« Ici le terrain de jeu du leader russe, où il faut choisir entre le régime et el-Qaëda ». Amir, 20 ans, un rappeur originaire de Maarrat al-Noumane, dans la région d’Idleb, pose d’emblée le décor. Dans son premier clip mis en ligne aujourd’hui, le jeune homme, tout de noir vêtu, déambule dans des rues désertes, mais surtout ravagées par les bombardements, dénonçant tour à tour le régime et ses alliés russe et iranien, mais aussi le groupe jihadiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTS), qui contrôle la région.
Amir met en scène des habitants de toute la province, qui, d’un hochement de tête, semblent adhérer à ses paroles qui dénoncent une situation de plus en plus insoutenable. Sa région subit depuis plusieurs mois une offensive de grande ampleur menée par les forces gouvernementales et l’aviation russe, alliée de Damas.
« On a tourné la vidéo lorsque la pression était extrêmement forte sur Maarrat al-Noumane à cause des bombardements. J’ai enregistré mes séquences pendant deux jours, puis j’ai dû fuir et me réfugier dans le nord d’Alep », confie-t-il, via WhatsApp, à L’Orient-Le Jour. « Pourquoi devrais-je être triste ? Pour mon ami qui est mort en martyr ? » dit-il dans son clip. L’artiste a lui-même perdu un frère, Taleb, un journaliste et activiste abattu par les forces policières turques alors qu’il tentait de franchir la frontière syro-turque l’hiver dernier, pour rejoindre Amir déjà en Turquie. Contraint de revenir en Syrie pour soutenir sa famille, le jeune homme a travaillé dans la supérette de son père en journée, tout en composant le soir musique et textes. Dans sa vidéo intitulée Sur tous les fronts, Amir raconte la souffrance de ses compatriotes pris au piège dans cette enclave assaillie quotidiennement. Il y donne aussi sa vision de la situation militaire et politique, dénonçant « les pourparlers de Sotchi » (en référence aux négociations organisées par la Russie) qui n’ont pas pu empêcher les bombardements meurtriers, et critiquant tous les acteurs au conflit. Le jeune rappeur s'attaque, ainsi, à l'ingérence de l’État russe, dont les actes ne sont plus rapportés dans les médias, mettant en parallèle son action et la répression nationale de Moscou contre les stars du rap russe telles que Husky et GONE.Fludd pour prétendue subversion.
La ville de Maarrat al-Noumane est connue pour son rejet de la domination de HTS, qui, à travers un gouvernement autoproclamé, contrôle les rouages de la vie publique. De nombreuses voix se sont élevées contre le groupe extrémiste, notamment lors des manifestations hebdomadaires du vendredi dans la région, afin de dénoncer son emprise et ses abus. « Des faux témoins d’HTS vous accusent de vol, répandent des mensonges sur ce que vous auriez pris quand il ne vous reste plus rien, alors qu’ils sont dans leurs villas avec leurs voitures de luxe et leurs armes », rappe Amir. « Je n’ai peur de personne parce que je sais que j’ai raison et que les témoignages des gens le confirment », répond-il quand on évoque le risque encouru à s’en prendre à HTS. Des activistes et des journalistes, comme l’emblématique Raed Fares en novembre 2018, ont été assassinés par les jihadistes à cause de leurs critiques constantes.
Amir conclut son titre en rappelant comment tous les acteurs de la guerre humilient les « esprits fiers » du peuple syrien – une inversion des paroles d'ouverture de l'hymne national syrien, selon laquelle « nos esprits fiers refusent d'être humiliés ».
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