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Liban - loisirs

La cueillette des champignons au Liban : potentiellement belle, mais encore inexploitée

Une page Facebook est la seule solution offerte aux randonneurs locaux pour ne pas s’intoxiquer.

Un leucopaxillus de près de 30 centimètres trouvé à Broummana. Photo de Dany Saab/Flora of Lebanon in pics

Samedi 15 décembre : dans la forêt d’Azer, dans le Akkar, Sandra Sleiman s’active à la recherche de champignons, à demi cachée par la broussaille et les feuilles tombées des arbres. Cette étudiante en master 2 en gestion et conservation des ressources naturelles à l’Université libanaise récolte ces organismes vivants – non pas pour sa consommation personnelle, mais pour son mémoire de recherche portant sur la diversité des champignons présents en abondance sur le territoire libanais. Un drôle de passe-temps pour un samedi après-midi, mais cette étudiante est passionnée : « Quand l’idée de me lancer dans une recherche sur les genres de champignons qui poussent au Liban m’est venue, je me suis précipitée pour envoyer un mail à Jean Stéphan (expert écologiste et professeur assistant à l’Université libanaise) en la lui exposant et en lui demandant s’il y avait quelque chose à faire à ce sujet. Sa réponse a été qu’il n’y avait pas d’experts au Liban. » C’était une façon de l’encourager. Elle marque une petite pause, le sourire aux lèvres, avant d’ajouter : « Je pense que nous en aurons bientôt. »

Professeur adjoint à la faculté des sciences de l’UL, dans le département des sciences de la vie et de la terre, depuis 2008, Jean Stéphan avait créé une page Facebook dédiée, en partie, à la cueillette des champignons, Flora of Lebanon in pics. C’est en observant l’intérêt croissant de ses étudiants pour les réseaux sociaux qu’il avait ouvert cette page interactive sur la flore libanaise et les différentes espèces découvertes au hasard d’une promenade ou d’une randonnée. Aujourd’hui, il est le premier à être étonné du succès de sa page : « Nous avions commencé avec un petit nombre d’amateurs de photographie, de biologistes, d’écologistes, et nous nous retrouvons aujourd’hui avec plus de 2 400 membres que nous filtrons régulièrement pour ne pas avoir des gens qui ne sont pas forcément intéressés par le domaine. »

Des experts canadiens, roumains, portugais et français interviennent sur la page et répondent aux questions de plus en plus nombreuses des internautes libanais, en postant des commentaires sous leurs photos. La page n’est pas dédiée aux champignons, mais Jean Stéphan a vite constaté l’intérêt des Libanais pour leur cueillette et leur consommation. Cet intérêt explose en ce moment : « Depuis l’automne, on a une interaction en hausse, plus significative. Les gens postent des photos de champignons dans l’espoir de pouvoir les identifier, de voir s’ils sont comestibles ou pas. » Selon lui, l’intérêt démontré pour les champignons reflète un besoin de la part des membres du groupe, qui représente quand même une proportion de la population libanaise, laquelle veut connaître ce genre d’organismes vivants, pour pouvoir mieux les apprécier et les éviter quand il le faut.


Aller plus loin
L’abondance des pluies depuis novembre jusqu’à aujourd’hui a favorisé une croissance des champignons dans les bois et les forêts. La saison de la cueillette des champignons, s’il y en avait une, aurait été particulièrement réussie. Ce n’est pas que les Libanais ne s’y intéressent pas. Ils le sont depuis qu’ils sont de plus en plus nombreux à faire des randonnées et à aller à la découverte de leur pays, de sa faune et de sa flore. Le problème, c’est que ces randonneurs sont tous dans le noir dès qu’il s’agit d’identifier les espèces comestibles. Au fil de leurs promenades dans les bois, les internautes prennent des photos, les postent sur la page Flora of Lebanon in pics et posent tous la même question : quelle est cette espèce ? Est-ce un champignon comestible ou vénéneux ?

C’est que les champignons sont bien prisés au Liban et entrent dans de nombreux plats. Le problème est qu’il n’y a pas, comme en France par exemple, une structure pour aider les cueilleurs à identifier les espèces qu’ils récoltent.

La page Facebook offre une aide ponctuelle bienvenue mais insuffisante pour correspondre au niveau d’expertise nécessaire afin d’identifier correctement cet organisme. Et cela, Jean Stéphan le concède : «Il faut aller encore plus loin dans l’identification et l’inventaire des champignons. » Personne n’a encore mené jusqu’au bout cet inventaire, ce qui s’explique par une absence de culture de la cueillette d’après le professeur, restreinte à de petites localités où les habitants connaissaient bien certaines espèces.

