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Lifestyle - Éclairage

Au Conservatoire national, des envolées et des couacs...

L’Orchestre philharmonique du Liban a soufflé ses vingt bougies. L’occasion de revenir sur son état, mais aussi sur sa maison, le Conservatoire national supérieur de musique, ses divisions et son avenir.

Une représentation du nouveau complexe musical qui doit voir le jour en 2021 à Dbayé. Photo DR

Depuis sa fondation en novembre 1998, le nom de l’Orchestre philharmonique du Liban (OPL) sonne comme une formule magique. À cette époque, aux balbutiements de ce nouveau-né, se mêlait l’enthousiasme de Beyrouth, métropole culturelle foisonnante, épiant la germination de cet orchestre qui rendait hommage, avec brio, à des génies d’une musique vouée aux muses. Vingt ans plus tard, l’OPL, pétri de contradictions, continue à porter les plus beaux rêves, mais également quelques cauchemars, que le nouveau directeur du Conservatoire national supérieur de musique au Liban, Bassam Saba (nommé par un décret ministériel le 26 avril 2018), devra confronter durant son mandat de cinq ans qui vient de démarrer. Il s’intéresse déjà, comme il l’a précisé à L’Orient Le Jour, « à la reformation en souplesse, la transmission, la réorganisation, la reconstitution et la réévaluation des valeurs et de l’authenticité de la musique arabe ».

Changer le monde par la musique était le rêve des grands musiciens révolutionnaires. Le Liban ne fait pas exception à la règle : ne voulant pas que son pays sombre dans la décadence culturelle infligée par la tragédie d’une guerre sans merci, le compositeur, chef d’orchestre et ancien directeur du conservatoire, Walid Gholmieh (1938-2011), a mis la première pierre à l’édifice de l’Orchestre symphonique du Liban en 1998 avant d’annoncer, en 2009, sa métamorphose en philharmonie, laissant ainsi à la postérité un héritage assez impressionnant. Près de 90 musiciens comptent dans les rangs de ce vivier national que constitue l’OPL. Quelle ne fut la surprise de la communauté musicale de constater que la majorité de ses concertistes ne portent pas la nationalité libanaise, même si le haut niveau recherché ne peut qu’en dépendre.

Walid Moussallem, ancien directeur par intérim du Conservatoire national supérieur de musique (CNSM) de mai 2014 à octobre 2018, fait preuve à l’égard de cette vérité assez frustrante pour de nombreux mélomanes d’une incapacité à entreprendre un prompt changement tout en rassurant que des démarches sont en cours afin de former de petits orchestres ou du moins des ensembles de jeunes musiciens libanais capables de porter quelques années plus tard le flambeau de leurs prédécesseurs. Dans un tel contexte, surgit la question du niveau académique du conservatoire qui fait polémique à grosse échelle où les arguments parfois et les accusations le plus souvent pleuvent à flot chez les deux camps adverses.Lubnan Baalbaki, chef d’orchestre permanent à l’OPL, affirme d’un ton ferme que le CNSM n’est pas en mesure de former des musiciens aptes à rejoindre l’orchestre. En revanche, M. Moussallem défend farouchement le bilan de son mandat : « Le niveau de notre conservatoire égale celui de n’importe lequel en Europe, mais le fait de continuer ses études supérieures à l’étranger procure à l’étudiant une ouverture culturelle lui permettant de mieux s’intégrer dans l’orchestre », assure-t-il, évoquant les collaborations faites avec le conservatoire de Lyon et le conservatoire Sainte-Cécile de Rome, ainsi que les bourses d’études visant à promouvoir et encourager l’épanouissement de nouveaux virtuoses.


Une affaire complexe ?

