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Liban - Émigration clandestine

À bord d’une barque de pêcheurs, des migrants se font intercepter au large de Tripoli

Parmi les 41 passagers, essentiellement syriens, figurent trois Libanais.

Cette barque de pêcheurs a été interceptée par la force navale de l’armée avec des migrants clandestins à son bord. Photo tirée du site de la direction de l’orientation de l’armée

Une barque de pêcheurs transportant une quarantaine de migrants illégaux libanais et syriens a été interceptée hier par la force navale de l’armée libanaise, à 28 kilomètres au large des côtes du Liban, à la hauteur d’Enfé et de Kalamoun au Liban-Nord. Selon le communiqué publié par l’armée, 41 migrants se trouvaient à bord de l’embarcation, 17 hommes, 14 femmes et 10 enfants. Parmi eux, trois Libanais. Ils tentaient de quitter clandestinement les eaux territoriales locales vers l’île de Chypre (membre de l’Union européenne), située à 180 km des côtes libanaises. Selon une source informée proche du dossier, les contrevenants ont été appréhendés. Ils sont aujourd’hui entre les mains des services de renseignements de l’armée au Liban-Nord, pour investigation.

Contactées par L’Orient-Le Jour pour comprendre l’ampleur du mouvement, les autorités libanaises préfèrent garder le silence. Au service d’orientation de l’armée, on se contente de rappeler que la force navale multiplie les patrouilles en mer pour intercepter les embarcations de migrants illégaux. On observe aussi que les petites embarcations sont difficilement repérables par les radars, et qu’il arrive que certaines ne soient pas repérées. On souligne au passage qu’on ne dispose pas de plus d’informations et que le dossier relève plutôt de la responsabilité de la Sûreté générale et du ministère de l’Intérieur, car il s’agit de passages frontaliers. Or, du côté de la Sûreté générale, c'est le black-out total. On affirme avoir eu vent de l’information par les médias...


(Lire aussi : Réfugiés : le ras-le-bol des pays voisins de la Syrie)


Parler de recrudescence est « prématuré »

Mais selon une source européenne anonyme proche du dossier, l’incident qui s’est déroulé dans la nuit du 17 au 18 septembre n’est pas unique en son genre. « Le 12 septembre, une petite embarcation a été saisie par les gardes-côtes chypriotes avec à son bord quatre Libanais et deux Syriens. Débarqués à Chypre, ils ont tous déposé une demande d’asile. » Le dernier incident rappelle un précédent drame qui s’est déroulé un an plus tôt. « Un homme est décédé à la même période à bord d’un bateau de pêche en perdition, qui a quitté les côtes libanaises en direction de Chypre avec 40 clandestins », raconte encore la source.

Cette réalité laisse-t-elle craindre la recrudescence du phénomène d’émigration clandestine depuis les côtes libanaises ? « Il est trop tôt pour le dire, car il n’y a pas eu assez d’incidents ni de répétitions, mais plutôt des opportunités saisies par des criminels à travers la voie de passage maritime illégale vers Chypre », ajoute l’expert. Il estime toutefois que cette tendance « répond forcément à l’absence d’une stratégie nationale de gestion intégrée des frontières qui permettrait d’identifier par le fait même la politique migratoire. Car il est de la responsabilité de l’État libanais de contrôler son espace maritime ». De même, « le Liban n’a pas mis en place de ligne officielle de communication sur la question. Il n’existe pas non plus de codification du rôle de chacun des services concernés par le contrôle aux frontières et par la lutte contre le trafic et les migrations clandestines, à savoir l’armée libanaise, la Sûreté générale et les FSI ». Cette stratégie pourrait toutefois être bientôt adoptée en Conseil des ministres.


(Lire aussi : Chypre désormais plus difficilement accessible, depuis le Liban, pour les candidats à l’immigration clandestine)



Un pic d’émigration illégale en 2015

Selon une recherche effectuée en 2016-2017 par l’Institut français pour le Proche-Orient (IFPO) et l’organisation Norwegian People’s Aid sur la jeunesse palestinienne du Liban, « l’émigration palestinienne (légale et illégale, NDLR) s’est engouffrée dans les vagues successives de départs des réfugiés syriens du Liban, qui se sont développées dès 2011 pour atteindre un pic en 2015 », comme l’explique à L’OLJ le chercheur Nicolas Dot-Pouillard. « Le 23 octobre 2015, l’armée libanaise démantelait un réseau de passeurs qui sévissait à Saïda et envoyait en Turquie des embarcations chargées de clandestins, principalement palestiniens du Liban et de Syrie, mais aussi des Libanais », précise encore la recherche intitulée « Future Without Hope » (« l’avenir sans espoir »).