Cette tradition s’est perdue au fil des ans, selon lui, mais les voyages des Libanais et le retour de membres de la diaspora libanaise dans le monde ont nourri un intérêt croissant pour la consommation locale. L’importance du travail de recherche de son étudiante se justifie également par l’afflux de populations de réfugiés syriens. « Pour les Syriens, la cueillette des champignons était une habitude. Lorsqu’ils sont venus ici et dans leur situation économique et sociale précaire, ils ont cherché bien sûr à assurer une partie de leur sécurité alimentaire et de leurs repas en cueillant tout ce qu’ils peuvent trouver dans la nature, chose qu’ils faisaient déjà chez eux. »

Certains champignons présents sur le sol libanais peuvent ressembler, au premier abord, à ceux que les réfugiés avaient l’habitude de consommer chez eux, sans risque. Un drame, selon le professeur : « Plusieurs personnes cueillent des champignons qu’ils pensent comestibles et tombent sur des espèces toxiques. Il y a eu des cas de mortalité et d’intoxication qui ont nécessité une hospitalisation. » Sandra Sleiman raconte, elle, l’histoire d’une grande famille de réfugiés, dont les membres sont décédés juste après avoir consommé des champignons toxiques ramassés près de chez eux, dans le Akkar. Les Syriens avaient surtout l’habitude de cueillir chez eux, notamment dans la région de Deir ez-Zor, un genre de truffe blanche locale (le kama) qu’ils cuisinaient seule ou en accompagnement d’autres plats.


Beyrouth-Montpellier
Le ministère de la Santé avec qui nous sommes entrés en contact, pour avoir des informations sur des cas de décès ou d’intoxication liés à la consommation de champignons toxiques, ne donne qu’une statistique générale et vague : 450 personnes ont été empoisonnées l’année passée en consommant de la nourriture.

La méconnaissance libanaise des pratiques et des risques liés à la cueillette des champignons et surtout l’absence de laboratoires est telle que, pour faire analyser les échantillons qu’elle prélève sur le terrain, Sandra Sleiman doit les envoyer dans un laboratoire français, à Montpellier.

En attendant de recevoir les résultats, elle espère pouvoir continuer son travail jusqu’à la thèse « afin de distinguer les espèces toxiques de celles qui ne le sont pas et de l’apprendre aux enfants, à l’école ». « Il est très important de l’apprendre aux enfants car ils jouent dehors et ils peuvent mettre n’importe quoi en bouche. C’est plus à une prise de conscience que je veux aboutir », ajoute-t-elle. Si son travail peut se poursuivre jusqu’à la thèse, l’objectif, selon son professeur, sera de produire un manuel répertoriant tous les champignons et de le distribuer dans « toutes les pharmacies, aux biologistes, aux tours opérateurs des randonnées, aux réserves naturelles protégées du Liban et aux forestiers – parce que la plupart des champignons poussent en zones forestières – ainsi qu’aux médecins généralistes qui pourraient recevoir des gens intoxiqués ».

En France, les adeptes de cueillette de champignons, une fois leur récolte terminée, vont déposer leurs paniers dans les pharmacies. C’est le pharmacien qui leur dit quoi jeter et quoi garder. En France, où la cueillette des champignons fait partie des traditions locales dans les zones forestières et rurales, les pharmaciens sont tous formés à identifier ces organismes.

Si vous croisez donc un champignon sur un chemin de randonnée et que vous êtes un peu curieux, ne le touchez surtout pas ! Sans savoir ce que c’est, tout ce que vous pouvez faire à l’heure actuelle, c’est de prendre en photo son chapeau, son pied, les lamelles en dessous, puis le couper et prendre une nouvelle photo en coupe transversale et de poster la photo… Sur la page Facebook de Flora of Lebanon in pics. Un expert vous dira tout de suite : « Attention danger », ou « Allez-y, vous pouvez le consommer », en vous donnant tous les détails liés à cet organisme vivant. Bonne cueillette !

Samedi 15 décembre : dans la forêt d’Azer, dans le Akkar, Sandra Sleiman s’active à la recherche de champignons, à demi cachée par la broussaille et les feuilles tombées des arbres. Cette étudiante en master 2 en gestion et conservation des ressources naturelles à l’Université libanaise récolte ces organismes vivants – non pas pour sa consommation personnelle, mais pour son...

commentaires (2)

LES CHAMPIGNONS SAUVAGES... UN MET EXQUIS ! FAUT SAVOIR LES DIFFERENCIER.

LA LIBRE EXPRESSION

17 h 02, le 04 janvier 2019

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Commentaires (2)

  • LES CHAMPIGNONS SAUVAGES... UN MET EXQUIS ! FAUT SAVOIR LES DIFFERENCIER.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 02, le 04 janvier 2019

  • J'éspère que le site web "http://www.lebanon-flora.org/" qui est un site excellent aura des infos sur les éspèces qu'on trouve. Les champignons qu'on trouve au Liban sont probablement similaires à celles de la Grèce ou le Catalogne (climat méditerranien). En Catalogne il y a beaucoup de guides/ livres en concernant les truffes et champignons ...

    Stes David

    15 h 58, le 04 janvier 2019

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