Rechercher
Rechercher

Culture - Commémoration

Sergio Leone, brut mais pas méchant

Critiquée, bafouée puis honorée, voire respectée, l’œuvre du réalisateur italien n’aura pas laissé indifférent. Elle aura, au contraire, eu une grande influence sur le cinéma contemporain et fait même des disciples et des émules. À l’occasion du 30e anniversaire de sa mort (avril 1989) et du 90e anniversaire de sa naissance (janvier 1929), on propose un retour sur son parcours atypique et tellement ludique.

Sergio Leone. Photo AFP

« Odieux, malsain, sadique, et le tout gratuitement… De plus, il s’agit d’un plagiat du film de Kurosawa, Yojimbo. » C’est par ce genre de commentaires acides que le critique français René Tabès a accueilli la sortie, en 1964, de A Fistful of dollars (Pour une poignée de dollars) du réalisateur Sergio Leone, qui signait son premier film à l’âge de 36 ans. Des accusations similaires ont été faites à l’encontre du cinéaste italien de la part de l’élite intellectuelle et de la critique cinématographique italienne et française. Il a fallu du temps pour que Sergio Leone soit réhabilité. À la fin des années 60, la critique, possédant un corpus de quatre westerns (suivis par deux contes historiques « Il était une fois… ») prend du recul et pose un regard plus juste sur ce cinéaste en le traitant de créateur d’une « planète » ou de « rénovateur de mythes ». Et c’est finalement récemment avec l’avènement du cinéaste Quentin Tarantino qui se dit presque le fils spirituel de Sergio Leone (de par son traitement cinématographique de la violence et de par le regard qu’il jette sur ce qu’on a appelé les films de série B) que le cinéma a compris l’héritage particulier de ce cinéaste.

Il déteste le mot « western spaghetti »

Alors qui était au juste Sergio Leone ? Un simple plagiaire ? Un saccageur bafouant le genre noble du western ? Ou un cinéaste rêveur, visionnaire et novateur, qui a essayé de réinventer, d’une manière ludique, ce genre qu’il a longtemps aimé, lui qui a passé son enfance à jouer aux gentils et aux gringos ? « Plus qu’un genre cinématographique, le western est le territoire de nos rêves », disait-il. Et de préciser : « Hollywood a peu à peu oublié le contexte historique, notamment le fait que la violence, la cruauté, la nécessité de tuer pour vivre étaient la loi quotidienne dans l’Ouest des pionniers. J’ai donc abordé le western dans une optique néoréaliste. »

Sergio Leone a réalisé un petit nombre de films lors de sa courte carrière, d’abord par simple choix personnel et ensuite parce qu’il est mort trop tôt. En outre, il ne s’est jamais considéré comme l’inventeur des westerns européens. D’ailleurs, comment pouvait-il en être l’inventeur puisque de 1907 à 1942, un grand nombre de ces westerns (allemand, français et même italien) s’étaient succédé, prouvant qu’ils ne plagiaient pas le western américain encore inexistant. Plus encore, Leone détestait l’appellation de « western spaghetti » qui lui collait à la peau. Par contre, il était fier d’être le fils de l’inventeur du western italien, Vincenzo Leone, qui, sous le pseudonyme de Roberto Roberti, a réalisé en 1913 le premier film du genre La Vampira Indiana où la future mère du petit Sergio, Bice Valerian, tenait le rôle de l’Indienne.

Le jeune Sergio était, si l’on peut dire, prédestiné au cinéma. Il a fait ses premiers pas dans le milieu cinématographique en tant qu’assistant de Vittorio De Sica sur le tournage du Voleur de bicyclettes (titre original : Ladri di biciclette) en 1948 puis sur celui de Quo Vadis de Mervyn LeRoy en 1951 et Ben Hur de William Wyler en 1959. C’est vers la fin des années 50 qu’il commence à écrire ses premiers scénarios. Après quelques péplums, il décide de s’approprier le genre du western qui amorçait à l’époque son déclin en Amérique après 20 années d’âge d’or.



(Lire aussi : Gros plan sur 3 scènes cultes)


Sales, mal vêtus et hirsutes

En 1964, c’est la naissance de A fistful of dollars (Pour une poignée de dollars), suivi en 1965 par For a fistful of dollars more (Pour quelques dollars de plus) et en 1966, The Good, the Bad and the Ugly (Le Bon, la Brute et le Truand). Cette trilogie qui confirme la signature particulière du réalisateur romain était appelée « la trilogie des dollars » où il était surtout question de tueurs à gages dont le seul souci était de se faire des sous. Une sorte de critique de la société capitaliste émergente. Privilégiant la lenteur, étirant les scènes à l’excès (comme une mouche qui bourdonne durant plus de deux minutes ou un robinet qui goutte), utilisant les gros plans sur les visages comme s’il filmait des paysages ou des reliefs, il venait de créer un style particulièrement à lui, rehaussé par la musique d’Ennio Morricone, son ami et compositeur avec lequel il collaborera durant ses œuvres suivantes.

Sergio Leone ne voulait en aucun cas usurper l’Ouest américain ou écrire de nouveau l’histoire qu’on voyait souvent stéréotypée dans le western américain. Nul besoin d’Indiens, mais beaucoup de gangsters, d’entrepreneurs sans scrupules. Pas de places non plus pour les femmes, exception faite de Jill, la prostituée d’Il était une fois dans l’Ouest, interprétée par Claudia Cardinale. Sergio Leone évolue dans un monde d’hommes souvent cupides, méchants et cruels. C’est le nouveau monde. Ses héros n’ont pas de nom. Clint Eatwood est « L’étranger » alors que Bronson s’appellera « Harmonica ». Le metteur en scène réinvente même les tenues vestimentaires. On ne voit ni étoiles de shérif étincelantes, ni des colts brillants mais des habits sales, des ponchos (celui, très célèbre, de Clint Eastwood). Les cowboys dans les westerns de Sergio Leone sont sales, mal vêtus et hirsutes. « Si mes personnages sont toujours sales, c’est en fonction de ce que montrent les documents de l’époque. Personnellement, j’ai toujours trouvé ridicules les films hollywoodiens où, après avoir chevauché toute la journée, les héros sont propres et rasés de près. »

Leone ne parodie pas le western. Il l’aime trop pour le faire. Alors il le réinvente, d’une façon lyrique, mélodramatique et parfois très humoristique. Ses personnages deviennent mythiques comme des archétypes. Les duels chez lui s’apparentent à des chorégraphies, des ballets macabres. Car qui dit Sergio Leone, dit forcément Ennio Morricone, le compositeur qui donne la tessiture à chacun des personnages du réalisateur et qui transforme aussi le simple western en tragédie humaine, en opéra-bouffe décadent. Les deux artistes se sont connus sur les bancs de l’école et seront à jamais liés dans l’histoire du cinéma. Le compositeur choisira, pour chacun des films de son ami, des instruments qui collent à la peau des personnages. Flûte ou harmonica à certains moments, guitare rythmique ponctuée par des « oh » et des « hé » ou même des sifflements, à d’autres.

Un bon réalisateur n’a-t-il pas toujours besoin d’une bonne musique de film pour « une poignée de dollars » ?

« Odieux, malsain, sadique, et le tout gratuitement… De plus, il s’agit d’un plagiat du film de Kurosawa, Yojimbo. » C’est par ce genre de commentaires acides que le critique français René Tabès a accueilli la sortie, en 1964, de A Fistful of dollars (Pour une poignée de dollars) du réalisateur Sergio Leone, qui signait son premier film à l’âge de 36 ans. Des...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut