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Lifestyle - Patrimoine

Il était une fois l’hippodrome de Beyrouth...

Une plongée dans un lieu phare du trot et du galop, emblématique du patrimoine de Beyrouth, où se croisent dans une foule d’une mixité sociale incroyable le patron et le smicard, venus miser, avec ferveur et force clameur, sur le bon cheval.

Loterie d’automne – tirage du 22 octobre 1950, dessin anonyme. Collection H.K.

En ouvrant ce livre, c’est la (re)découverte du champ de courses de Beyrouth qui célèbre ses cent ans. De la photo jaunie à celle en couleur, L’Hippodrome du parc, un siècle dans l’histoire du Liban, édité par l’Association pour la protection du patrimoine libanais (APPL), fait défiler au fil des pages les liens indéfectibles entre l’equus et l’homme.

Ouvert au public en 1921, il est totalement détruit par les bombardements israéliens au cours de l’été 1982. Acteurs d’un épisode particulièrement intense, Nabil de Freige et Nabil Nasrallah relatent l’opération d’évacuation de 300 chevaux affamés, assoiffés, hagards et piégés au cœur d’un brasier. Le président de l’époque, Élias Sarkis, avait obtenu, par le biais de l’émissaire américain Philip Habib, un cessez-le-feu de cinq heures pour faire sortir les équidés, qui trouveront refuge aux quatre coins du pays. Deux heures plus tard, l’hippodrome sera dévasté et le Bois des pins brûlé : « Des 3 000 pins parasols qui ombrageaient le terrain, il n’en reste qu’une centaine. » Et « cinq mille familles vivant directement ou indirectement du travail équestre sont paralysées. De nombreux jockeys s’expatrient ».

Godolphin et Roxana

Richement illustré, ce livre fait partie de la série « Chroniques du Liban », initiée par l’APPL en 2015 avec la parution de l’ouvrage sur le palais Chéhab à Hadath. Limité à 500 exemplaires, il est présenté dans une belle reliure cartonnée sous forme de coffret doublé d’un CD et d’images en 3D, contenant des témoignages de Roderick Cochrane, petit-fils d’Alfred Sursock, fondateur et bâtisseur du Parc de Beyrouth ; de Nabil de Freige, président de la Sparca (Société pour la protection et l’amélioration de la race chevaline arabe), qui gère l’hippodrome de Beyrouth pour le compte de la municipalité ; du directeur général Nabil Nasrallah ; de l’ancien ministre Michel Pharaon, propriétaire d’un grand nombre de pur-sang arabes ; de l’entraîneur Sleiman et du jockey Issam, qui a gagné sa première course à l’âge de 14 ans.

Ce beau livre entraîne le lecteur sur les pas des pur-sang arabes venus du désert, leur « survie » au Liban et leur transfert en Europe. Pour la petite histoire, un des plus célèbres qui a traversé la Manche est le Godolphin Arabian (du nom du comte Francis Goldolphin de Helston) acquis au début du XVIIIe siècle par sir Edward Coke, puis légué au comte. Selon la légende, cet Arabian saisissant de grâce et de beauté a conquis le cœur de la jument anglaise Roxana, issue de la prestigieuse race de chevaux anglais, la Thoroughbred. Avec l’excellente Roxana, il produira une extraordinaire descendance, le Lath, le pur-sang anglais le plus prisé du monde. La jument Nichab, née au Liban en 1818 dans les écuries de lady Stanthope, à Abra, est offerte à Napoléon Bonaparte. Son croisement avec un équidé du haras de Pompadour créera la race particulière de pur-sang français.

Le livre construit en cinq chapitres présente par ailleurs un parcours historique sur les hippodromes romains du Moyen-Orient, Tyr, Beyrouth (Wadi Abou Jmil) et Césarée en Palestine, qui ont conservé leurs vestiges romains, alors que celui de Jerash a été détruit au VIIIe siècle par une série de tremblements de terre. Ensuite, arrêt à Raqqa, en Syrie, où un champ de courses pour le moins inhabituel a été construit par le calife abbasside Haroun el-Rachid. D’autres hippodromes islamiques ont été découverts à Samara en Irak, lors de fouilles en 1911. Aujourd’hui, les hippodromes modernes sont nombreux dans la région. Même si les paris sont prohibés, des courses sont régulièrement tenues à Bahreïn, au Qatar, au Koweït, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, qui en comptent cinq sur leur territoire.

Âge d’or

Alfred Sursock est à l’origine de l’hippodrome de Beyrouth. En 1915, il obtient des autorités ottomanes la concession du Bois des pins pour construire un complexe comprenant un casino et un champ de courses qui remplacera celui de Bir Hassan, créé en1890. Le projet est confié aux architectes et ingénieurs Amine et Bahjat Abdelnour, Hussein al-Ahdab, Joseph Aftimos et Maroun Ghammaché. À peine achevé en 1917, le casino est transformé en hôpital militaire puis réquisitionné par l’armée française à la fin de la Grande Guerre. En 1921, les lieux sont cédés au général Gouraud « pour 1 875 000 francs ». Le casino devient la Résidence des pins, siège des hauts-commissaires du gouvernement français et de ses ambassadeurs à Beyrouth. La même année, l’hippodrome ouvre ses portes. Les étalons les plus célèbres, comme Ghazwane (1929), Sergent Major (1933), Cheikh el-Arab (1935), Karawane (1938), Machaal (1948) ou al-Jazzar (1949) investissent le champ de courses. Celui-ci est géré par la Société du Parc de Beyrouth fondée par Alfred Sursock puis léguée après son décès à sa femme Donna Maria Serra di Cassano. Des courses internationales sont organisées en présence de personnalités royales, comme Fayçal d’Irak en 1954, Hussein de Jordanie en 1955, le chah d’Iran en 1957, où Paul Ier de Grèce en 1958.