Par ailleurs, le projet de construction d’un complexe musical à Dbayé, financé par un don chinois, dont le coût va s’élever à 31,9 millions de dollars, divise la société musicale en deux : certains saluent l’importance d’une telle entreprise tandis que d’autres, dont Lubnan Baalbaki, le considèrent comme étant « dans la bonne direction, mais dans le mauvais sens », en insinuant que c’est Beyrouth qui devrait en bénéficier. Ce projet comprend deux bâtiments : le premier construit sur 5 500 m2 et servant aux nombreuses salles de l’enseignement supérieur, et le second, une spacieuse salle de concert avec 1 200 places, dotée d’une acoustique de pointe. Le tout, sur un terrain de plusieurs milliers de m2, devrait devenir le centre névralgique de la musique au Liban. Cette construction, qui devrait commencer bientôt pour s’achever en 2021 à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le Liban et la Chine, ne semble pas, encore une fois, unir les Libanais, dont un grand nombre refuse que Dbayé vole la vedette à Beyrouth. De nombreux mélomanes, installés dans la capitale, protestent en affirmant que cette décentralisation les obligerait à se déplacer la nuit à des kilomètres de chez eux, bravant des embouteillages monstres et mettant leurs nerfs à rude épreuve... De plus, ce nouveau complexe, qui, selon les adeptes du projet, devrait faire pâlir d’envie les plus prestigieux conservatoires des grandes capitales occidentales, pose problème : de nombreux parents d’élèves de Beyrouth (qui regroupe le plus grand nombre d’étudiants) voudront éviter ce trajet pénible et préfèrent encore de petites salles à Beyrouth à un grand « faste inutile » ailleurs.

Confronté à cette donne, l’ancien directeur se veut encore une fois rassurant : « Les différentes branches du conservatoire de Beyrouth et de Jounieh resteront ouvertes, et Dbayé ne les supplantera pas. » Une question se pose toutefois : une fois que la loi sur les loyers anciens sera entrée en vigueur, l’État serait-il en mesure de financer les branches de Beyrouth qui ne sont en aucun cas sa propriété ? Sinon, quel serait le véritable intérêt de Dbayé ? La réponse semble venir de M. Moussallem lui-même, qui ne cache pas son intention d’y envoyer les élèves du cycle supérieur dans le but de décrocher des « diplômes de niveau universitaire » une fois que le décret verra le jour, menant ainsi à ce que certains considèrent comme une « mutilation pure et simple du conservatoire qui, selon sa raison d’être, devrait être reconnu comme étant la plus haute référence en matière de musique dans le pays, au-dessus de toute université ». Bassam Saba a donc du pain sur la planche. Les prochains mois devraient donner un semblant de réponse aux interrogations du milieu musical. Au sein des divisions et des commentaires des uns et des autres, heureusement qu’il reste la musique et les concerts de l’OPL les vendredis soir à l’église Saint-Joseph. Au programme de cette nouvelle saison 2018-2019, on nous promet « un répertoire plein d’éclat » qui déchaînera à coup sûr les applaudissements du public tout au long de l’année avec comme point d’orgue un concert dirigé par le grand compositeur et arrangeur franco-libanais Gabriel Yared qui interprétera ses propres compositions.



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Cette polémique sur le choix de Dbayé rappelle celle qui avait accompagné la construction de la philharmonie de Paris porte de la Villette: les mélomanes des beaux quartiers parisiens s'étaient insurgés contre ce choix qui les obligeait à quitter les arrondissements chics pour s'immerger dans un XIXe arrondissement qui ne faisait pas partie de leur circuit. Beaucoup d'encre avait coulé et pourtant, ça marche: les auditeurs se pressent pour assister aux concerts dont celui de...Gabriel Yared en décembre dernier.

Marionet

08 h 54, le 30 novembre 2018

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Commentaires (1)

  • Cette polémique sur le choix de Dbayé rappelle celle qui avait accompagné la construction de la philharmonie de Paris porte de la Villette: les mélomanes des beaux quartiers parisiens s'étaient insurgés contre ce choix qui les obligeait à quitter les arrondissements chics pour s'immerger dans un XIXe arrondissement qui ne faisait pas partie de leur circuit. Beaucoup d'encre avait coulé et pourtant, ça marche: les auditeurs se pressent pour assister aux concerts dont celui de...Gabriel Yared en décembre dernier.

    Marionet

    08 h 54, le 30 novembre 2018

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