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Sport - Portrait

Aziza Sbaity : un record du Liban, une revanche et un rêve

Pour l’athlète, le sport a été un moyen de mettre fin au harcèlement dont elle était victime à l’école en raison de sa couleur de peau. Aujourd’hui, la jeune femme vise les Jeux olympiques à Tokyo en 2020.

En 11 sec 73/100es, Aziza Sbaity (27 ans) a battu son propre record du Liban du 100 m, son ancienne marque de référence étant de 11 sec 75/100es. Photo fournie par Aziza Sbaity

« Onze secondes durant lesquelles je n’entends plus rien, je ne sens plus rien. Onze secondes durant lesquelles je suis transportée dans un autre monde. » Onze secondes et 73 centièmes, pour être précis, c’est le dernier chrono en date de Aziza Sbaity sur le 100 m, la distance reine de l’athlétisme. Précis, il est essentiel de l’être, puisqu’il s’agit, aussi, du record féminin du Liban sur cette distance.

Sur le 100 m, c’est lors des championnats d’Asie de l’Ouest 2018, à Amman en Jordanie, que la jeune femme a, pour la première fois, battu le record du Liban. Avec un chrono affichant 11 sec 75/100es, elle a détrôné Gretta Taslakian qui, depuis huit ans, était la reine de cette distance avec 11 sec 84/100es. En découvrant son chrono, ce jour-là, Aziza Sbaity a pleuré de bonheur. « C’était un but que je m’étais fixé et pendant longtemps je me suis demandé si je l’atteindrais jamais. » Après cette victoire, elle quitte son travail en communication et marketing pour s’entraîner deux fois par jour. Quelques mois plus tard, elle bat son propre record avec un sprint affichant 11 sec 73/100es donc.

Ce nouveau record inscrit par la jeune athlète, née au Liberia il y a 27 ans d’un père libanais et d’une mère libérienne, est le résultat d’années d’entraînement et de sacrifices, mais également d’une rare détermination face à l’adversité. Au-delà du physique, d’un caractère, en somme, que l’histoire particulière de la jeune femme a contribué à forger.

Aziza Sbaity a 10 ans lorsqu’elle rentre au Liban avec son père, après avoir vécu à Monrovia. Sa mère, elle, s’installe aux États-Unis. À partir de là, Aziza fera la navette entre les deux pays. Son regard en amande, dessiné par un trait d’eyeliner noir, s’illumine lorsqu’elle parle de son enfance au Liberia. « Il y avait des gens de toutes les couleurs, on ne savait pas ce que cela signifiait d’être différent », explique l’athlète à la peau café au lait. La différence, elle l’a fortement ressentie lorsqu’elle s’est installée au Liban. « L’école a été un cauchemar pour moi, lâche-t-elle. J’étais la seule Noire de ma classe, je me faisais harceler chaque jour. » De plus, ses camarades l’interrogent continuellement sur sa religion. « Mon père étant chiite et ma mère chrétienne, je ne savais quoi répondre. Je rentrais à la maison en pleurs », se souvient Aziza Sbaity.

C’est le sport, dit-elle, qui l’a sauvée, alors qu’elle perdait pied dans cette « crise identitaire ». Lors d’un test à l’école, Aziza Sbaity gagne une première course contre les filles de sa classe, puis une seconde contre les garçons. « C’est à ce moment-là que j’ai commencé à gagner le respect des autres », raconte-t-elle. Alors, elle redouble d’efforts. Basketteuse dans l’âme, elle participe quand même aux compétitions d’athlétisme organisées par son école. Résultat : pendant six années consécutives, elle monopolise la première place des podiums. La magie opère et Aziza sent que les autres enfants « commencent à accepter le fait qu’elle soit différente ». « Ma couleur de peau est différente, mais je suis libanaise », martèle-t-elle aujourd’hui.


