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Idées - Point de vue

Passer de la contestation à l’alternance politique

Photo d'illustration : des manifestants bloquant les routes du Parlement, le 19 novembre 2019. Ahmad Azakir

Plus d’un mois et demi après le début de la révolte populaire, la grande question qui se pose est de savoir comment elle va évoluer et quelles sont les actions nécessaires pour sortir le plus vite possible de la crise politique, économique et sociale.

Alors que la plupart des analyses se concentrent sur les événements des prochains mois dans l’espoir qu’un nouveau miracle sauverait l’exception libanaise, il me semble important d'anticiper plusieurs évolutions probables dans les 5 à 10 prochaines années pour pouvoir les influencer.

Nous sommes en effet dans une phase de transition entre un système politique à bout de souffle et un nouveau système qui n’a pas encore émergé. Dans ce contexte, les partis au pouvoir vont utiliser jusqu’au dernier moment leurs outils traditionnels de division et d’intimidation tout en se déchargeant de leur responsabilité en désignant des boucs émissaires de la crise. Mais la paralysie du régime face aux demandes de la population et aux impératifs de gestion de la crise va continuer à nourrir les rangs des manifestants et alimenter une instabilité sociale qui finira par balayer ce qui reste de ce système sclérosé. Malheureusement, la révolte populaire n’est pas encore organisée pour offrir une alternative crédible au pouvoir.

Le passage du système actuel à un nouveau système politique plus efficace et plus juste dépend donc en grande partie de la réponse que va apporter la rue à la question suivante: veut-elle rester un mouvement de contestation ou se transformer en une force politique d’alternance ? Le choix du Bloc National est de participer à cette transformation, mais elle nécessite l’implication de nombreux acteurs sociaux et politiques.

Sauter deux générations

Les jeunes sont les héros de la révolution et doivent par conséquent se préparer à entrer dans l’arène politique même s’ils abhorrent ce monde synonyme de corruption et d’ambition destructrice. Car changer le Liban passe par un changement générationnel. Or la génération de la guerre, celle qui a actuellement entre 40 et 60 ans, a majoritairement soutenu pendant 3 décennies une classe politique qui a dilapidé les richesses du pays et démembré l’État. C’est la raison pour laquelle il faut sauter 2 générations et préparer la prise de pouvoir des jeune de la génération Y (qui ont entre 20 et 40 ans aujourd'hui). Le rôle de la génération de la guerre doit être d’accompagner cette transition et d’identifier les jeunes qui ont le potentiel et les valeurs nécessaires pour les aider, les conseiller et les soutenir.

S’il est vrai que la crise sociale va provoquer des manifestations spontanées de temps à autre qu’il est impossible de prévoir ou de canaliser, il faut éviter à tout prix le glissement vers la violence que certains partis encouragent avec leurs discours de lutte des classes. L’incitation à la violence sociale est aussi grave que l’incitation à la violence religieuse.

Mais la pérennité du changement ne viendra que si les individus et les mouvements politiques qui soutiennent la révolte populaire coordonnent leurs actions et s’organisent. Il semblerait que cela puisse se faire en 2 phases. Dans une première phase, former un front d’opposition national et laïque qui rassemble une majorité d’organisations et d’individus qui ont soutenu la révolte. Ce front doit avoir un programme commun face aux partis confessionnels. Ce programme commun doit commencer à apporter des réponses concrètes aux questions les plus épineuses comme celles de la déconfessionnalisation, de la loi électorale et la question de la stratégie de défense. Dans une seconde phase, de nouveaux partis doivent émerger et prouver qu’ils sont une alternative crédible aux partis traditionnels aussi bien par leurs qualités morales que par la taille de leur base électorale et leur organisation. Ce processus de transformation va prendre plusieurs années et verra la coexistence des partis traditionnels et des nouveaux partis multiconfessionnels, ce qui rendra nécessaire la mise en place d’un mécanisme de négociation comme l’a fait la Tunisie pendant sa révolution. Ces négociations pourraient être menées par une petite délégation composée de chefs d’organisations syndicales indépendantes.

De la trahison des élites à leur prise de conscience

L’élite économique et sociale actuelle a été au mieux passive et au pire complice et bénéficiaire de la classe politique dans sa destruction systématique des richesses du pays. Ce faisant, elle a fait preuve d’un manque de discernement en pensant que cette fuite en avant pouvait s’éterniser.

