(Cet article a initialement été publié le 9 avril 2019, année d'élections législatives en Israël. Dans le contexte de la guerre opposant le Hamas à Israël depuis le 7 octobre 2023, nous vous le proposons à (re)lecture)
Le 28 décembre 1968, à 20h37, trois hélicoptères Frelon s’envolent de la base aérienne de Ramat David, au sud-est de Haïfa. La formation vire légèrement à l’Ouest, puis se resserre au-dessus du kibboutz de Roch Hanikra, bâti à l’intersection du littoral méditerranéen et de la frontière libanaise. De là, elle met le cap au Nord et ne changera pas de trajectoire jusqu’à l’objectif fixé. Les trois appareils atterrissent en trois points différents de l’Aéroport international de Beyrouth et déversent une vingtaine d’hommes chacun. Il est aux alentours de 21h20 quand le soldat Benjamin Netanyahu, 19 ans, foule le sol libanais.
L’essentiel de son passé militaire demeurant classifié à ce jour, rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit de la première fois. Le compte rendu le plus complet publié par l’armée israélienne sur l’opération T’choura (cadeau) se focalise sur les détails techniques et ne met aucune action personnelle en avant, si ce n’est celle du lieutenant-colonel Cohen et du brigadier général Raphaël Eytan, qui supervisent l’ensemble du dispositif. Benjamin Netanyahu et 61 autres soldats ont sélectionné 14 avions de ligne appartenant à des compagnies arabes et placé des charges explosives sous les trains d’atterrissage et le nez de chaque appareil. Moins d’une demi-heure plus tard, ils remontent à bord des Frelons. Les détonations se produisent pendant le voyage retour vers Israël. Les carcasses carbonisées des 14 appareils, pour la plupart propriété de la Middle East Airlines, sont un acte de représailles au détournement des vols El Al par des commandos du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) en juillet et décembre 1968.
C’est en tant que soldat que l’actuel Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a eu son premier rapport avec le monde arabe. Au sein de l’unité Sayeret Matkal, spécialisée dans les infiltrations transfrontalières aux fins de renseignements et d’action, il visite la région pendant quatre ans et demi. En Égypte, en 1969, il est à deux doigts d’y passer. Pendant une traversée du canal de Suez, son commando est détecté par les soldats égyptiens. Sous le feu, il passe par-dessus bord. Lesté par son équipement, il est aspiré vers le fond, jusqu’à ce que quatre mains le tirent in extremis du dernier sommeil.
Ses frères, Jonathan et Iddo, ont également servi dans l’unité. Le premier est mort en 1976 à Entebbé, en Ouganda, durant un raid visant à libérer les 106 otages détenus à bord de l’Airbus A300B4, détourné par un commando germano-palestinien.
La mémoire de Jonathan Netanyahu est une source d’inspiration et de légitimation inépuisable pour son frère. Dans le story-telling de « Bibi », le raid d’Entebbé a changé sa vie, car c’est le désir d’honorer le sacrifice de son frère qui l’aurait jeté, presque à son corps défendant, dans le grand bain politique. La chronologie est contestable, Benjamin Netanyahu s’étant fait remarquer bien avant sur le campus du Massachusetts Institute of Technology (MIT), où il a tenté de rallier la représentation diplomatique israélienne locale à ses campagnes estudiantines de « sensibilisation » à la cause de l’État hébreu.
Mais dans la légende personnelle de Benjamin Netanyahu, la création du Yonathan Institute for the Study of Terrorism est la première pierre de son engagement. En juillet 1979, Jérusalem accueille la première conférence du think thank, avec pour intervenant-star l’ancien directeur de la CIA George H. W. Bush. La conférence donne un avant-goût des thèmes qui structureront plus tard son approche du Moyen-Orient. L’idée principale est que les « terroristes » n’agissent jamais de leur propre chef et sont toujours soutenus par un État. « La plupart du terrorisme international qui a meurtri le monde de la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1980 étaient le produit d’une alliance ad hoc entre le bloc soviétique et les régimes arabes dictatoriaux », écrit Benjamin Netanyahu dans son livre Combattre le terrorisme, publié pour la première fois en 1995, une somme de ses réflexions sur le sujet.
Dans la rhétorique de Benjamin Netanyahu, les fedayine palestiniens sont un instrument au service de projets d’États, d’abord soviétiques, puis irakiens et enfin iraniens. L’objectif politique est très clair : délégitimer la cause palestinienne en l’associant à la lutte contre le terrorisme. Après les événements du 11-Septembre, Benjamin Netanyahu ne manquera pas une occasion de développer son argumentaire auprès des Occidentaux cherchant à les persuader qu’ils luttent contre le même ennemi.
Alignement de planètes
Au fil de sa carrière, Benjamin Netanyahu a adapté ses arguments à l’air du temps, mais le fond idéologique a fait preuve d’une constance indéniable. Il en récolte les premiers fruits le 15 avril 1986. Après un attentat dans une discothèque à Berlin qui fait trois morts dont deux Américains, Ronald Reagan ordonne des frappes aériennes sur des cibles militaires en Libye. Le Palestinien qui portait la ceinture d’explosif avait été financé et supervisé par le régime de Mouammar Kadhafi, une accusation confirmée par la cour d’assise de Berlin en novembre 2001. Pour M. Netanyahu, alors ambassadeur d’Israël aux Nations unies, c’est une aubaine. Il se fait une joie de défendre les États-Unis isolés au sein de l’Assemblée générale, qui vote une résolution condamnant les frappes.