Aujourd’hui, outre les conditions rédhibitoires pour obtenir des visas, il semble que nombre « de routes clandestines soient fermées », fait remarquer un réfugié palestinien du camp de Nahr el-Bared, qui souhaite garder l’anonymat. « L’émigration illégale a donc nettement diminué. » Non seulement « la Turquie est fermée aux clandestins » depuis un accord entre Ankara et l’Union européenne, en 2015, mais « la route par la Syrie est dangereuse », à cause du conflit syrien. Sans compter que « nombre de candidats à l’émigration clandestine sont découragés par le coût élevé du voyage, la peur d’être la proie de passeurs dangereux, les risques de mortalité en mer et les conditions difficiles à leur arrivée en Europe ». « À leur arrivée à Chypre ou en Grèce, les migrants sont incarcérés. Ils sont souvent maltraités. Et si par miracle ils atteignent leur destination finale, ils ne parviennent pas à trouver un emploi. L’Allemagne n’a d’ailleurs pas hésité à refouler nombre d’entre eux au Liban. Ils avaient pourtant trouvé un emploi », rappelle-t-il.


Quitter le pays, une obsession

Il n’en reste pas moins que le Liban regorge de candidats à l’émigration clandestine, principalement le nord du pays. Pour l’ancien député de Tripoli Moustapha Allouche, « quitter le pays est une obsession, aussi bien pour les réfugiés syriens que pour les Libanais ». « Et Chypre est la destination la plus sûre pour l’instant, car c’est la destination européenne la plus proche », précise-t-il. Si « les réfugiés syriens ont perdu tout espoir de rentrer chez eux », vu l’absence de solution politique, les Libanais du Nord rêvent aussi de partir pour l’Europe, car ils sont « doublement touchés par la crise économique et le chômage ». « Pire, ils sont désespérés car l’État les ignore. Ils préfèrent affronter la mort à travers les filières illégales plutôt que continuer à vivre dans le besoin. » Face à cette situation, l’homme politique est certain que l’incident de la veille se répétera très bientôt. « Davantage de clandestins prendront la mer, malgré tous les risques que cette aventure peut comporter » déplore-t-il.

Tout aussi pessimiste, un avocat de Tripoli, Khaled Merheb, soutient que « l’émigration clandestine est l’ultime chance de la jeunesse défavorisée de Tripoli et du Nord. Elle n’en relève pas moins du trafic d’êtres humains  ». « Les jeunes ne supportent plus leur existence inutile et sans issue. Ils n’en peuvent plus de devoir supplier les politiciens pour avoir accès à l’éducation ou aux soins médicaux, affirme ce militant des droits de l’homme. Leur seul objectif est de quitter le Liban et d’arriver en Europe, dans des pays respectueux de leurs droits. Et ils sont prêts à tout pour réaliser leur rêve, même à affronter la mort ou à risquer de tomber dans les filets de passeurs véreux. »

Les candidats au départ vendent alors tout ce qu’ils possèdent. Ils n’hésitent pas non plus à emprunter de l’argent à leurs proches, afin de récolter les 5 000 dollars que leur réclament les passeurs. D’aucuns atteindront leur rêve et l’Europe, où ils résident toujours. D’autres échoueront et rentreront au pays. Nombre d’entre eux perdront la vie…


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commentaires (4)

S'il n'y a pas de ferry légal, les gens sont forcés à quitter clandestinement. Il faudrait faire quelques lignes maritimes régulières légales avec contrôle de papiers etc. et sécurité assuré par les gardes-côtes des deux pays (Liban et Chypre), connection bateau légale et controlé.

Stes David

19 h 52, le 19 septembre 2019

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Commentaires (4)

  • S'il n'y a pas de ferry légal, les gens sont forcés à quitter clandestinement. Il faudrait faire quelques lignes maritimes régulières légales avec contrôle de papiers etc. et sécurité assuré par les gardes-côtes des deux pays (Liban et Chypre), connection bateau légale et controlé.

    Stes David

    19 h 52, le 19 septembre 2019

  • On a une marine?

    Michael

    19 h 46, le 19 septembre 2019

  • On a eu tort d'arraisonner ce rafiot . On aurait mieux fait de le laisser accoster en Europe, nous avons assez de réfugiés chez nous .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 34, le 19 septembre 2019

  • 41 PASSAGERS SUR CE RAFIOT. LES CRIMINELS TRAFICANTS DE MIGRANTS DOIVENT ETRE CONDAMNES ET CE TRAFIC DOIT ETRE BANNI NE FUT-CE QUE PAR HUMANITE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 58, le 19 septembre 2019

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