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Liban - Colloque

La bioéthique, de la sphère médicale au milieu juridique

La rencontre a réuni des spécialistes libanais et étrangers en droit, médecine, philosophie, anthropologie et théologie.

Cette réflexion bioéthique relève-t-elle toutefois uniquement du libre choix de l’individu ou encore des acteurs de la santé ? Un cadre légal est-il nécessaire ? Ce questions étaient au coeur d'un colloque organisé par le Centre d’études des droits du monde arabe (Cedroma), de la faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph. Image d'ilustration AFP

Supprimer et insérer des gènes pour corriger une anomalie chromosomique, recourir aux techniques de procréation médicalement assistée ou aux services d’une mère porteuse pour avoir un enfant, pratiquer l’euthanasie pour mettre un terme aux souffrances d’un patient, augmenter les performances humaines en modifiant la procréation, le vieillissement et l’intelligence… Les avancées technologiques dans le domaine de la science, de la médecine et de la biologie interpellent de plus en plus les sociétés modernes et soulèvent moult questions d’ordre éthique.


Cette réflexion bioéthique relève-t-elle toutefois uniquement du libre choix de l’individu ou encore des acteurs de la santé ? Un cadre légal est-il nécessaire ? Pour répondre à ces interrogations, le Centre d’études des droits du monde arabe (Cedroma), de la faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, a organisé récemment un colloque sur « Le début et la fin de vie : le droit et la bioéthique en question ». La rencontre qui s’est étendue sur deux jours a réuni des spécialistes libanais et étrangers en droit, médecine, philosophie, anthropologie et théologie. Elle a été suivie par une troisième journée consacrée à des ateliers de travail approfondis regroupant les chercheurs participant au programme de recherche mené par le Cedroma sur le droit et la bioéthique dans les pays arabes, ainsi que les étudiants assistants-chercheurs du Cedroma, avec pour objectifs ceux « de mettre en commun et de discuter les résultats de la recherche obtenus dans les différents pays arabes », explique Marie-Claude Najm Kobeh, directrice du Cedroma, soulignant que cela devrait aboutir à « la formulation d’une série de recommandations et de propositions ».

« Le colloque adosse ce programme de recherche que nous avons lancé il y a plus d’un an, poursuit-elle. Au Liban, nous avons des comités d’éthique, mais nous ne disposons pas de lois bioéthiques, comme c’est le cas dans d’autres pays du monde. Et pourtant, nous sommes un pays très médicalisé avec des plateaux techniques et des médecins de qualité. » 

Un débat d’experts
L’interrogation de départ était donc « celle de savoir quelles étaient les pratiques dans le droit libanais – et dans les pays arabes – concernant les questions en relation avec le début et la fin de vie ». Les règles que les médecins suivent répondent-elles à des dispositions au sein même des établissements hospitaliers, à des protocoles ou existe-t-il une loi ? De plus, quelle est la valeur des comités d’éthique ? Quid du poids des fatwas religieuses émises dans ce cadre dans les pays arabes ? Autant de questions auxquelles le groupe de recherche essayait de répondre. Il a, à cet effet, « préparé un questionnaire bien fourni qui a été envoyé à des rapporteurs et des enseignants chercheurs dans plusieurs pays arabes, souligne Marie-Claude Najm Kobeh. En ce qui concerne le Liban, nous avons formé une équipe qui a effectué à la fois un travail de recherche des textes de loi, ainsi qu’un travail de terrain auprès des membres du Comité national d’éthique, de médecins dans différents hôpitaux et de magistrats. L’objectif était de mettre en commun toutes ces données et d’essayer d’identifier les lacunes dans le droit libanais et celui des pays arabes pour pouvoir émettre des recommandations. C’est une réflexion qui pourrait donner des règles de droit, mais le droit certainement ne peut pas accaparer la réflexion bioéthique ». 

Roula Husseini Begdache, avocate, professeure à l’Université libanaise et chargée d’enseignement à la faculté de droit et des sciences politiques de l’USJ, précise de son côté que « le législateur libanais est intervenu sur certaines questions bioéthiques ». « Les lois sont toutefois mal connues parce qu’elles ont été incluses, par choix législatif, dans le code de déontologie médicale pour que le débat reste, à mon avis, réservé aux experts. C’est la raison pour laquelle il n’a pas été exposé aux juristes, encore moins à l’opinion publique ». 

Pour Mme Begdache, s’il faudrait proposer quelque chose, « ce serait des décrets d’application à ces lois ainsi que des amendements aux textes ». « En matière de bioéthique, on n’est pas dans un vide législatif, insiste-t-elle encore. Ce n’est pas le mieux qu’on puisse avoir, mais il existe des dispositions express relatives, à titre d’exemple, à l’euthanasie, qui est interdite par la loi, à l’embryon (voir par ailleurs), à la fécondation in vitro. » Et d’ajouter : « L’importance qu’on accorde à la bioéthique au Liban est très subalterne, alors que dans d’autres pays, comme la France, il s’agit d’une priorité nationale qui a donné lieu à un débat national. »


(Lire aussi : Ce qui est scientifiquement possible est-il nécessairement souhaitable ?)



Un débat contradictoire
Ce colloque, qui a le mérite d’avoir sorti la bioéthique de la sphère médicale vers le milieu juridique, s’est ouvert sur de nombreuses interrogations comme « le lien qu’il faudrait établir entre le droit de la bioéthique et les droits de l’homme », la nécessité, ou pas, d’« inscrire la législation bioéthique dans la filiation directe des droits fondamentaux », « les sources de la réglementation bioéthique, ses fondements et ses contenus », « la légitimité des juristes à intervenir dans un domaine qui échappe en grande partie à leur compétence », « le sens de la bioéthique »…


Sur cette dernière question, le Dr Roland Tomb, doyen de la faculté de médecine de l’USJ, membre du Comité consultatif national libanais d’éthique pour les sciences de la vie et membre du Comité international de bioéthique de l’Unesco, a mis l’accent sur la nécessité de ne pas confondre la bioéthique avec la déontologie médicale, qui est « l’éthique réglementée de la profession médicale ». « Le questionnement éthique naît d’une situation de crise générée par un conflit de valeurs », a-t-il souligné, notant que « si l’éthique a ses raisons, elles ne sont pas scientifiques ». Il s’agit plutôt de « raisons auxquelles on peut en opposer d’autres à partir desquelles va nécessairement émerger un débat contradictoire ».
L’ouverture de la bioéthique à la diversité culturelle, la bioéthique d’un point de vue religieux, le début de la vie avec toutes les questions que sous-entend ce chapitre, allant de la procréation médicalement assistée à l’interruption volontaire de la grossesse, en passant par le statut juridique de l’embryon, la gestation pour autrui et le droit de filiation, la fin de vie et toutes les questions qui y sont liées comme le refus de soins, l’arrêt de vie, l’euthanasie, l’arrêt de vie de l’enfant mineur, la bioéthique et les droits de l’homme… autant de questions sur lesquelles se sont penchés les conférenciers exposant à l’audience l’expérience de leurs pays respectifs.



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