La guerre du Golfe présente cependant l’alignement de planètes le plus aboutie. Le 18 janvier 1991, une première salve de Scud irakiens s’abat sur la banlieue de Tel-Aviv. L’OLP de Yasser Arafat a lié son destin à celui de Saddam Hussein, mais le gros lot intervient avec les images de Palestiniens qui dansent sur les toits des maisons en Cisjordanie à la vue des Scud fusant sur Israël. Benjamin Netanyahu ne gâchera pas une seule minute de la guerre, qu’il met à profit pour courir les studios de télévision étrangers. Il insiste pour garder son masque à gaz pendant les interviews et inflige la même punition à ses intervieweurs, malgré les ajustements techniques nécessaires pour que leurs voix restent audibles.
« Un pays arabe (l’Irak) a envahi un second pays arabe (le Koweït) tout en menaçant d’autres pays arabes (l’Arabie saoudite et les pays du Golfe). Mais les diplomates occidentaux ressassent encore que la paix au Moyen-Orient est inatteignable sans résolution du problème palestinien », déplore-t-il. En avril 1993, cinq mois avant la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin sur la pelouse de la Maison-Blanche, il expose sa manière de parvenir à la paix dans un livre intitulé Une place parmi les nations. L’idée générale est que la paix avec les Palestiniens est impossible tant que l’ensemble du Moyen-Orient ne baigne pas dans la paix et la démocratie, car toute tentative de parvenir à un accord serait sabotée par l’Irak, l’Iran ou des forces émanant de la majorité des Arabes qui vouent, selon lui, une haine quasi génocidaire à l’encontre de l’État hébreu. Le règlement du conflit israélo-palestinien viendra après l’éviction des régimes dictatoriaux, la ruine de l’islamisme, de la malnutrition, du choléra, le triomphe du libéralisme et de l’éducation pour tous. Autrement dit, jamais, dans l’esprit de « Bibi ».
Cohérence et cynisme
L’histoire arabe de Benjamin Netanyahu comprend un chapitre qui revient tout le temps à intervalles réguliers, jusqu’à devenir une obsession qui phagocyte l’ensemble du récit : l’Iran. La République islamique a beau ne pas faire partie du monde arabe, elle est le prisme à travers lequel le Premier ministre israélien construit sa vision de celui-ci. Il va faire de la lutte contre le défi iranien son principal cheval de bataille sur la scène internationale, et ce depuis 1996 et son premier discours devant le Congrès américain.
Il se démarque de ses prédécesseurs en « relevant le profil » de la doctrine Begin, du nom de l’ancien Premier ministre Menahem Begin, qui s’était juré qu’aucun adversaire de l’État hébreu au Moyen-Orient ne serait jamais autorisé à acquérir l’arme nucléaire. Le maître-mot était de faire profil bas. Pour Ariel Sharon, l’Iran devrait devenir le problème du monde entier, pas seulement d’Israël, qui ne devrait pas jouer le premier rôle dans cette bataille. Benjamin Netanyahu est, lui, persuadé qu’Israël doit tirer la sonnette d’alarme. Il assume le bras de fer public avec l’Iran, accélère les opérations pour empêcher Téhéran d’acquérir l’arme nucléaire et ne manque pas une occasion d’« alerter » la communauté internationale sur la menace iranienne. Si l’Iran est le principal ennemi de l’État hébreu, du fait de sa rhétorique antisioniste et de son soutien à plusieurs groupes armés qui mènent des opérations contre Israël, il est aussi perçu comme une menace par une partie du monde arabe. C’est au nom de cette vision commune que le Premier ministre israélien a amorcé un rapprochement historique avec les pays du Golfe dont le double objectif est de faire front commun contre l’Iran et d’isoler les Palestiniens. Dans les années 1960, Israël nouait des alliances avec la Turquie et l’Iran du chah pour contourner l’hostilité du monde arabe. C’est désormais aux pays arabes dits modérés qu’Israël tend la main pour contourner l’hostilité iranienne. Et pour pouvoir continuer à traiter la question palestinienne comme un simple sujet de sécurité intérieure. L’histoire arabe de Benjamin Netanyahu ne manque ni de cohérence ni de cynisme.
Vous écrivez: “L’idée générale est que la paix avec les Palestiniens est impossible tant que l’ensemble du Moyen-Orient ne baigne pas dans la paix et la démocratie, car toute tentative de parvenir à un accord serait sabotée par l’Irak, l’Iran ou des forces émanant de la majorité des Arabes qui vouent, selon lui, une haine quasi génocidaire à l’encontre de l’État hébreu.” Avec ce qui s’est passé le 7 octobre 2023, et en regardant la réaction de “la rue” arabe, tant au Proche-Orient qu’en Europe, est-il permis d’en douter? Plus loin, vous lui attribuez, sur un ton de dérision, la pensée suivante: “Le règlement du conflit israélo-palestinien viendra après l’éviction des régimes dictatoriaux, la ruine de l’islamisme, … et de l’éducation pour tous.”. En doutez-vous? Plus d’arabes sont morts aux mains de régimes arabes dictatoriaux que dans toutes les guerres israélo-arabes réunies. Et l’éducation séculaire pour tous n’est-elle pas le meilleur moyen d’atteindre une paix durable? Think!!!
16 h 40, le 30 octobre 2023