Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - par Ibrahim EL-DAHER

Lettre ouverte au ministre Gebran Bassil

Monsieur le Ministre

Je me permets de m’adresser publiquement à vous, fort de l’amitié qui nous lie et du respect et de l’estime que je vous porte.

L’ensemble des citoyens vous reconnaissent cette énergie immense et cette constance que vous mettez au service de vos convictions et de vos missions. Tous ceux qui ont eu l’occasion de travailler avec vous vous connaissent infatigable, soucieux de pénétrer à fond dans l’ensemble des dossiers qui vous sont soumis.

Néanmoins, et sans aucun jugement sur vos orientations, vous êtes aujourd’hui tel Janus porteur de deux visages qui ne regardent pas toujours dans la même direction.

Vous êtes tout d’abord un chef de parti libanais, et je précise libanais, non pas pour insister sur votre fibre patriotique ou votre souci d’indépendance, mais pour bien marquer la spécificité des partis libanais par rapport aux pays démocratiques.

Les partis libanais sont dès l’origine des temps à caractère confessionnel dominant et, depuis les accords de Taëf, s’apparentent plus à un système milicien qu’à un parti démocratique. En effet, les séquelles de la guerre ont abouti à ce que l’on perpétue la guerre, sans armes, avec l’esprit des combattants. Le territoire de chaque parti devient finalité, sans souci pour les autres, si ce n’est la conquête et l’élargissement du périmètre au détriment de l’autre ennemi. Cette notion prévaut malheureusement chez les partis qui ont participé à la guerre, les FL, le PSP, Amal et autres, qui par osmose s’est transmise et a contaminé les partis qui auraient dû être les plus à même de mener la reconstruction et la réhabilitation de l’État unitaire, comme le Futur et le CPL.

Or, par définition, cette approche est incompatible au retour de la vie civile. Il est légitime pour un parti d’accroître son influence, mais en s’adressant à l’ensemble du pays, sans qu’il se retrouve dans une ambiance de guerre, pour sécuriser le territoire et grignoter celui des autres.

Par ailleurs, un parti politique, dans les grandes nations, propose une vision de la gestion économique et sociale. Il n’est pas autorisé à remettre en cause le credo national ou le fondement de la nation. Il suffit de rappeler le sort des nationalistes catalans qui, proposant une alternative nationale, ont été poursuivis et condamnés à la prison. La démocratie joue alors à l’intérieur des partis et entre eux, à savoir sur la base de la confrontation des projets de gestion des moyens de production et de la distribution des richesses ; ce qui donne les grandes familles socialistes, libérales, centristes, etc.

Au Liban malheureusement, l’idéologie libérale primaire capitaliste sauvage est la même pour tous de façon transversale, même dans les partis qui ont des bases populaires, plutôt recrutées dans les classes défavorisées, comme les Kataëb, le CPL ou le PSP. Ce n’est pas le cas des partis du BN et du courant des destouriens regroupant plutôt des notabilités.

C’est donc un constat, et sur ce chapitre, on attend de vous trois choses : la première, la démocratie au sein de votre parti avec l’alternance des personnes et des options, loin de l’image du guide de droit divin. La deuxième, exprimer vos choix sociétaux, en harmonie avec votre base, en infléchissant les objectifs vers une primauté sociale assurant la cohésion nationale, et enfin, la troisième, sortir de l’ornière confessionnelle et vous ouvrir, par votre approche transcendante, à tous les partis libanais.

Quant à votre deuxième visage, vous êtes, à n’en pas douter, tout au moins aux yeux de vos compatriotes, le représentant du régime après le président Aoun, dont vous portez les valeurs et les orientations. Votre personnalité et votre engagement accentuent cette identification ; vous donnez l’impression de vous occuper aussi du domaine régalien. On vous prête – on ne prête qu’aux riches – un interventionnisme tous azimuts, jusque dans le choix des ministres et des portefeuilles.

Cette situation amène à des confusions multiples.

D’abord, de façon caricaturale, au niveau du poids du président de la République au sein du gouvernement, puisque cela l’amène à potentiellement se retrouver en minorité permanente. En effet, si l’on suppose que dans une autre configuration, le parti du président devient minoritaire à l’Assemblée et si l’on admet que les gouvernements doivent absolument être d’union nationale, ou plutôt représenter tous les partis au Parlement en donnant une part au président qui est symbolique, 3 sur 30, cela implique que l’on admet qu’il puisse rentrer dans une configuration de majorité et de minorité, et qu’on l’expose au risque de le voir constamment en minorité.

Cette conception n’était pas dans Taëf, et permettez-moi de l’évoquer, ayant eu l’occasion en son temps de suivre de près sa genèse. C’est plutôt le fait d’un compromis ponctuel établi à Doha, qui a par ailleurs assis cette notion de fausse union nationale. Une union nationale se bâtit autour de programmes précis de gouvernement, consentis par les partis au prix de concessions mutuelles préalables à la formation du gouvernement. Ce n’est pas une arène où on étale au grand jour les divisions meurtrières et paralysantes.

Le président est le symbole de l’État, son représentant, garant de l’unité nationale. Il peut venir d’un parti, mais il doit s’en affranchir pour s’élever au-delà. Je reconnais que le dysfonctionnement touche aussi le poste de Premier ministre qui, aux termes de la Constitution, est avec le président à la tête de l’exécutif, mais il n’en a pas l’autorité exclusive puisque le pouvoir est confié au gouvernement réuni (dans son ensemble) ; la dérive de l’exercice a amené à concentrer ces pouvoirs en ses mains.

Sur le plan institutionnel, vous avez donc deux positions difficilement convergentes.

Pour redonner confiance aux Libanais et les ramener vers l’État réhabilité, il aurait été plus judicieux dans une période transitoire de laisser les deux présidents s’entourer d’une équipe de professionnels politiques essentiellement autonomes ne relevant pas des partis. Ils auraient ainsi donné un signal de réformes non partisanes et non confessionnelles, bénéficiant de l’appui de la grande majorité des Libanais. Quitte à ce que, peu avant l’échéance électorale prochaine, un gouvernement partisan reprenne les rênes pour assurer le carburant des forces politiques, les fameuses « khadamate » خدمات.

Les premières réactions aux premières mises en cause dans les dossiers de corruption n’ont donc pas manqué d’évoquer la partialité et les finalités politiques pour neutraliser toutes les accusations. Une grande partie des Libanais, au vu de ces premières réactions, doutent de la possibilité de mener les réformes et de freiner et combattre la corruption.

Vous êtes interpellé à double titre donc car, en cas d’échec, qui serait dramatique pour le Liban, il vous sera doublement imputé.

Avec plein d’espoir.

Ibrahim EL-DAHER

Ancien ministre

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Monsieur le MinistreJe me permets de m’adresser publiquement à vous, fort de l’amitié qui nous lie et du respect et de l’estime que je vous porte.L’ensemble des citoyens vous reconnaissent cette énergie immense et cette constance que vous mettez au service de vos convictions et de vos missions. Tous ceux qui ont eu l’occasion de travailler avec vous vous connaissent infatigable,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut