À chaque fois que les Libanais commencent à sentir (à juste titre ou non) que leur pays est au bord de l’effondrement, une main miraculeuse se tend pour chercher à les aider. Cette fois, la main a été tendue par les Émirats arabes unis (EAU), dans le cadre de la visite du Premier ministre Saad Hariri à Abou Dhabi à la tête d’une importante délégation officielle.
Au départ, il s’agissait pour le chef du gouvernement de participer à un congrès sur les investissements dans le monde arabe organisé dans la capitale des EAU. Mais très vite, le prince héritier et homme fort des EAU a proposé « d’upgrader » (pour utiliser un terme à la mode) la visite pour qu’elle prenne un cachet plus officiel. D’ailleurs, Saad Hariri avait emmené avec lui six ministres de l’actuel gouvernement, en plus du gouverneur de la Banque du Liban et des conseillers et hommes d’affaires. Selon des personnalités qui ont participé à cette visite, la délégation libanaise a été accueillie par les responsables émiratis avec une grande chaleur, qui n’était pas sans rappeler l’atmosphère d’antan, lorsque les relations du Liban avec les pays du Golfe étaient au beau fixe. Toujours selon ces mêmes personnalités, les Libanais ont senti une volonté sincère de la part des Émirats d’aider le Liban dans cette crise économique et financière sans précédent. D’ailleurs, dans la foulée de la visite, les EAU ont levé l’interdiction pour leurs ressortissants de se rendre au Liban, et déjà les vols en provenance d’Abou Dhabi et de Dubaï à destination de Beyrouth ont commencé à afficher complet. En même temps, il a été question d’un dépôt financier émirati à la Banque du Liban pour soutenir l’économie et les finances libanaises. Cette dernière information n’a pas été officiellement confirmée, mais elle a déjà fait son effet, sachant qu’une partie de la situation financière est liée à une question de confiance.
Toutefois, la question qui se pose est la suivante : pourquoi les Émirats arabes unis veulent-ils aider le Liban en cette période particulièrement difficile sur les plans économique et financier, alors que toutes les raisons de leur désintérêt à l’égard de ce pays demeurent (notamment la présence du Hezbollah au sein du pouvoir) ? Une autre question suit et se résume ainsi : y aurait-il des conditions cachées à l’aide émiratie au Liban ?
Selon un diplomate arabe en poste à Beyrouth, les pays du Golfe ont trop à faire avec leurs propres problèmes pour poser des conditions aux autres et notamment au Liban. La guerre au Yémen qui se prolonge et se complique de jour en jour leur donne suffisamment de souci. Le bombardement des installations du géant pétrolier saoudien Aramco, il y a un mois, est d’ailleurs perçu par les Émirats comme une menace qui leur a été adressée.
De plus, depuis qu’il est devenu clair pour eux que les États-Unis ne comptent pas mener des frappes contre l’Iran, mais qu’ils vont se contenter de sanctions économiques, ils veulent trouver des solutions aux conflits en cours, tout en cherchant à sauver la face. C’est ainsi que l’annonce du président américain de retirer ses troupes de Syrie (et pas seulement de la zone à l’est de l’Euphrate) a aussi constitué un choc pour les dirigeants du Golfe qui sont désormais tiraillés entre leur hostilité envers la Turquie et leur animosité à l’égard de l’Iran.
Une petite phrase du Premier ministre lancée depuis Abou Dhabi a marqué le diplomate arabe précité. Selon lui, lorsque Saad Hariri parle du Liban comme base de la reconstruction arabe, il pense, sans le dire clairement, à la Syrie. Or les dirigeants du Golfe pensent comme lui. Les États arabes cherchent donc à modifier leur position à l’égard de la Syrie, mais sans avoir l’air de céder sur leurs positions de principe. Immédiatement après le début de l’opération militaire turque dans ce pays, l’Égypte a ainsi réclamé une réunion urgente de la Ligue arabe, qui se tiendra samedi, et l’Arabie saoudite a vivement condamné cette opération. Il faut préciser que l’Égypte, qui est l’alliée de l’Arabie saoudite et des Émirats, n’a jamais fermé son ambassade à Damas et que les Émirats avaient rouvert la leur il y a quelques mois, avant que l’administration américaine ne leur demande de freiner quelque peu leur élan en direction de la Syrie.
Dans les coulisses des réunions de l’Assemblée générale des Nations unies le mois dernier, on a même vu une accolade chaleureuse entre le secrétaire général de la Ligue arabe Ahmad Aboul Gheit et le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Moallem, qui est peut-être simplement due au hasard et au fait que les deux hommes se connaissent depuis longtemps.
L’opération militaire turque en Syrie pourrait donc constituer l’occasion attendue pour renouer les liens arabes avec Damas, sous couvert de solidarité arabe, face à une attaque de la part d’une force régionale. Même si ce processus n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements, l’ombre de la Syrie plane sur l’ouverture des pays du Golfe en direction du Liban.
Toujours selon le diplomate arabe en poste à Beyrouth, l’ouverture des Émirats doit être examinée en concertation avec l’Arabie saoudite. Elle constitue même une tentative de la part d’Abou Dhabi de ramener le Liban dans le giron des pays du Golfe par la méthode douce, sachant que les Émiratis ont une politique plus souple que celle des Saoudiens, lesquels sont toutefois convaincus que face au rôle grandissant de l’Iran et de la Turquie dans la région, il faut absolument redonner du poids aux pays arabes.
commentaires (7)
L'article de Scarlet Haddad a résumé avec en quelques lignes consistantes tout ce qui a trait au voyage de S.Hariri à Abou Dhabi sans qu'on ait à subir le laïus des JT des chaînes télévisées .
Hitti arlette
20 h 37, le 11 octobre 2019