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Nos Lecteurs ont la Parole - par Sissi BABA

Mère France, qui est notre père ?

Puisque nombre de Libanais t’appellent ainsi, Mère France, le moment est-il venu pour te poser enfin la question ? Qui est notre père ? Il est où, il fait quoi ? Faut-il déjà te poser la question à toi ? Toi, dont la Constitution a enfanté la nôtre, toi dont les Nerval et les Lamartine ont chanté notre montagne et nos vallées, toi, dont les icônes ont sculpté notre esprit et gagné notre cœur, toi, qui, en mère protectrice, et, occasionnellement impérialiste, as surveillé un Liban dont l’État venait de naître – un État nouveau-né, certes, même à son stade cru – il n’empêche qu’il est né sur une terre dont la vieille civilisation est « cuite » ; le nom des rivages que tu accostes découle de Tyr, ton alphabet latin découle de Byblos… Mère – et toute figure maternelle est ambivalente –, est-ce que ton supposé enfant est adulte et indépendant? Peut-il poser en toute liberté les questions des grands ? Peut-il enfin aller à la recherche du père ? Mais, en même temps, n’a-t-il pas abusé de ton aide pour qu’il demeure gâté et dépendant ? Et n’as-tu pas abusé de sa dépendance pour qu’il ait toujours besoin de ton aide ?

Mère France, et les mères sont souvent généreuses, ton enfant est conscient mais aussi reconnaissant ; il a travaillé pour sa liberté sans oublier les merveilleuses traces éducatives et culturelles que tu as laissées, et que tu laisses toujours. Il parle bien sa langue « maternelle », par amour et amitié, non par obligation, et il en déguste la culture par choix, non par soumission. Ton enfant a mérité son indépendance jusqu’à 1975 quand la guerre civile a éclaté, pourtant, c’était « la guerre des autres au Liban », comme l’a bien formulé Ghassan Tuéni, un intellectuel libanais qui a hissé haut les drapeaux de la diplomatie, l’intellect et le journalisme libanais, à l’image de nombreux compatriotes qui lui ressemblent.

Mère France, et les mères sont souvent à l’écoute, « entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne », qu’on endette, qu’on ravage, qu’on abâtardit ? Entends-tu les creux propos d’un enfant qui, comme ton propre enfant, a perdu père et repère ? Entends-tu ses remerciements répétitifs devant toi à la place de l’Élysée : « La France tient à aider le Liban, ce qui est rassurant. Elle est prête à continuer dans cette direction à aider le Liban de toutes les manières possibles, ce qui est important » ? Mère France, et les mères sont souvent crédules, n’est-il pas temps de ne plus croire aux promesses de ceux-là qui se considèrent réformateurs bien qu’ils soient, en même temps, les auteurs de la crise ?

Mère France, ton attention est un signe d’amour. Ton attention seule suffit. Collaborer, du moins, symboliquement, avec les bourreaux toxicomanes en raison d’aider ton enfant pris en otage finira par nuire à ce dernier, d’autant que ces politiciens sont intoxiqués au point de ne plus reconnaître le Liban : « Le pays du Cèdre regorge d’opportunités d’investissement, notamment dans le secteur des hydrocarbures » qu’on vient juste de découvrir. Où sont donc passées les autres qualités (les fameux secteurs touristique, vinicole, bancaire, le secteur privé, etc. ? et la vedette, le potentiel humain ? La productivité artistique – la plus riche parmi les pays de la région ? Ont-ils oublié nos points forts : ici comme à l’étranger – mais souvent plus à l’étranger – les étudiants et spécialistes libanais ne tardent pas à montrer talent, finesse, compétence et honnêteté, servant ainsi d’exemplarité et gravissant rapidement les échelons. Quelle ironie de nous voir désormais offrir des experts étrangers afin de nous aider à résoudre la crise. Sauf que le problème est lié à la mauvaise gestion officielle, voire à la non-gouvernance du pays par une incompétente oligarchie corrompue, déguisée en démocrate, et autoproclamée monarque absolu.

Mère France, le Liban… tu le sais déjà, est un pays des plus beaux : nombre de tes diplomates succombent à son charme et, dès que leur mission est terminée, ils choisissent de rester. Tu le sais déjà, le Liban a un peuple des plus talentueux, des plus persévérants : certains ne prennent l’avion pour Paris que s’il les conduit vers les sièges de doctorants à Polytechnique ou à la Sorbonne, aux guichets du Louvre, du Musée d’Orsay, aux fontaines et jardins de Versailles, aux loges de Garnier, aux sièges de Philippe Chatrier, et d’autres finissent par décrocher tes grands prix littéraires, gagner même un siège à l’Académie, occuper les fonctions de directeur artistique dans l’un de tes plus grands théâtres…

Mère France, et les mères doivent laisser leurs enfants partir, et les enfants doivent grandir et apprendre seuls à devenir autonomes, ton attention nous suffit : s’auto-aider est parfois la meilleure façon d’aider soi-même.

Mère France que nous appelons affectivement « Tendre Mère », ton enfant gagne à redevenir mature, comme il l’était dans les années 50 quand il figurait parmi les premiers à confectionner la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ses équipes professionnelles envoyées autrefois aux Nations unies présentaient le vrai Liban, désormais présenté à l’étranger par les auteurs de son malheur qui mendient sans dignité et dépensent les fonds publics sans honte ni pitié. Ces gens-là, Mère France, abusent de nous, ils abusent de toi, « ils préfèrent rester dans le giron de la Matrie ; ils ne veulent pas de la Patrie », comme le dit le Pr Antoine Courban.

Mère France, et qu’il est beau après la maturité, que le lien entre mères et enfants soit celui de l’égalité et de la réciprocité : ton enfant est indépendant, il est prêt à chercher sa figure paternelle perdue et non existante actuellement, et il finira par la trouver. Il nous faut trouver le père, sans pour autant t’oublier, nous, qui sommes délicieusement diversifiés à l’image de tes macarons…

Mère France, n’écoute plus les petits hommes qui nous représentent.

Mère France, aux grands hommes, la patrie reconnaissante.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Puisque nombre de Libanais t’appellent ainsi, Mère France, le moment est-il venu pour te poser enfin la question ? Qui est notre père ? Il est où, il fait quoi ? Faut-il déjà te poser la question à toi ? Toi, dont la Constitution a enfanté la nôtre, toi dont les Nerval et les Lamartine ont chanté notre montagne et nos vallées, toi, dont les icônes ont sculpté notre esprit et gagné...

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