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Moyen Orient et Monde - 2/3 Le Golfe du futur

Le Golfe, une région durablement stratégique ?

L’exploitation de leurs immenses ressources en matière d’hydrocarbures a permis aux pays du Golfe de devenir en un temps record l’épicentre économique du Moyen-Orient. Leur prospérité et leur stabilité sont toutefois menacées par la baisse des revenus du pétrole. Pour s’adapter à cette nouvelle ère, ces pays se transforment en profondeur sur les plans économique, politique et sociétal. Dans leur logique, le présent n’est qu’une rampe de lancement vers un futur encore plus radieux. « L’Orient-Le Jour » a réalisé une série d’articles pour tenter de comprendre les grands enjeux de cette métamorphose. Deuxième épisode aujourd’hui.

Des pétroliers passant par le détroit d’Ormuz, le 21 décembre 2018. Hamad I Mohammed/Reuters

C’est l’un des passages les plus stratégiques du globe. Large de quelque 50 kilomètres avec une profondeur d’environ 80 mètres, le détroit d’Ormuz concentre 35 % des livraisons mondiales de pétrole. Niché entre la péninsule arabique et l’Iran, le petit couloir maritime qui relie le golfe Arabo-Persique au golfe d’Oman fait l’objet de toutes les attentions depuis quelques mois. Tentatives de sabotage au large des Émirats arabes unis attribuées à Téhéran par les États-Unis, destruction d’un drone américain par les forces iraniennes, arraisonnement d’un navire britannique par l’Iran... l’escalade fait craindre un embrasement de la région.

Selon l’Agence d’information sur l’énergie du gouvernement américain (AIE), le détroit permet de desservir différents marchés, allant de l’Asie aux Amériques, en passant par l’Europe. Véritable hub pétrolier, le Golfe réunit trois des plus importants producteurs mondiaux d’or noir. Deuxième producteur mondial de pétrole après les États-Unis et avant la Russie, l’Arabie saoudite dispose des plus grandes réserves mondiales de pétrole après le Venezuela. Le Koweït et les Émirats arabes unis suivent leur voisin de près dans le top 10 des réserves dans le monde. Un avantage stratégique que la péninsule arabique a acquis graduellement, déclenché par le début de la course aux champs pétrolifères lancée au début du XXe siècle. Le Golfe devient l’un des principaux fournisseurs d’hydrocarbures mondiaux et connaît les fastes de l’or noir jusqu’à la fin des années 2000. Mais depuis quelque temps déjà, les craintes d’épuisement des réserves de pétrole grandissent alors que la production se fait à un rythme effréné. Si les pays du Golfe ne sont pas fortement affectés par la baisse des prix du baril, la diminution de leurs réserves et l’exploitation du gaz de schiste par les États-Unis au cours de ces dernières années les encouragent à penser l’après-pétrole.

Une transition qui ne devrait toutefois pas se concrétiser avant plusieurs décennies, alors que « le mot-clé de notre époque est celui d’interdépendance », explique à L’Orient-Le Jour Karim Émile Bitar, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). « Quand bien même les États-Unis ne sont plus aujourd’hui contraints de devoir importer des ressources énergétiques du Golfe, ils sont toujours dépendants de la prospérité chinoise qui, quant à elle, reste dépendante plus que jamais des ressources énergétiques du Golfe », cite-t-il comme exemple. Gendarme du monde, Washington se doit de prendre en compte la sécurité pétrolière d’une région dont la stabilité est indispensable pour l’ensemble de la planète.


Meneurs de jeu
Outre le pétrole, les pays du Golfe jouissent d’un emplacement géographique à la croisée des mondes, entre l’Afrique et l’Asie de l’Est, en faisant un lieu convoité par les puissances mondiales tant sur le plan économique que militaire. La base d’al-Udeid au Qatar représente la plus grande base militaire américaine au Moyen-Orient avec quelque 11 000 hommes déployés – sur 60 000 au Moyen-Orient. Faisant office de quartier général du commandement central des États-Unis ou encore du commandement central des forces aériennes américaines, elle héberge également le quartier général des forces royales aériennes britanniques (RAF), et Bahreïn accueille une base militaire permanente britannique depuis avril 2018. Des forces américaines du commandement central des forces navales et de la cinquième flotte, dont le centre de commande est partiellement situé à Bahreïn, sont présentes dans les eaux régionales. La France dispose pour sa part depuis 2009 d’une base interarmées permanente à al-Dhafra, aux Émirats arabes unis. Des bases qui témoignent de l’installation durable des puissances occidentales dans la région, bien que celles-ci pourraient procéder, à terme, à une réduction de l’ampleur de leur présence militaire sur place.

