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Liban - Justice

Quand les députés libanais votent une loi défaillante...

Le texte instaurant une peine de travaux d’intérêt général (TIG) pour les majeurs est une première en droit pénal libanais, mais il comporte des failles importantes qui pourraient assimiler les TIG à des travaux forcés ; contacté par « L’OLJ », un député s’engage à œuvrer à modifier la législation.

Les députés libanais réunis au Parlement, le 26 juin 2019. Photo Ali Fawaz/Parlement libanais

Le 26 juin dernier, les députés libanais approuvaient une proposition de loi instaurant la possibilité d’une peine de travaux d’intérêt général (TIG) pour les condamnés majeurs. Cette loi est une première et, en théorie du moins, une avancée pour le droit pénal libanais. Problème : le texte de loi comporte d’importantes failles qui tendent à faire de ces TIG une option difficile à mettre en application et qui s’apparenterait plutôt aux travaux forcés. C’est en 2011 que le parti Kataëb a proposé cette loi qui prévoit que tout délinquant majeur condamné à une peine maximale d’un an de prison puisse voir celle-ci commuée en travaux d’intérêt général. « À l’époque, le problème des prisons surpeuplées était souvent évoqué, nous avons donc voulu proposer des solutions », explique à L’Orient-Le Jour Lara Saadé, conseillère juridique de Samy Gemayel, chef des Kataëb.

Outre cet objectif de réduire la surpopulation carcérale, et par là même son coût pour l’État, cette loi visait également à éviter que des personnes accusées de « simples délits, tels que la consommation de stupéfiants, côtoient, en prison, des personnes accusées de crimes bien plus graves. Trafic de drogue, terrorisme, viol... explique Lara Saadé. Nous avons donc essayé de faire évoluer la justice pénale au Liban, pour passer d’une justice exclusivement punitive à une justice réhabilitative. »

En pratique, cela signifie qu’une personne ayant commis un délit sans intention criminelle (par exemple un accident de la route en état d’ivresse ayant fait un blessé grave) peut, au lieu de passer un an en prison, se voir proposer de travailler, sans être rémunérée, pour une association choisie par le ministère de la Justice. L’ambition du législateur était donc louable. C’est dans le détail du texte qu’apparaissent les problèmes.


Près de 3 000 heures de TIG par an !
« Le législateur libanais a malheureusement raté une occasion de voter une loi innovatrice et efficace », juge d’emblée Nathalie Abou Assi, doctorante en droit pénal et sciences criminelles. Raja Abi Nader, le magistrat en charge de la direction des prisons au sein du ministère de la Justice, ne dit pas autre chose. « Le Liban avait besoin d’une telle loi et nous l’avons attendue longtemps, mais lorsque nous avons découvert le texte, ce fut une grande déception », dit-il. Le magistrat critique d’abord l’absence de définition et le manque de précision dans le texte ; la référence aux TIG des mineurs (alors qu’il s’agit d’une loi pour les majeurs) et la confusion que cela pourrait créer ; ou encore le flou entourant le mode de contrôle de l’exécution des TIG. Le point qui le choque le plus reste que la loi prévoit qu’une personne ait l’option de faire des TIG plutôt que de payer une amende. « Les TIG sont une mesure dont le but est de faire en sorte que le délinquant ne souffre pas des dégâts de la peine privative de liberté. Cela n’a rien à voir avec les amendes financières ! » dénonce M. Abi Nader, qui précise qu’aujourd’hui environ 300 personnes, condamnées à moins d’un an de prison, pourraient bénéficier de cette loi. Mais ce qui perturbe surtout les deux spécialistes est l’article 2 de la loi qui prévoit qu’un jour d’emprisonnement équivaut à huit heures de TIG. « Cela signifie qu’une peine d’un an d’emprisonnement sera remplacée par 2 920 heures de TIG. Et ce sans même le consentement préalable du condamné », note la doctorante.

À titre de comparaison, souligne Mme Abou Assi, en droit pénal français, la durée maximale de TIG a été fixée à 400 heures, « et ce en remplacement de peines d’emprisonnement bien plus longues que celles prévues par la loi libanaise ». Par ailleurs, toujours en France, la mesure ne peut être prononcée qu’avec l’accord de la personne concernée. Au Canada, le maximum d’heures de TIG est de 240 heures, sur un an et demi.