Certaines personnalités du monde politique et des affaires continuent de penser qu’il est possible de sauver le modèle économique libanais par certains ajustements, quelques réformes et des aides internationales. Ils ne réalisent pas qu’« on ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a génère ce problème. » (Einstein)

Au risque de les décevoir, le modèle économique d’après-guerre est mort. Car vivre au-dessus de ses moyens n’est pas un miracle, c’est une illusion. Et la période qui s’annonce a deux leitmotivs. D’abord, l’austérité : celle des chefs de partis qui doivent renoncer à toutes leurs sources de revenus liés à l’État, ce qui permettrait de réduire en soi une partie du déficit budgétaire. Mais il restera malgré cela un lourd fardeau que doit porter le secteur privé et en priorité les banques commerciales et les grandes entreprises. L’État et sa fonction publique devront ensuite revenir à une taille qui soit conforme à la taille de notre économie. Les citoyens devront enfin réduire l’achat de produits importés et souffriront malheureusement d’une baisse de leur pouvoir d’achat lié aux fluctuations de la livre libanaise. Sans parler de leurs économies que les politiques budgétaire et monétaire irresponsables risquent de remettre en cause. Ensuite, l’orientation vers une économie créatrice d’emplois : il s’agira de créer 40 000 emplois par an, alors que l’économie en détruit autant chaque année depuis plusieurs années, et donc de détourner les investissements vers des secteurs délaissés mais potentiellement créateurs d’emplois, en particulier l’agriculture et l’industrie. Il s'agira également de développer les zones rurales dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire. En deux mots, de construire une économie au service des citoyens, pas seulement de la classe dirigeante. Car il est dans l’intérêt bien compris des acteurs économiques de promouvoir une stabilité sociale indispensable à tout développement futur.

Occasion historique

Le rôle des émigrés a été primordial pour maintenir le niveau de vie de leurs familles en l’absence d’un État de droit. Il a aussi permis dans une grande mesure de financer le déficit de l’État et celui de la balance des paiements. Les flux financiers massifs des émigres ont créé une dépendance similaire aux flux pétroliers dans les pays producteurs de pétrole. Or il est aujourd’hui nécessaire que les émigrés participent au redressement du pays non seulement à travers leur solidarité financière mais à travers leur implication directe ou indirecte dans la vie politique libanaise. Certaines initiatives dont Kulluna Irada, une ONG financée par des citoyens libanais résidents ou de la diaspora et militant pour la réforme politique, la transparence et la redevabilité des responsables, sont très encourageantes. Mais ces organisations doivent aller au-delà du travail associatif et assumer pleinement leur rôle politique.

Les partis traditionnels auront encore pour quelques années la main mise sur les principaux rouages de l’État. C’est à eux que va revenir la gestion de la crise du moins pendant ces premières années. Ils ont deux approches possibles. La première consiste à gérer la crise de manière à en réduire l’impact et la durée selon les meilleures méthodes et pratiques internationales de gestion des crises. Cela commence par reconnaître leur responsabilité et assumer les sacrifices que cela demandera à toutes les composantes de la société libanaise en commençant par montrer l’exemple. Il faudra ensuite faire un plan de redressement crédible et adapté à la situation qui permettra d’obtenir des financements internationaux à des conditions avantageuses. Les tensions politiques actuelles et le début d’une chasse aux sorcières entre les principaux acteurs économiques et politiques laisse présager la poursuite de la politique de fuite en avant. Il faut espérer que le prochain gouvernement réagisse différemment. La seconde approche reviendrait à le modèle vénézuélien, en conflit ouvert avec la communauté internationale depuis plusieurs années. Sa politique anti-impérialiste séduit certains acteurs politiques locaux et c’est aujourd’hui un scenario probable. Il faut néanmoins qu’ils soient conscients du prix humain et social d’une telle politique. Le Venezuela qui est un des pays les plus riches du monde en ressources naturelles est aujourd’hui un des pays les plus pauvres. La corruption, la violence et la pauvreté y atteignent des records. Un chiffre résume bien la situation : la Grèce au pic de sa crise a perdu 25 % de son PNB, le Venezuela en a perdu 65 %.