Le succès est tel qu’en 1965, la municipalité de Beyrouth met la main dessus. Mais la gestion a été un fiasco. L’hippodrome « fait faillite au bout de quatre ans, et menace de fermer ses portes ». Pour le sauver, Henri Pharaon, Moussa de Freige, Fawzi Ghandour, Gebran Nahas, Jamil el-Hajj Mekkaoui et Fawzi Daouk créent la Société pour la protection et l’amélioration de la race chevaline arabe (Sparca), et obtiennent la gérance du terrain, « dans un but non lucratif ». Jusqu’à la guerre de 1975, on comptait près de 1 300 chevaux et le total des mises s’élevait à 500 000 dollars par semaine. Aujourd’hui, il y a 340 pur-sang, huit courses se déroulent chaque dimanche, et le total des mises est de 150 000 dollars par semaine. Et comme à l’âge d’or, seuls les chevaux de race arabe, dont la généalogie remonte à cinq générations au moins, ont le droit de courir. Pour garantir un pur-sang provenant de lignée pure, la direction de l’hippodrome procède, depuis 1999, à des contrôles stricts de filiation par l’ADN.

Le problème de la municipalité

Dans un autre chapitre, l’APPL raconte la reprise « difficile » à partir du 6 janvier 1991. La reconstruction des tribunes, dont les plans ne respectent pas le style original, faute de moyens financiers, ne sera achevée qu’en 1997. Propriétaire du terrain, la municipalité de Beyrouth a refusé de débloquer « les 20 millions de dollars supplémentaires pour la création des jardins, parkings, amphithéâtres, et de l’école hippique », prévus dans le projet de la Sparca, et « envisagera même de confier la gestion des courses à une société privée. Après de longs pourparlers, un compromis sur la répartition des revenus sera trouvé et l’hippodrome retombera en quelque sorte dans sa torpeur ».

Quel sort sera réservé à l’hippodrome ? Depuis 2013, au sein de la municipalité, les tensions s’affirment entre ceux qui militent pour un projet appelé Beirut Central Park, qui vise à intégrer au champ de courses un lac artificiel (alors que le Liban souffre drastiquement de manque d’eau !), un terrain de golf, des restaurants et une académie de musique, et ceux qui œuvrent pour la fermeture totale de ce lieu où se pratiquent des paris et des jeux d’argent contraires à leurs croyances religieuses. Tout un monde, entre ces visions du patrimoine et les nôtres !

Un beau livre à (s’)offrir, et qui a été travaillé à six mains : Pascale Ingea pour la recherche d’archives, Joe el-Khoury pour le texte et Joseph Haddad pour la maquette.



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En ouvrant ce livre, c’est la (re)découverte du champ de courses de Beyrouth qui célèbre ses cent ans. De la photo jaunie à celle en couleur, L’Hippodrome du parc, un siècle dans l’histoire du Liban, édité par l’Association pour la protection du patrimoine libanais (APPL), fait défiler au fil des pages les liens indéfectibles entre l’equus et l’homme. Ouvert au public en...

commentaires (6)

Mon oncle Georges disait la même chose .... les jours où il perdait ... :-) Parfois quand il gagnait ... il n'avait pas trop de temps pour parler, il sortait de l'hippodrome en courant au galop !

Sarkis Serge Tateossian

17 h 55, le 06 novembre 2018

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Commentaires (6)

  • Mon oncle Georges disait la même chose .... les jours où il perdait ... :-) Parfois quand il gagnait ... il n'avait pas trop de temps pour parler, il sortait de l'hippodrome en courant au galop !

    Sarkis Serge Tateossian

    17 h 55, le 06 novembre 2018

  • emotion! emotion,mon grand pere qui etait joueur et me trainait avec lui me disait quand on sortait de l'hippodrome, tu vois, ici il ya des chevaux qui courent et des anes qui jouent!!

    Élie Aoun

    15 h 52, le 06 novembre 2018

  • Allah yerhamou... Mon oncle Georges était un habitué de l'hippodrome. Et l'image avec des chevaux sur le billet de la loterie nationale m'exulte de joie... Et une certaine nostalgie m'envahit. Souvent cette figure était publiée sur les billets de la loterie même dans les années 65...70... Belle époque.

    Sarkis Serge Tateossian

    14 h 37, le 06 novembre 2018

  • - AGOPE : ARTINE JE VAIS A L,HYPPODROME POUR VOIR COURIR LES ANES ! - ARTINE : AGOPE, CE SONT DES CHEVAUX QUI COURENT A L,HYPPODROME ! - AGOPE : JE LE SAIS MAIS MOI JE VAIS POUR VOIR COURIR LES -ANES- QUI FONT DES PARIS SUR LES CHEVAUX !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 05, le 06 novembre 2018

  • Un peu d'humour.. Autant dire que le "noeud" chiite-sunnite ne date pas d'hier...

    Sarkis Serge Tateossian

    12 h 42, le 06 novembre 2018

  • "seuls les chevaux de race arabe ... ont le droit de courir" voilà une absurdité. C'est presque absurde que le cheval de père arabe et de mère non-arabe n'a pas le droit de courir ...

    Stes David

    11 h 38, le 06 novembre 2018

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