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Liban - Social

Dans le camp de Chatila, le cricket fait de petits miracles

L’association Basmeh Zeitooneh organise des entraînements sportifs pour les jeunes Libanais, Syriens et Palestiniens, garçons et filles, du camp de réfugiés, avec un double objectif : développement personnel et convivialité.

Les jeunes de l’équipe orange laissent éclater leur joie à l’annonce de leur victoire.

Sur un stade bordé d’immeubles, sous le regard des hommes fumant leur narguilé, des jeunes Libanais, Syriens et Palestiniens de Chatila s’affrontent, trois fois par semaine, au cricket. Si le choix de ce sport peut paraître surprenant, il semble pourtant s’être imposé comme une évidence. À la fois stratégique et sans contact, il permet aux filles et aux garçons de ce camp palestinien de jouer ensemble. L’initiative est le résultat d’une coopération entre Basmeh Zeitooneh, association à but éducatif pour les jeunes réfugiés, et la Ligue internationale de cricket.

« Coach ! Coach ! » Les cris s’élèvent du vestiaire du stade de Chatila. À l’intérieur, des sacs chargés de balles, de crosses et de plots circulent de main en main. Filles et garçons s’attellent à la mise en place du terrain pour le match de cricket. Les trois entraîneurs, Mohammad Kheir, Kadria Hussein et Mohammad Hariri, casquettes et sifflets en main, orchestrent l’opération.


Éduquer par le sport
L’enthousiasme des jeunes joueurs au cours des préparatifs du match déborde un peu. Il faut que les entraîneurs rappellent fermement toute cette jeunesse à l’ordre pour que le calme revienne. « Nous avons mis en place des règles pour gérer cela. Nous voulons que les jeunes apprennent aussi le respect par le sport », affirme Mohammad Hariri, après s’être excusé d’avoir eu à hausser le ton. « Le cricket forge leur caractère et les fait évoluer », ajoute-t-il. Ils y apprennent en fait à jouer en équipe, à élaborer des stratégies et à réfléchir vite. « La plupart des enfants sont timides au début. En s’entraînant, ils acquièrent de l’assurance, commencent à s’affirmer sur le terrain et prennent de meilleures décisions. Ce sont des qualités qui leur servent également une fois à la maison », explique encore Mohammad Hariri. Il poursuit : « Dans ce jeu, tout est une question de choix. Le bon choix, au bon moment, pour arriver au succès. C’est ce qu’on leur apprend. »Tout le monde est en place, un coup de sifflet tranche l’air épais de cette fin d’été, la partie démarre. « Yalla, yalla, come on! » encouragent les joueurs sur le banc. Ils commentent avec leurs entraîneurs le déroulement du match. La lueur dans leurs yeux à cet instant témoigne de toute l’admiration qu’ils éprouvent envers leurs coaches.

Très sollicités, les entraîneurs s’impliquent aussi en dehors du terrain. « Quand on constate qu’une fille ne vient pas à plusieurs séances d’affilée, on envoie notre collègue Kadria parler aux parents. En fait, on s’occupe de tous nos enfants. » Sans une once d’hésitation, Mohammad ajoute : « J’espère continuer tant que je peux, et répandre ce sport dans tout le Liban. »

Ces entraîneurs engagés auprès des jeunes jouent ainsi un rôle crucial dans leur éducation, les poussant par ailleurs à se rendre à l’école. Si cette dernière est obligatoire pour les jeunes de 6 à 15 ans, elle est optionnelle pour les réfugiés syriens. La plupart des joueurs suivent des cours dans les locaux de Basmeh et Zeitooneh. « Ils étaient 700 l’année dernière à étudier cinq matières : l’arabe, l’anglais, le français, les maths et les sciences », explique Mohammad Kheir. Il ajoute : « À la fin de chaque année, on leur donne un diplôme, et si leurs parents veulent les inscrire après dans une école publique libanaise, ils peuvent le faire. » Malheureusement, le choix des jeunes Syriens est restreint. Les écoles publiques ne peuvent pas les accueillir tous.


Dépasser les différences
Sur le terrain, filles et garçons transpirent ensemble. La parité est de rigueur : le groupe de vingt-deux joueurs compte une dizaine de filles. Le cricket était le sport idéal pour permettre aux filles et garçons de jouer ensemble, explique Mohammad Hariri. « C’est un jeu paisible, il n’y a pas de contact entre les joueurs donc pas de risque d’accidents, ce qui rassure les parents inquiets de laisser leur fille en compagnie de garçons. » Les sports de contact peuvent susciter les craintes de certains parents conservateurs, et les pousser à refuser de laisser leurs filles jouer.

« La plupart des gens pensent qu’il est plus acceptable pour une fille de faire du sport à partir de ses 20 ans. Les garçons, quant à eux, n’ont pas d’âge minimum imposé. Les entraînements qu’on organise ont pour intérêt de casser ces clichés et de sensibiliser l’opinion sur le fait que filles et garçons peuvent jouer ensemble. » En marge du stade, une mère qui attend sa fille ne dit pas autre chose. « Habituellement, nos petites restent à la maison. Le terrain de cricket est le seul endroit où ma fille peut jouer, alors qu’on ne lui permettra pas de jouer au football », assure-t-elle. Et pour encourager un plus grand nombre de parents à autoriser leurs filles à jouer, les entraîneurs mettent en place régulièrement des matches mères contre filles. Fédérés autour d’une passion commune, les jeunes ont fait fi de leurs différences au profit d’une cohésion de groupe. « Ils viennent de communautés et de familles différentes, mais au fur et à mesure des entraînements, ils apprennent à se connaître et à s’accepter », affirme Mohammad Kheir. « Un véritable esprit d’équipe s’installe entre eux », ajoute Mohammad Hariri. Une des mères présentes à l’entraînement trouve qu’il s’agit d’une « véritable chance pour les enfants de pouvoir, à travers le sport, penser à autre chose qu’au quotidien dans le camp ».

Sami, joueur prometteur de 15 ans, considère ses coéquipières « comme des sœurs ». « Ce sont de bonnes adversaires, meilleures que moi parfois! » lance-t-il. Un engouement qui semble avoir séduit de nombreuses jeunes filles du camp, « qui viennent nous voir pour demander à participer aux entraînements », précise Mohammad Hariri.

La dernière balle vient d’être jouée. Les équipes attendent le décompte des points. Kadria annonce le score. C’est alors toute l’équipe orange, dans une euphorie explosive, qui saute de joie, les mains en l’air. Bons joueurs, jaune et orange se félicitent par une poignée de main. Le match est fini, les enfants rejoignent leurs parents, non sans s’être promis de se retrouver, dans le stade, la semaine suivante.


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commentaires (1)

Un jour , prochainement, ils s'entraineront aux armes, nous en avons l'experience !

Chucri Abboud

08 h 46, le 03 octobre 2019

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Commentaires (1)

  • Un jour , prochainement, ils s'entraineront aux armes, nous en avons l'experience !

    Chucri Abboud

    08 h 46, le 03 octobre 2019

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