Les défis auxquels fait face le Liban sont d’une telle ampleur qu’il est difficile d’imaginer à quoi va ressembler notre pays dans 5 ans. Ces défis offrent en même temps une occasion historique de renouveler un régime qui ne fonctionne plus et une classe politique dont l’héritage humain, financier et écologique est désastreux. Le Liban dont rêve les jeunes est à portée de leurs mains s’ils décident de s’organiser dans les années qui viennent et s’ils démontrent de plus grandes qualités que leurs aînés aussi bien au niveau des valeurs morales que du travail d’équipe et du rejet de la violence et du confessionnalisme.

Par Robert Fadel

Ancien député de Tripoli et membre du Bloc National.

Plus d’un mois et demi après le début de la révolte populaire, la grande question qui se pose est de savoir comment elle va évoluer et quelles sont les actions nécessaires pour sortir le plus vite possible de la crise politique, économique et sociale.Alors que la plupart des analyses se concentrent sur les événements des prochains mois dans l’espoir qu’un nouveau miracle sauverait...

commentaires (6)

Savoir au juste la quantité d'avenir que l'on peut introduire dans le présent, c'est là tout le secret d'une bonne gouvernance.

EL CHOUEIFATI Georges

17 h 38, le 02 décembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Savoir au juste la quantité d'avenir que l'on peut introduire dans le présent, c'est là tout le secret d'une bonne gouvernance.

    EL CHOUEIFATI Georges

    17 h 38, le 02 décembre 2019

  • Savoir exactement la quantité d’avenir que l’on peut introduire dans le présent, c’est là le secret d’une bonne gouvernance..

    EL CHOUEIFATI Georges

    17 h 28, le 02 décembre 2019

  • tout seraIT possible , tout serait accompli ! RESTE UN HIC, ET DE TAILLE : DEVOIR ENCORE ATTENDRE LE BON VOULOIR DES CHENAPANS QUI ONT VOLE LA NATION !

    Gaby SIOUFI

    15 h 52, le 02 décembre 2019

  • ...""L’élite économique et sociale actuelle a été au mieux passive et au pire complice et bénéficiaire de la classe politique dans sa destruction systématique des richesses du pays. Ce faisant, elle a fait preuve d’un manque de discernement en pensant que cette fuite en avant pouvait s’éterniser.""" Vous avez mille fois raison ! Le clientélisme …. ""Le choix du Bloc National est de participer à cette transformation, mais elle nécessite l’implication de nombreux acteurs sociaux et politiques."" C’est donc des alliances avec l’un ou l’autre parti traditionnel, mais dans la conjoncture actuelle, je ne vois pas comment votre parti pourrait faire surface. Quand les eaux politiques sont peu profondes, faut-il claquer la porte comme après les municipales de Tripoli, ou bien offrir son salaire de député... ""Or il est aujourd’hui nécessaire que les émigrés participent au redressement du pays non seulement à travers leur solidarité financière mais à travers leur implication directe ou indirecte dans la vie politique libanaise."" La diaspora libanaise est l’une des plus importantes au monde. Quel est son poids dans le redressement économique du pays, quand toute aide ou transfert sont contrôlés par une puissance mondiale … et si vous ajoutez les milices qui rivalisent avec l’armée régulière, et à l’origine de tout manque de confiance dans les investissements, vous avez une idée précise de l’avenir qui nous attend…

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    12 h 58, le 02 décembre 2019

  • BIEN QUE JE SUPPORTE LA CONTESTATION ET SES JUSTES REVENDICATIONS JE PREVOIS MALHEUREUSEMENT QUE LES CHOSES NE VONT PAS AVANCER ET QUE NOUS AURONS POUR LONGTEMPS UN GOUVERNEMENT DE TASRIF EL A3MAL. OU UN GOUVERNEMENT TECHNO-POLITIQUE DANS QUELQUES MOIS. LES REVOLTES MEME SI APPUYEES LOCALEMENT, REGIONALEMENT ET INTERNATIONALEMENT NE REUSSISSENT QUE DES CHANGEMENTS PARTIELS AU LIBAN PAYS DU CONSENSUS PAR EXCELLENCE. TRISTEMENT JE LE DIS MAIS C,EST AINSI.

    LA LIBRE EXPRESSION

    01 h 16, le 02 décembre 2019

  • Les espeits surchauffés sont maintenant tous pr*ets à la bagarre . Les positions ne bougeront pas d'un pouce , ni d'un côté ni de l'autre . Ça commence à sentir le rpussi . Espérons de tout coeur que nous ñevteons à notre cher pays , une énorme catastrophe , et des bains de sang interminables

    Chucri Abboud

    00 h 44, le 02 décembre 2019

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