Au Liban, on a définitivement le sens de l’hospitalité. On aime recevoir, on sait recevoir. Et souvent, on la joue à la granda. Un dîner ou un déjeuner sont souvent des branle-bas de combat. On frétille dans la cuisine. Viande, poulet, poisson. Et désormais, gluten free, paléo, vegan ou keto. On sort l’artillerie : nos plats qui ont du succès, ces plats – on le sait – que les convives aimeront. Et on innove, tendances obligent : quinoa, kale, prosecco... Et quand on ne sautille pas derrière les fourneaux parce qu’on n’a jamais vraiment été un cordon-bleu, on fait appel à un traiteur. Le même que chez Maïssa, la voisine d’en face. Comme ça, on est sûr de ne pas se tromper. Même menu aussi, un menu à la mode du moment. On s’amuse et on joue à Top Chef en privilégiant la fusion ou le sweet and sour dans un plat traditionnel, genre fassolia à l’eau de fleurs d’oranger. On aime manger et on est bien décidé à bien faire manger les autres.
Au Liban, comme souvent, on a des habitudes assez spéciales. On dresse la table (ou plusieurs), on met les petits plats dans les grands. On sort le service Roussé et l’argenterie, la porcelaine, le cristal. On opte pour une nappe aghabani ou des sets de table. On met de petites salières, un petit pot à cure-dents (même si le savoir-vivre l’interdit), des fleurs, des bougies. On parsème la table de petites paillettes. Bref, on décore. Et on précise à nos invités que mardi soir, on dîne à la maison… simplement.
Rien n’est jamais vraiment simple au Liban. Et même si la tendance est à la coolitude, genre marmite à même la table, plat unique et arak comme boisson (la cuisine libanaise connaît un retour en force), la plupart des gens aiment bien en mettre plein la vue aux invités. On aime ça, indéniablement. L’hôtesse sera sur son 31. Un vrai 31. L’hôte fera péter les bouteilles. Et quel que soit le milieu dans lequel on évolue, on fera en sorte de bien accueillir. La soirée peut commencer. Tout le monde est en retard comme d’habitude. L’arrivée se fait entre 21h30 et 22h00. On ne sait pas pourquoi, mais il n’est pas coutume d’aller chez les autres aux alentours de 20h00. On a toujours mille et une raisons : les enfants, le sport, la douche, les embouteillages. Dès qu’on dépasse un certain nombre de convives et qu’on a un peu les moyens, va pour le serveur. Il ouvre la porte, vous retire des mains la bouteille ou le petit cadeau que vous avez apportés, sert du champagne, propose des amuse-bouches. Ça peut être du gingembre confit tout comme un mix de festo2. On s’assoit dans un des salons ouverts pour l’occasion. On ne va tout de même pas recevoir dans la TV room où on passe le plus clair de notre temps. Et les couples se divisent. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Allez comprendre. Quand ça ne se fait pas naturellement, ce sont parfois les hôtes qui nous indiquent où se mettre. Ça piaille d’un côté, ça se gausse de l’autre. On a cette étrange impression, quand on n’est pas habitué à ce genre de rituel, qu’hommes et femmes n’ont pas de sujets de discussion communs. On est censés parler chiffons, enfants et personnel de maison dans le petit salon bleu ; voitures, fric et cigares dans le salon principal.
On passe à table. Enfin, sur les tables. Il y a la grande de la salle à manger et deux petites rondes un peu plus loin. Genre, la table des enfants. Recevoir 8 personnes d’un coup et dîner tous ensemble, ce n’est pas le truc de la maîtresse de maison. « Je dois rendre. » Et ça fera 24 personnes au total. Une tablée de 12 et deux de 6. Manque de pot, on est sur la table des octogénaires. La table des enfants, quoi. Ils ont sommeil. Normal, il est 22h45. Entrées, plats, desserts et fruits : le buffet est servi. Et la salade n’est pas assaisonnée. « Haram, s’il reste de la verdure. » Sauce à part, coincée entre le plat de pâtes aux champignons et le gigot oriental. Tant pis pour ceux qui n’aiment pas l’agneau. Évidemment, il y a trop de bouffe et il en restera trop. Tout le monde est au régime et tout le monde a une allergie à quelque chose. À peine le repas terminé, les premiers partants sont sur le qui-vive. Il se fait tard. Certains prendront un café blanc, d’autres un café turc, que la maîtresse aura soigneusement comptés sur les 10 doigts de ses mains. On remercie et on continue nos petits small talks sur le perron. Hadith el-ascenseur. Le lendemain, on enverra un message pour dire « Merci, c’était très agréable » (preuves à l’appui, les photos qu’on a postées sur Instagram), alors qu’on venait de déblatérer sur ce dîner méga chiant. Quelques semaines plus tard, on rendra à notre tour.
commentaires (7)
Attention de ne pas prononcer "café turc" s'il y a des arméniens parmi les convives. Café libanais ça passe partout !
Shou fi
15 h 23, le 02 mars 2019