Figure de proue du théâtre contemporain français, Stanislas Nordey est directeur du TNS, metteur en scène, acteur et pédagogue. Avec plus de soixante-dix pièces à son actif, sa carrière est impressionnante. Il en donnera un aperçu au cours d’une master class et d’une table ronde prévues demain dimanche au Salon du livre, dans le cadre du Festival Zoukak Sidewalks. Rencontre avec un homme aux multiples et éclectiques facettes.
Pour la première fois à Beyrouth, vous venez animer une master class au cours de laquelle vous allez travailler sur le texte d’Édouard Louis « Qui a tué mon père ». Pourquoi ce texte en particulier ?
« Qui a tué mon père est un texte que j’ai commandé à Édouard Louis pour le TNS et que je vais mettre en scène en mars prochain. Cet auteur a un succès incroyable en France. Incisif et violent, il y critique la politique française des vingt-cinq dernières années, qui a saigné un certain nombre de gens dans les milieux populaires, les plus vulnérables. Dont son père, brisé physiquement par son travail à l’usine. C’est par ailleurs un chant d’amour à ce dernier. (…) L’idée première, c’était de transmettre le goût et la force contenue dans la lecture d’un auteur français contemporain. J’avais envie de rencontrer les gens d’ici, et l’idée de passer une journée à préparer cette lecture avec ces derniers m’est apparue judicieuse. (…) Je trouve important d’aller dans des endroits où l’on peut créer de l’échange, du mouvement. Mon credo, c’est la transmission. »
Dans un pays comme le Liban, ayant souffert d’une guerre civile, le théâtre peut-il être facteur de réconciliation ?
« Le théâtre est par définition un endroit de mélange et de rassemblement : ça ne peut être qu’un espace du possible. Dans nos sociétés occidentales où le théâtre existe depuis deux mille ans, il est nécessaire. Parfois, en fonction des situations politiques, il disparaît, devient souterrain, mais il finit toujours par réapparaître.
« Il est différent selon les lieux : on ne fait pas du théâtre de la même manière sous une dictature que dans une démocratie occidentale. En France, par exemple, on arrive à un moment particulier de l’histoire théâtrale et politique du pays. Y faire du théâtre militant n’aurait pas de sens. Par contre, faire circuler la poésie et la parole dans une société qui s’acculture et perd certains repères, c’est important. Je n’ai jamais pensé que le théâtre pouvait changer le monde, mais je pense qu’il peut aider à rester en éveil. »
Vous avez mis en scène la pièce « Incendies » de Wajdi Mouawad. L’action y a lieu sur fond de guerre libanaise. Comment avez-vous procédé ?
« J’ai rencontré Wajdi. Il m’a parlé de lui, de sa vie, de toute son enfance ici. La grande force d’Incendies, c’est qu’on reconnaît à la fois toute l’histoire du Liban et, qu’en même temps, cette pièce nous parle du conflit dans son universalité. L’histoire politique récente du pays, je la maîtrise un peu grâce à cette amitié-là. Mais Wajdi, je l’ai rencontré alors qu’il était en exil. En discutant avec lui, je l’écoutais avec beaucoup de passion mais aussi un zeste de circonspection sachant qu’il parlait de loin, vu qu’il avait quitté le Liban très jeune. »
Vous sentez-vous responsable quand vous choisissez de mettre en scène une pièce plutôt qu’une autre ?
« La responsabilité que j’ai toujours voulu prendre, c’est de ne monter que des textes contemporains. Pour moi, il faut faire entendre la parole et les paroles d’aujourd’hui. Ça a été une forme d’engagement sur tout mon parcours. D’ailleurs, l’art contemporain m’a toujours beaucoup plus fasciné que l’art classique. Non pas pour des questions esthétiques, mais parce qu’on a besoin d’avoir des représentations de notre monde qui passent par l’imaginaire d’artistes en face de nous. »
En tant que metteur en scène, comment faites-vous pour toujours vous renouveler ?
« La principale peur que j’ai, c’est de mal vieillir, de me répéter. Le seul moyen pour s’en sortir, c’est de prendre des risques. Pour ça, je lis énormément. Dès que je trouve une pièce dont je me dis “je l’aime, mais je sais comment je vais la monter”, je n’y touche pas. Par contre, quand je trouve quelque chose qui me résiste et qui m’inquiète, je fonce. (…) Je pense que tout geste artistique doit prendre le risque de l’échec, sinon ça n’en est pas un. Quand on est metteur en scène ou acteur, on acquiert très vite un savoir-faire et, du coup, c’est comme des recettes (de spectacles) qu’on concocte à la moulinette. C’est pourquoi je m’entoure de gens extrêmement exigeants pour qu’au moment où je m’endors, ils me secouent pour me réveiller. En somme, mon plaisir vient du danger. »
Un bon metteur en scène doit-il être insolent ?
« Tout dépend de ce qu’on met derrière l’insolence. En tout cas, il ne doit pas chercher le consensus. Il ne doit vouloir ni plaire ni provoquer sans raison. Il doit construire des objets qui soient paradoxaux. Ma pièce est réussie lorsque les gens sortent, en se confrontant, sans être d’accord sur ce qu’ils ont vu. (…) Un metteur en scène ne doit pas être rassembleur, mais donner à penser : je parle souvent d’un théâtre de “divertissement de la pensée”. L’art en général doit provoquer le débat, la discussion »
Quid de l’écriture, vous y attellerez-vous un jour ?
« J’écrirai un jour, mais sûrement pas du théâtre. Je trouve ça très courageux, mais terriblement impudique d’écrire des pièces. Quand on écrit un roman, le lecteur se retrouve seul face au texte, dans une sorte de secret. Alors qu’une pièce de théâtre, elle, est décortiquée par toute l’équipe de création, puis regardée par cinq cent personnes. (…) Mais ça me démange d’écrire. D’ailleurs, mon grand rêve, c’est de tout abandonner et de ne faire qu’écrire. »
Master class, dimanche 4 novembre, de 10h à 16h, suivie d’une lecture du texte d’Édouard Louis « Qui a tué mon père ». Et enfin d’une table ronde de 17h à 18h30.