La corruption est un fléau qui freine le développement de nombreux pays. Elle appauvrit les plus fragiles et met en danger les populations. Par exemple, lorsqu’un entrepreneur verse des pots-de-vin pour obtenir la construction d’un pont ou d’une route, soit ces pots-de-vin seront répercutés sur le prix payé par l’État – donc par le citoyen –, soit le prix est le même mais la construction n’aura pas la qualité et les exigences de sécurité requises. En outre, la corruption mine la confiance du citoyen et des investisseurs, et elle nuit au moral de la population qui doit subir les conséquences de décisions préjudiciables prises par des personnes corrompues ou payer des pots-de-vin pour obtenir des services auxquels elle a pourtant droit. La lutte contre la corruption est devenue une des principales revendications des citoyens, que ce soit dans les pays émergents ou même dans certains pays développés. C’est dans ce contexte que plusieurs hauts responsables politiques soupçonnés de corruption ont été chassés du pouvoir ces dernières années (Brésil, Corée du Sud, Afrique du Sud, Guatemala…). De nombreux pays ont édicté des lois très strictes dans ce domaine et les poursuites des contrevenants se sont multipliées dans un contexte de coopération internationale accrue. C’est ainsi que plusieurs entreprises et leurs dirigeants, mais également des agents publics et politiciens de haut rang, ont été condamnés à de lourdes peines dans leurs pays ou par des pays étrangers comme la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis.
Exemplarité
En quelques années, les mentalités et les exigences ont évolué, et ce qui était toléré il y a encore peu de temps ne l’est plus aujourd’hui. La corruption ne se résume plus à des enveloppes d’espèces : elle peut prendre la forme de cadeaux ou d’invitations de valeur visant à influencer indûment des décideurs, ou d’emplois offerts à leurs proches.
Au Liban, la lutte contre la corruption est une des principales exigences de la population, et le président de la République l’a érigée en une priorité de son mandat. Les bailleurs de fonds internationaux, dont ceux de la conférence CEDRE d’avril dernier, en ont fait une condition pour débloquer les montants promis. La corruption gangrène, depuis de longues années, plusieurs secteurs au Liban, et son éradication n’est pas une tâche aisée. Elle requiert, au-delà de la volonté affichée de la combattre, des mesures drastiques qui devront être réellement mises en œuvre. Les exemples suivants, qui ne sont pas exhaustifs, en sont une illustration.
D’abord, ce que les Anglo-Saxons désignent par le « tone at the top », qui consiste à montrer l’engagement réel des plus hautes instances et corps de l’État dans le combat contre la corruption, notamment en termes d’exemplarité et à travers des actions et des sanctions emblématiques dissuasives aussi bien pour la grande corruption que pour la corruption du quotidien.
Deuxièmement, la création d’une agence ou d’une autorité dédiée à la détection, la prévention et la poursuite des actes de corruption et des infractions d’atteinte à la probité, qui serait composée de magistrats, d’agents et d’enquêteurs spécifiquement formés à la matière. Elle devra être statutairement indépendante pour pouvoir exercer sa mission à l’abri des immixtions politiques.
Troisièmement, le respect, dans les faits, de l’indépendance de la justice et de la tolérance zéro en matière de tentatives de pression ou de corruption concernant des magistrats.
Quatrièmement, plus de transparence dans les procédures d’appels d’offres publics afin de limiter les collusions et les attributions arrangées de marchés publics.
Changement des mentalités
Cinquièmement, la prévention et le traitement des situations de conflits d’intérêts. Il convient notamment d’éviter que des responsables politiques ou de l’administration ayant des intérêts financiers directs ou indirects dans un projet puissent participer, de quelque façon que ce soit, à la prise des décisions par l’administration concernant ce projet.
Sixièmement, la poursuite de la numérisation des formalités dans l’administration afin de limiter les possibilités de sollicitations de pots-de-vin.
Enfin, et c’est peut-être l’élément le plus important : un changement dans les mentalités des citoyens qui, pour certains d’entre eux, voient la corruption comme un acte presque normal de la vie quotidienne ou comme une « chatara » (une bravade) et qui prennent parfois eux-mêmes l’initiative de corrompre pour tenter d’obtenir une décision illégale ou de contourner la loi. Nul doute que les efforts importants déployés par les associations et organisations spécialisées contribueront peu à peu à changer cette culture et amener les électeurs à sanctionner dans les urnes ceux qui pillent le pays.
Il faut être réaliste, le Liban n’est pas la Suisse et tout ne changera pas du jour au lendemain, mais la situation est telle que la marge de progression est grande et l’espoir est assurément permis. La corruption, à l’origine de beaucoup des maux dont souffre le pays, est une atteinte insupportable aux droits du peuple. Elle justifie un combat déterminé et sans faille !
par Christian DARGHAM
Avocat associé au sein du cabinet Norton Rose Fulbright à Paris. Enseignant à Sciences Po Paris.
commentaires (8)
Le mieux pour lutter contre la corruption dans ce pays c'est qu'il n'y ait plus d'argent. Êtes-vous sûr que c'est ce que vous voulez?
M.E
14 h 46, le 14 janvier 2019