« Ce que prévoit la loi libanaise est presque de la folie et cela peut avoir des résultats nocifs », dénonce Raja Abi Nader. Le problème, résume quant à elle l’experte, est qu’il n’y a pas, dans le texte voté par les députés libanais, de compréhension correcte du concept de TIG. « Le TIG ne consiste pas à faire travailler une personne sans rémunération à temps complet, mais à la faire travailler en plus de son activité professionnelle au service de la communauté. » Avec cette loi, « les TIG mettraient le délinquant dans une situation précaire où il ne pourra plus exercer d’activité rémunérée pour subvenir à ses besoins, ce qui de toute évidence ne facilite pas sa réinsertion, voire favorise le risque de récidive », met-elle en garde. De plus, avec ce texte, « la peine de TIG est similaire à une peine de travaux forcés », ajoute Mme Abou Assi. En effet, l’Organisation internationale du travail définit le travail forcé comme « un travail accompli contre son gré et sous la menace d’une peine quelconque ».


« Prêt à demander un amendement »
Interrogée sur l’équivalence entre jour de prison/8 heures de TIG, la conseillère juridique des Kataëb estime que « conformément au droit du travail, toute personne condamnée à des TIG va travailler 8 heures par jour, sauf qu’elle fait un travail social au lieu de passer 24 heures en prison ». Pour Mme Saadé, il ne fait pas de doute que la loi, signée par le président et publiée au Journal officiel en date du 11 juillet, est applicable.

Tout en soulignant que le ministère va essayer d’appliquer cette loi, M. Abi Nader estime, d’ores et déjà, que son application sera « extrêmement difficile ». « Il faut faire en sorte de la modifier pour rendre son application plus efficace » , ajoute-t-il. Nathalie Abou Assi estime qu’au moins deux changements doivent impérativement être apportés au texte voté : « D’abord la révision du mode de calcul de la durée des TIG, ensuite l’obligation de recueillir le consentement de l’intéressé, afin d’éviter la similitude avec les peines de travaux forcés. »

« Même si le délinquant travaille gratuitement toute la journée, il est au moins libre », défend, pour sa part, le président de la commission des Droits de l’homme, le député Michel Moussa qui estime que « cette loi est une avancée majeure ». Mais lorsqu’on l’interroge sur la capacité d’un condamné à des TIG à plein temps à subvenir à ses besoins, il reconnaît que « cela fait effectivement partie des choses à revoir ».

Le député Georges Okaïs, membre des commissions de l’Administration et de la Justice et des Droits de l’homme et ancien juge, précise de son côté qu’à l’origine, le texte présenté par les Kataëb prévoyait 1h30 de TIG pour un jour de prison. « Mais plusieurs députés ont trouvé cela dérisoire, en conséquence de quoi le texte a été modifié en assemblée plénière », indique-t-il, révélant avoir tout de même voté en faveur de son adoption. Lorsqu’on lui fait remarquer qu’en France la durée des TIG est de maximum 400 heures sur un an et demi, et en Angleterre de 300 heures sur trois ans, des chiffres bien en deçà de ce que prévoit le texte libanais, il répond : « Ces chiffres montrent que le texte est à revoir et je suis prêt à demander son amendement pour qu’il soit aligné sur les pratiques à l’étranger. »

Le 26 juin dernier, les députés libanais approuvaient une proposition de loi instaurant la possibilité d’une peine de travaux d’intérêt général (TIG) pour les condamnés majeurs. Cette loi est une première et, en théorie du moins, une avancée pour le droit pénal libanais. Problème : le texte de loi comporte d’importantes failles qui tendent à faire de ces TIG une option...

commentaires (6)

Citez-nous un domaine dépendant de nos super-responsables: présidents, chefs de, ministres, députés etc. qui ne soit pas défaillant...??? Irène Saïd

Irene Said

14 h 50, le 21 août 2019

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Commentaires (6)

  • Citez-nous un domaine dépendant de nos super-responsables: présidents, chefs de, ministres, députés etc. qui ne soit pas défaillant...??? Irène Saïd

    Irene Said

    14 h 50, le 21 août 2019

  • A quoi s'attendait-on donc de la part de députés eux-mêmes défaillants ?!

    Tina Chamoun

    14 h 47, le 21 août 2019

  • On vote des lois en changeant la premiere mouture sans meme les relire Bravo les deputes vous avez bien merite votre salaire avec tout le temps que vous consacrez a etudier les lois presentes au vote Vous pourriez peut etre engager a vos frais un assistant diplome en etudes juridiques et sans emploie pour vous aider, ca permettra un peu a resorber le chomage

    LA VERITE

    13 h 16, le 21 août 2019

  • "VALETS PARKING" SERAIT UN TRES TRAVAIL SUPER UTILE .

    Gaby SIOUFI

    12 h 17, le 21 août 2019

  • Des amateurs a tous les niveaux

    paznavour

    08 h 53, le 21 août 2019

  • TRAVAUX D,INTERET GENERAL EST UN TERME SI VASTE QU,ON SE PERDRAIT A ESSAYER DE L,EXPLIQUER. CA COMMENCE MEN TE2CHIR EL BASSAL POUR ALLER JUSQU,AUX TRAVAUX FORCES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    05 h 57, le 21 août 2019

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