Donald Trump a d’ores et déjà annoncé son intention de désengager les États-Unis du Moyen-Orient en souhaitant retirer quelque 2 000 hommes de Syrie suite à la « victoire » contre l’État islamique en 2018. Une décision toutefois contrebalancée par les envois récents de troupes américaines au Moyen-Orient pour contrer la menace iranienne. Une garantie américaine qui pourrait se dissiper dans le cadre de l’après-pétrole où « un parapluie de sécurité américain pour la région devient irréaliste », estime David Mack, ancien ambassadeur des États-Unis aux Émirats arabes unis et chercheur au Middle East Institute basé à Washington, contacté par L’OLJ. « Il y a peu de soutien du public aux États-Unis pour ce type d’engagement qui a été fait par le passé. Il sera important, toutefois, de le supprimer graduellement, de manière appropriée, sur plusieurs années », ajoute-t-il. Au-delà des aspects économique, pétrolier et géographique, deux données devraient primer à l’avenir dans la région : la politique et la géopolitique. Dans un Moyen-Orient fracturé autour du conflit sunnito-chiite, la péninsule arabique apparaît comme un rempart face aux velléités expansionnistes de l’Iran pour former un croissant chiite allant de Téhéran à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas. Pendant que les puissances traditionnelles de la région – la Syrie, l’Égypte ou l’Irak – ont perdu de leur éclat, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis se sont imposés comme les nouveaux meneurs de jeu. À leur tête : le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, et son acolyte, le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed. En partie motivés par leur hantise de la République islamique, ils n’hésitent pas à mettre en place un blocus contre le Qatar en juin 2017 – considéré comme trop proche de Téhéran –, amorcent un rapprochement avec Israël au détriment de la défense de la cause palestinienne et mènent une coalition arabe pour appuyer les forces loyalistes face aux rebelles houthis au Yémen. Une stratégie qui profite aux Occidentaux alors que Riyad et Abou Dhabi dépensent des sommes faramineuses pour alimenter leurs stocks d’armes auprès de Washington, Paris ou encore Londres. À eux seuls, les pays du Golfe combinent pouvoir politique, économique, diplomatique, sécuritaire. Sur le plan religieux, Riyad est aussi à la tête du monde arabe sunnite. Des éléments qui lui permettent d’inscrire son influence au Moyen-Orient et à l’international dans la durée, mais surtout d’être un acteur incontournable pour toute puissance extérieure souhaitant établir une politique arabe.


Realpolitik
Le caractère incontournable sur le plan stratégique de l’Arabie saoudite est pleinement mis en lumière lors de l’affaire Jamal Khashoggi. Alors que la communauté internationale est sous le choc du violent assassinat du journaliste saoudien dans le consulat de son pays à Istanbul en octobre 2018, le président américain refuse de reconnaître la possible responsabilité du prince héritier saoudien dans l’organisation de l’opération, quitte à remettre en question les versions apportées par les agences de renseignements américaines. « Nous ne connaîtrons peut-être jamais tous les faits entourant le meurtre de Jamal Kashoggi. Dans tous les cas, notre relation est avec le royaume d’Arabie saoudite », insiste-t-il en novembre 2018. « Pour les États-Unis, la stabilité dans cette partie du monde – même si c’est une stabilité autoritaire – demeure importante, et l’intérêt n’est pas uniquement économique, mais aussi géostratégique », souligne Karim Émile Bitar. Dix jours plus tard, l’embarras des dirigeants occidentaux est palpable lors du G7 à Buenos Aires, évitant ostensiblement d’être publiquement trop proches de MBS. Seul le président russe Vladimir Poutine adopte le comportement inverse et n’hésite pas à s’afficher fièrement à ses côtés. Le locataire de la Maison-Blanche et le maître du Kremlin sont sur la même longueur d’onde : faire primer la realpolitik avant tout. Les dirigeants européens empruntent doucement le même chemin les mois suivants. S’ils prennent leurs distances avec le dirigeant saoudien de facto, aucun d’entre eux ne choisit de rompre les relations avec le royaume wahhabite et les deux plus grands exportateurs d’armes vers Riyad – Paris et Londres – ne suspendent pas leurs ventes malgré la pression des ONG dans le cadre de la guerre au Yémen.



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C’est l’un des passages les plus stratégiques du globe. Large de quelque 50 kilomètres avec une profondeur d’environ 80 mètres, le détroit d’Ormuz concentre 35 % des livraisons mondiales de pétrole. Niché entre la péninsule arabique et l’Iran, le petit couloir maritime qui relie le golfe Arabo-Persique au golfe d’Oman fait l’objet de toutes les attentions depuis quelques...

commentaires (2)

Et on nous disait que l'Amérique était sur le point de quitter le M.O pour se concentrer sur l'Asie et la mer de Chine , parce quelle avait un excédent de gaz de schiste etc.... Mon oeil c'est du blanc poulet , oui !

FRIK-A-FRAK

12 h 20, le 06 septembre 2019

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Commentaires (2)

  • Et on nous disait que l'Amérique était sur le point de quitter le M.O pour se concentrer sur l'Asie et la mer de Chine , parce quelle avait un excédent de gaz de schiste etc.... Mon oeil c'est du blanc poulet , oui !

    FRIK-A-FRAK

    12 h 20, le 06 septembre 2019

  • ENFANTS DES HYDROCARBURES AVEC LES HYDROCARBURES ILS ONT GRANDI SANS LES HYDROCARBURES ILS DISPARAITRONT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 59, le 06 septembre 2019

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