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Idées - Justice

Travail d’intérêt général : une seconde chance plutôt que des travaux forcés

Des détenus participent à l’entretien d’un cimetière à Reims en France, en 2017. François Nascimbeni/AFP

Le 26 juin dernier, le Parlement a voté la loi n° 138 instaurant la peine de travaux d’intérêt général (TIG), afin de permettre au magistrat de remplacer une peine allant jusqu’à un an d’emprisonnement par cette nouvelle peine alternative. Cette première, pour les délinquants majeurs, est à saluer dans la mesure où les courtes peines de prison ont des effets néfastes sur le taux de récidive des primo-délinquants, influent sur le taux de surpopulation carcérale et pèsent sur le budget de l’État.

Pourtant, dès sa publication au Journal officiel, les critiques de juristes et de partisans des TIG ne se sont pas fait attendre sur certains détails du texte qui en compromettent l’esprit et la bonne application. Plusieurs organisations internationales, des experts et des députés sont ainsi déjà à pied d’œuvre pour revoir certains points, notamment dans la rédaction du prochain décret d’application de la loi, qui permettraient de concrétiser cette avancée majeure.

Calculs aberrants

Si la mise en œuvre d’une peine de TIG peut paraître technique, elle exprime surtout certaines valeurs – de réhabilitation et de resocialisation du délinquant, notamment – qui, même si elles sont rapidement abordées dans les motifs de la loi, ne sont pas traduites dans ses articles.

À cet égard, le mode de calcul de la durée des TIG donne à cette peine une sévérité qui lui est étrangère par nature, dans la mesure où sa durée maximale doit être mise en relation avec celle de la peine qu’elle remplace. Or l’article 2 de la loi prévoit de remplacer chaque jour d’emprisonnement par 8 heures de TIG, ce qui conduirait à un total de 2 920 heures pour une peine d’un an d’emprisonnement – contre, par exemple, des peines maximales atteignant respectivement, et sur un an et demi, 400 heures en France et 240 heures au Canada. Avec un tel mode de calcul, la peine prévue par la loi n° 138 s’apparente ainsi davantage à des travaux forcés !

Afin d’éviter ce total aberrant, le décret d’application de la loi pourrait expliquer que ce ratio définit le nombre total d’heures de travail, mais que celles-ci peuvent être réparties librement par le magistrat avec l’accord des parties concernées : le délinquant pourrait ainsi effectuer 10 ou 12 heures de TIG par semaine afin de pouvoir continuer à exercer une activité professionnelle rémunérée. Cette solution n’est cependant pas idéale car elle allongerait le délai d’exécution de la peine si le nombre d’heures est important. Dans le même esprit, le décret d’application doit aussi demander au juge de préciser la période pendant laquelle les TIG doivent être effectués (3 mois ? 6 mois ? 1 an ?).

En outre, les TIG étant une peine exécutée en milieu ouvert, cela ne peut se faire qu’avec des garanties qui permettent sa mise en œuvre sécurisée et efficace. Il est donc primordial de détailler le processus de cette mise en œuvre dans le futur décret. Car l’article 5 ne prévoit que l’obligation pour l’institution en charge des TIG d’envoyer des rapports périodiques au magistrat sur leur exécution par le délinquant. Or il est très important que le suivi de cette exécution soit assuré par une assistante sociale mandatée par le tribunal, afin de vérifier la réelle implication du délinquant.

Le décret d’application devrait aussi prévoir les critères de qualification des institutions publiques et des ONG qui pourront être habilitées à mettre en œuvre des TIG, la procédure de leur habilitation (ou de révocation en cas de manquement à ces règles) et leur responsabilité vis-à-vis des délinquants (en cas d’accident de travail). Le décret devrait en outre mentionner un mode d’établissement d’une liste de travaux à soumettre au juge d’application des peines, avec le nombre de postes qui pourront être offerts par l’organisme et les noms et qualifications des personnels encadrants.

Consentement

Cependant, une véritable refonte des TIG supposerait d’aller bien au-delà de ces ajustements car le décret d’application ne peut pas changer la lettre de la loi et seule une révision du texte permettrait de corriger d’autres errements. Tel est par exemple le cas de la référence faite, dans l’article 1, aux TIG prévus par la loi n° 422 de 2006 relative aux mineurs en conflit avec la loi, qui diffère dans son esprit et son approche plus éducative. Supprimer cette évocation dans la loi, et la confusion qu’elle pourrait susciter entre deux régimes bien distincts, permettrait ainsi de mettre davantage en relief l’aspect responsabilisant de la peine de TIG.

Cette mise en relief suppose en outre que soit ajoutée la nécessité de recueillir le consentement du délinquant à l’exécution de la peine de TIG. Impliquer le délinquant dans la prise en charge des conséquences de son infraction est en effet primordial pour le succès de la mesure. Les TIG sont, certes, une peine imposée, mais c’est une peine qui doit être acceptée car elle implique une obligation d’agir. Le recueil du consentement du délinquant permettrait en outre d’éviter que les TIG ne soient qualifiés de travail forcé déguisé.

Une révision de la loi permettrait également de substituer une logique responsabilisatrice de la peine à celle, sanctionnatrice, de la rédaction actuelle de l’article 6 : au lieu de laisser au juge le soin de constater l’arrêt de l’exécution des TIG par le délinquant et de prononcer les sanctions nécessaires, il faudrait prévoir la possibilité pour le délinquant de demander une suspension du délai d’exécution des TIG pour raison médicale, professionnelle ou familiale. Selon cette même logique, il serait opportun que la peine de TIG ne figure pas sur le fichier 1 du casier judiciaire, afin d’assurer la réintégration du délinquant dans la société.

Une révision permettrait enfin de corriger certains problèmes relatifs au domaine d’application des TIG. Le TIG est une peine autonome qui doit trouver sa place dans l’échelle des peines suivant son degré de sévérité. Or la loi n° 138 prévoit la possibilité de substituer une peine de TIG au paiement d’une amende, ce qui est critiquable car on ne peut remplacer l’amende par une peine plus sévère.

S’il est insolite qu’une loi soit révisée dans la foulée de son adoption, les nombreuses confusions que porte la rédaction actuelle de la loi sur les TIG, et auxquelles la publication du décret ne permettra de répondre que partiellement, devraient en toute logique imposer cette solution. Il serait donc souhaitable que le législateur revoie rapidement sa copie afin de donner sa pleine mesure à cette innovation juridique et de véritablement consacrer les TIG comme une peine responsabilisante pour le délinquant et une seconde chance accordée par la société.

Par Nathalie SABBAGH ABOU ASSI

Doctorante en droit pénal et sciences criminelles à l’Université Jean Moulin (Lyon 3) et l’Université Saint-Joseph.


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FAUT BIEN REVOIR ET DETAILLER CETTE LOI DES TIG.

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 26, le 22 septembre 2019

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  • FAUT BIEN REVOIR ET DETAILLER CETTE LOI DES TIG.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 26, le 22 septembre 2019

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