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Lifestyle - La Mode

Chanel entre neige et larmes, le défilé « in memoriam »

Karl Lagerfeld avait exigé des funérailles intimes, mais la maison Chanel lui a dédié un adieu grandiose, tout en beauté et en émotion, lors de la semaine parisienne du prêt-à-porter automne-hiver 2019-20. Sous la verrière du Grand Palais, comme de tradition, un village de montagne sous la neige et le raffinement d’une collection qui était sa dernière.

Cara Delevingne défilant pour la collection prêt-à-porter Chanel automne-hiver 2019-2020. Photo AFP / Christophe Archambault

Quelques chalets cossus aux toits recouverts de neige artificielle, alignés le long d’une allée elle-même enneigée au bout de laquelle trône un chalet grand comme un hôtel de villégiature : le Chalet Gardénia. Tout autour, un trompe-l’œil de montagnes et de précipices. Les invités sont installés sur des gradins construits devant chaque structure. Karl Lagerfeld le savait-il, en signant cette dernière collection pour la célèbre marque au double C qu’il a si glorieusement ressuscitée ? Il fallait bien toute cette neige pour dire le deuil et le sentiment de perte qui régnait sur le défilé Chanel, le 5 mars courant, quelques jours après la disparition du créateur. Il y eut une minute de silence, respectée avec dévotion. Et puis la voix enregistrée du Kaiser avec cet extrait d’interview : « Quand on m’a proposé (Chanel), tout le monde m’a dit «ne prenez pas ça, c’est nul, c’est cuit», parce que aujourd’hui on est dans la réanimation des marques les plus absurdes, mais à l’époque ça ne se faisait pas. Il fallait des noms nouveaux, il y avait un autre monde à construire, je ne sais pas quoi, et j’ai trouvé ça quand même assez fascinant, le personnage et tout. Quand on me l’a proposé une deuxième fois j’ai accepté parce que tout le monde me disait «ne le faites pas, ça ne marchera pas». Mais c’était la première fois où une marque était redevenue un truc de mode, apparemment qui donne envie. Même la reine d’Angleterre… Je n’oublierai jamais quand elle est descendue de la voiture, et on avait soigné le décor, je peux vous dire, on avait mis une fortune en fleurs et tout. Elle dit en anglais : “Oh, it’s like walking in a painting !” et ça j’oublierai jamais. »

De la grisaille à la couleur

« Like walking in a painting » serait peut-être l’effet que Karl Lagerfeld cherchera toujours à reproduire tant dans les décors que dans les collections qu’il crée pour Chanel. Des dizaines de mannequins, en tête desquels Cara Delevingne, l’un de ses modèles fétiches, et surtout Penélope Cruz, sa dernière égérie, évoluaient comme autant de petits personnages anonymes dans le silence blanc, l’infusant d’une animation gracieuse. Chacune de ces femmes – sublimes dans des capes de beau drap de laine fluide ou des pulls jacquard traditionnels revisités, des pantalons Palazzo ou des knickerbockers, des ensembles pied-de-coq ou tartan aux motifs surdimensionnés comme réalisés sur mesure pour être vus à travers le brouillard – semblait de sortie, quelque part au début du siècle dernier, pour un thé chez des voisins ou quelque prétexte couvrant un rendez-vous amoureux. La première partie du défilé se déclinait exclusivement en noir, blanc et gris, un peu de marine et de beige, une palette qui permettait d’entériner le deuil avec élégance avant d’introduire la couleur, d’abord par petites touches de pourpre, ensuite en aplats de fuchsia, et puis, petit à petit, d’une harmonie de verts et de turquoise aussitôt recouverte d’une tempête de blanc sublime sur des modèles floconneux sertis d’or et d’argent.

Un final entre beauté et larmes

On a vu des doudounes, le vêtement d’extérieur sine qua non de ces deniers hivers, indispensable pour sa légèreté et son efficacité, mais qui laisse les créateurs dubitatifs en raison de sa fâcheuse propension à détruire une silhouette. Sous la plume de Karl Lagerfeld, conjuguée au talent de son bras droit et héritière Virginie Viard, l’incontournable doudoune réussit l’exploit de se faire sensuelle, nonchalante sur l’épaule, étranglée à la taille, désirable comme une robe de soirée. Capes et manteaux ne sont pas en reste avec leur coupes généreuses et leur allure altière, digne des cours des derniers empires d’Europe. Gageons que les accessoires vont faire fureur : snowboots traités comme des sandales à lanières ou sabots de fermières, minaudières en cuir et fourrure glissées sur une ceinture, bijoux couture bien présents, destinés à revamper le côté nature de la maille. Comme dans Casse-noisette, le tableau final, conduit par Penélope Cruz dans une robe courte blanche à jupon boule en fourrure et haut rebrodé d’étoiles scintillantes, ressemblait à une émouvante chute de flocons sur le souvenir d’un créateur qui restera longtemps une référence, ne serait-ce que pour le génie avec lequel il a redonné vie et consistance à une marque à laquelle nul ne croyait plus. Au dernier tour de piste, Cara Delevingne a tendu la main à un mannequin en larmes et tout un groupe de beautés endeuillées s’est resserré, uni dans un même chagrin, sous les applaudissements des spectateurs à la fois éblouis et émus, tandis que s’élevaient les accents de Heroes de David Bowie : « Oh we can be heroes just for one day ».

Quelques chalets cossus aux toits recouverts de neige artificielle, alignés le long d’une allée elle-même enneigée au bout de laquelle trône un chalet grand comme un hôtel de villégiature : le Chalet Gardénia. Tout autour, un trompe-l’œil de montagnes et de précipices. Les invités sont installés sur des gradins construits devant chaque structure. Karl Lagerfeld le...

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