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Liban - Interview

Olivier Houdé, le psychologue qui nous apprend à apprendre

Olivier Houdé : Les IRM permettent de comprendre quelles zones du cerveau travaillent au moment d’un apprentissage.

Instituteur de formation, Olivier Houdé est professeur de psychologie du développement à l’Université Paris-Descartes. Précurseur de l’utilisation de l’IRM pour la compréhension des mécanismes d’apprentissage de l’enfant, il donnera aujourd’hui, à 11h, une conférence à la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Saint-Joseph, rue de Damas, à l’invitation du Centre libanais pour l’éducation spécialisée (CLES).

Dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, il explique les tenants et les aboutissants de ses travaux.


En quoi l’arrivée des technologies d’imagerie cérébrale a-t-elle été une véritable révolution pour la psychologie du développement ?

À l’origine, les IRM étaient utilisées dans le domaine de l’hôpital ou de la santé. On s’est dit qu’il fallait absolument s’en servir avec des enfants dans des écoles volontaires. L’idée, c’était de leur faire passer des IRM en laboratoire afin que l’on puisse explorer leur cerveau au cours de l’apprentissage et ainsi mieux comprendre leurs difficultés, la logique de leurs erreurs... Ces techniques permettent d’avoir très tôt une image du cerveau des enfants. Car si, globalement, ils se ressemblent tous, dans le détail, ils sont assez différents : c’est un peu comme les visages. Les sillons du cerveau sont tous à peu près à la même place, mais ils sont dessinés assez différemment. Et c’est en étudiant cette variabilité qu’on peut connaître les contraintes structurales précoces des enfants. En fait, la matrice que représente le cerveau évolue assez peu, même si l’usage qui en est fait est sujet à une grande plasticité. C’est ce qui nous permet d’apprendre à lire, écrire, compter, juger, raisonner, créer, etc. Le vrai défi, c’est de savoir en quoi ces contraintes influent sur cette plasticité. En plus de cela, les IRM permettent de comprendre quelles zones du cerveau travaillent au moment d’un apprentissage et comment celles-ci interagissent entre elles. Le rôle de l’école, c’est d’apprendre aux enfants à utiliser toutes les zones de leur cerveau et surtout à les faire travailler ensemble.


Quels sont les principaux enseignements de ces expériences ?

On a longtemps cru que le développement du cerveau de l’enfant se faisait par stades. À tout âge, on a de multiples potentiels neuronaux, de multiples stratégies qui se chevauchent. Ces stratégies peuvent être de deux types : soit heuristiques, soit algorithmiques. Les premières pourraient être qualifiées d’instinctives, d’automatismes : elles sont rapides, souvent très efficaces, mais pas toujours. Les secondes demandent un effort cognitif, une démarche très rationnelle, beaucoup plus longue. Jusqu’à présent, on pensait que les enfants utilisaient des raisonnements instinctifs et que, peu à peu, en grandissant, ils devenaient logiques. En fait, c’est faux : nous, adultes, sommes davantage dominés par les heuristiques. C’est ce qu’a montré le psychologue Daniel Kahneman, qui a obtenu le prix Nobel d’économie, pour avoir remis en question le postulat qui voudrait que les agents économiques soient « rationnels ».


Comment s’opère l’arbitrage entre heuristique et algorithmique ?

Eh bien, à ces deux systèmes s’en ajoute un troisième que j’appelle le « système d’inhibition ». Il faut très souvent laisser passer les heuristiques, mais parfois, il faut aussi savoir les inhiber, les bloquer pour parvenir à des raisonnements plus aboutis. Il ne s’agit pas de refouler ses instincts, mais simplement d’apprendre et de penser de façon plus efficace et d’éviter les décisions absurdes. On a les mécanismes physiologiques pour cela : c’est comme un aiguillage. Il s’agit, parfois, de savoir résister aux automatismes, aux habitudes, aux distractions. Si je vous dis de ne pas vous imaginer un éléphant rose, vous allez vous le représenter aussitôt dans votre esprit et je n’aurai pas atteint mon objectif. Savoir cela permet de repenser l’apprentissage pour que les enfants comprennent plus facilement la notion du nombre par exemple. Ils en sont capables très tôt, mais les mécanismes d’apprentissage utilisés entrent en contradiction avec des automatismes de raisonnement qu’ils ont déjà développés, ce qui est contre-productif. Si les enseignants n’en sont pas conscients, ils devront répéter longuement et l’enfant se sentira dévalorisé. L’enseignant doit apprendre à inhiber, lorsque c’est nécessaire, les heuristiques. Cela nous servirait ensuite tout au long de la vie. Les écoles doivent notamment, pour cela, apprendre aux enfants comment fonctionne leur cerveau. C’est incroyable ! Il n’y a jamais de livres sur le cerveau dans les bibliothèques, dans les écoles. Alors que c’est fondamental, c’est ce dont les élèves se servent tout le temps. Un élève de troisième est capable d’expliquer tout le fonctionnement du système digestif, mais ne sait rien de ce qu’il y a sous sa boîte crânienne.


Vos travaux permettent également de repenser les méthodes d’apprentissage pour les enfants dyslexiques ou surdoués…

Oui, c’est justement l’objet de mon intervention demain (aujourd’hui). L’enfant dyslexique va par exemple confondre les lettres en miroirs comme le « p » et le « q », ou le « b » et le « d ». Et ça, c’est le fruit du mécanisme heuristique. En travaillant sur l’inhibition, on peut plus facilement remédier à cela. Les enfants à haut potentiel, eux, formulent au contraire beaucoup plus de raisonnements algorithmiques. On doit donc justement leur apprendre à davantage écouter leurs instincts.

Instituteur de formation, Olivier Houdé est professeur de psychologie du développement à l’Université Paris-Descartes. Précurseur de l’utilisation de l’IRM pour la compréhension des mécanismes d’apprentissage de l’enfant, il donnera aujourd’hui, à 11h, une conférence à la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Saint-Joseph, rue de Damas, à ...

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