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Agenda - Hommage à Raymond Ghanem

La moitié d’un éclair au café...

Mon oncle,

Ce soir, je m’apprêtais à passer la soirée à ton chevet, à te veiller, moi qui ai si peur de la grande faucheuse et qui refuse de voir un être aimé sur son lit de mort. Prise par je ne sais quelle détermination qui ne me lâchait pas, j’étais décidée à vivre ce moment avec toi. Je savais que cette nuit serait décisive, que tu n’allais plus tarder à nous quitter. J’ai avisé Douda – qui était esquintée par ses nuits sans sommeil – que je serai à partir de 19h à tes côtés et que je resterai très vigilante, à l’écoute de ton souffle, que je ne risquais pas de m’endormir, qu’elle pouvait me faire confiance et en profiter pour se reposer un moment. J’ai également fait part de ma décision à maman et à mon frère. Mais tu as été plus rapide que moi, tu es parti à la vitesse de l’éclair  ! Alors que je me préparais à venir te retrouver, je reçois un appel de mon frère m’annonçant la mauvaise nouvelle. Je t’avais raté. En roulant vers l’hôpital, je n’avais qu’une seule image en tête : celle de la moitié de l’éclair au café que j’avais réussi à te faire avaler il y a trois courtes semaines alors que tu me racontais tes péripéties avec la morphine et comment tu t’étais retrouvé, à un moment, en perte de repères. Tu n’avais plus rien mangé de la journée. C’était ma petite victoire. Tu m’avais dit qu’il était délicieux cet éclair. Tes repas se limitaient d’ailleurs à deux bouchées par-ci, deux bouchées par-là. Mais mon Dieu ce que tu aimais la vie et comme elle te le rendait bien  ! Bravant la maladie, tu avais réussi à la vaincre et à l’endormir à deux reprises  ! La troisième rechute t’a été fatale. Le mal s’était perfidement infiltré dans tous les recoins de ton corps, t’infligeant des douleurs insoutenables. Mais ta lucidité n’a failli à presque aucun instant, même ces derniers jours où tu réussissais à prononcer encore quelques mots.

Ce lendemain du 15 août, tu avais enfin lâché prise et permis aux substances soporifiques de t’endormir pour pallier tes douleurs aussi physiques que morales. Parce que tu étais conscient que tu allais mourir ; tellement conscient que tu avais planifié jusqu’aux détails les plus infimes ta propre cérémonie funéraire, ainsi que le faire-part rédigé par tes soins  ! Tu es parti entre une inspiration ratée et une expiration de l’âme. En un instant. Comme un éclair. Tu t’en es allé au firmament des étoiles rejoindre les plus scintillantes de notre ciel, baptisées chacune du prénom de nos aimés communs : Cynthia, ma cousine, ton ange de fille, Carine, ma sœur, ton ange de nièce, et Chawki, mon papa, ton beau-frère et compagnon de route… Vous allez donc faire la fête sans nous  ? Comme ça  ?

Non, ce n’est pas la vie qui est injuste, c’est la mort qui l’est, parce qu’elle sépare une moitié d’éclair au café d’une autre, qui devra attendre mon voyage vers l’Éternité pour venir la déposer délicatement dans ta bouche et nourrir ton âme des saveurs terrestres qui t’auraient un peu manqué peut-être  ?

Tu es parti, oui, mais tu continueras de nous parler à travers les gazouillis des oiseaux que tu aimais tant et dont tu m’as inculqué l’amour depuis ma plus tendre enfance, et sois sûr que tous les rosiers du monde nous embaumeront du parfum de ton âme.

Repose en paix, mon oncle bien-aimé, mon «  Akho Mony  ». Ta «  Binda  ».


Mon oncle,Ce soir, je m’apprêtais à passer la soirée à ton chevet, à te veiller, moi qui ai si peur de la grande faucheuse et qui refuse de voir un être aimé sur son lit de mort. Prise par je ne sais quelle détermination qui ne me lâchait pas, j’étais décidée à vivre ce moment avec toi. Je savais que cette nuit serait décisive, que tu n’allais plus tarder à nous quitter....