Contourner la douleur

Fin 2008, Aziza Sbaity rejoint le club sportif du collège Notre-Dame de Jamhour. À l’époque, elle avait 16 ans. « Je n’oublierai jamais le premier jour d’entraînement. Je suis arrivée avec un chewing-gum en bouche, en tenue de basket. L’entraîneure, Alice Keyrouz, m’a vite remise à ma place ! »

Si la jeune femme a un penchant clair pour le sprint, elle doit tout de même travailler l’endurance et s’entraîner sur de longues distances. « À la fin de l’entraînement, je pleurais, je vomissais. Mais j’avais fait une promesse à mes proches : j’endurerais tout pour donner une chance à mon talent. » À force de travail, Aziza enfonce une première porte : en mai 2009, à seulement 17 ans, elle est sur la ligne de départ du 100 m de sa catégorie (cadets) et du 200 m des seniors (20 ans et plus) lors du championnat du Liban d’athlétisme. Elle gagne les deux courses. Partant de là, les sélections s’enchaînent : en 2009 toujours, elle représente le Liban aux Jeux de la francophonie et remporte la 5e place au championnat arabe ; en 2010, elle se classe 2e aux championnats arabes juniors et est sélectionnée pour les championnats du monde juniors au Canada. En parallèle, elle s’inscrit à la Lebanese American University (LAU) pour suivre des études en business.

Mais un an plus tard, c’est la blessure. « J’avais une forte douleur au tendon, j’étais incapable de courir le 100 m au complet. J’étais totalement déprimée », se souvient-elle. Mais Aziza ne lâche rien. Elle continue à s’entraîner sans toutefois faire de sprints. Petit à petit, elle commence à « comprendre » son corps et apprend à « contourner la douleur ». « C’était plus un effort mental que physique, dit-elle. À ce moment-là, j’ai appris que la seule véritable compétition, c’est contre moi-même. »

Le come-back

Trois ans plus tard, la jeune femme reprend les compétitions. Elle voyage en Pologne, en Chine et aux États-Unis. « J’étais encore blessée, mais je voulais absolument courir, affirme-t-elle. Personne n’y croyait plus vraiment, personne ne s’attendait à ce que je fasse un come-back. » Sa persévérance finit par payer. En 2018, c’est sur le 100 m, sa distance de prédilection, qu’elle bat le record du Liban.

Ce qui rend Aziza Sbaity plus heureuse, c’est de savoir qu’elle a « placé la barre un peu plus haut pour les générations futures » au Liban. « En étant meilleure, je pousse les autres à faire encore mieux, explique-t-elle. Je sais qu’au Liban, nous avons le potentiel pour avoir de meilleurs résultats. Mais nous n’avons pas l’aide qu’il faut de la part de l’État. »

Aujourd’hui, Aziza Sbaity, avec son 1,71 m et ses 65 kg de muscles surtout, a rejoint le Club sportif antonin. Elle a mis sa carrière professionnelle entre parenthèses pour se concentrer sur un unique but : les Jeux olympiques de 2020 à Tokyo (Japon), du 24 juillet au 9 août prochains. « Un rêve… » dit-elle, sourire aux lèvres. Mais le chemin vers ce rêve n’est pas simple, car le comité d’organisation de ces JO d’été a décidé qu’un seul Libanais ou Libanaise représenterait le pays du Cèdre en athlétisme, alors que lors des éditions précédentes, deux Libanais étaient sélectionnés. Pour aller à Tokyo, Aziza Sbaity doit être la meilleure, hommes et femmes confondus, selon un système de points mis en place par la Fédération internationale d’athlétisme. « Je vais faire de mon mieux pour l’être. » « Faire de mon mieux », cela signifie « s’entraîner dur, s’astreindre à un régime de vie extrêmement sain, et faire, surtout, beaucoup de sacrifices ».

Rien qui ne soit, finalement, impossible pour une jeune fille déterminée qui « vit et se bat pour un millième de seconde en moins ».


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commentaires (5)

Bon courage et félicitations

Eleni Caridopoulou

18 h 42, le 16 octobre 2019

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Commentaires (5)

  • Bon courage et félicitations

    Eleni Caridopoulou

    18 h 42, le 16 octobre 2019

  • Bravo, bravo.

    Eddy

    16 h 58, le 16 octobre 2019

  • Toute mon admiration, Aziza, il en faudrait beaucoup comme toi chez nous. De tout coeur: BONNE CHANCE pour 2020 à Tokyo !!! Irène Saïd

    Irene Said

    16 h 50, le 16 octobre 2019

  • Mabrouk à Aziza et inchallah d'autres exploits suivront! Elle le mérite certainement!!!

    Wlek Sanferlou

    16 h 31, le 16 octobre 2019

  • COURAGE DANS LA VIE ET BONNE CHANCE. BRAVO !

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 14, le 16 octobre 2019

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