n'ont pas eu depuis 1945! Faites vos choix Libanais! Une belle et bonne misère men ka3b el dest comme en Iran ou en Syrie ou une prospérité de merde comme aux USA!?
Pierre Hadjigeorgiou
15 h 05, le 20 janvier 2020