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Culture - En librairie

Raphaël Mabro dessine les contours de l’âme levantine

C’est aux éditions L’Harmattan que Raphaël Mabro, avocat d’affaires franco-libanais, a publié il y a un mois son premier ouvrage, Nouvelles levantines. Une pépite littéraire, sociétale, historique et érudite à ne pas manquer.
Si le jeune auteur de 36 ans se cache derrière un pseudonyme, c’est pour bien différencier sa carrière de juriste et celle, naissante, d’auteur. « Ce livre est le fruit de dizaines d’années de recherches et de lectures autour de la thématique levantine », confie l’écrivain, qui a toujours passé ses vacances à Alexandrie, chez ses grands-parents paternels, descendants de Syro-Libanais arrivés en Égypte au XIXe siècle, communément appelés les Chawam.
Au fil des nouvelles, le lecteur déambule au cœur de Damas, Beyrouth, Jounieh ou encore Alexandrie, désignées comme « les sœurs levantines ». Raphaël Mabro campe le décor de ces cités en insistant sur leur prégnance sensorielle, qui saisit par exemple un des personnages, Michel Morquos, de retour à Alexandrie après des dizaines d’années d’exil : « L’indispensable bise de la Méditerranée le rafraîchissait tout en charriant des odeurs familières de tabac de narguilé à la pomme, de brûleries de café et de grillades de café et de maïs. » Il retrouve le « vacarme incessant de la rue, rythmée par les cris des vendeurs de fruits et légumes venus de Haute-Égypte, les représentations du magicien druze qui faisait ouvrir grands les yeux des petits enfants, à l’ombre des flamboyants et des dattiers. »
Les espaces s’enchaînent dans une temporalité contemporaine volontairement floue : « Je cherche à montrer la pérennité levantine au-delà des contingences historiques. Mon but est de parler de la persistance du cosmopolitisme au Proche-Orient, c’est intrinsèque à la région. Les Levantins existent depuis l’Antiquité : avant la fondation d’Alexandrie par Alexandre le Grand, on y trouvait déjà des Grecs et des Arabes ; en Cilicie, il y avait des Phéniciens. Il y a toujours eu ces gens qui sont des passeurs d’une culture à l’autre. » La perspective diachronique de l’auteur enrichit l’évocation de lieux chargés d’histoire et de culture, comme la vieille ville de Damas : « Tous les matins, (Barsam Karimo) remontait l’allée Zeytoun, tournait à gauche sur l’antique rue Droite, percée deux mille cinq cents ans plus tôt par Hippodamos, premier urbaniste de l’histoire, dont le célèbre architecte égyptien Hafez el-Diwani était un lointain disciple. »
L’écriture est polyphonique, avec des citations en arabe, français, anglais ou grec, qui accompagnent la trame narrative, les analyses et les émotions. Des précisions érudites, parfois sous forme de notes, prolongent les références historiques, religieuses ou sociales sur des thèmes variés : les multiples hypothèses autour de l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, l’énigme de la mort de la chanteuse Asmahan ou encore les mystères de la communauté mandéenne.

« Les Levantins, ces passeurs d’une culture à l’autre »
Les personnages, dont la source est purement fictionnelle, dessinent les contours de l’identité levantine. Pour l’écrivain, le Levantin est « un pur produit de la Méditerranée orientale, il va d’un pays à l’autre, d’une langue à l’autre, sans même s’en apercevoir. On peut lui reprocher une certaine superficialité dans l’approche des cultures qu’il côtoie, mais c’est la somme de ces superficialités qui crée une culture aussi riche. » Sa flexibilité entraîne souvent une vie sociale intense et une habileté aux activités commerciales.
Une des nouvelles met en scène un président libanais : « C’est un amalgame de différents chefs d’État de la région, qui ne s’intéressent qu’aux attributs de leur fonction et privilégient l’inertie », explique le juriste franco-libanais. Selon lui, cette modalité de gouvernance favorise l’épanouissement des Levantins, qui n’ont pas tendance à faire de la politique, et qui ont ainsi plus de latitude dans leurs activités commerciales.
Aucun passéisme qui impliquerait l’idée d’un âge d’or n’émerge au fil des pages : « Certes, reconnaît Raphaël Mabro, l’actualité a considérablement affaibli les Levantins, mais je les vois persister sans être forcément conscients de leur rôle. Ils perpétuent un mode de vie et une manière d’être au monde. »
En nous livrant les pensées d’un des personnages du recueil, l’auteur nous livre peut-être une clé de lecture majeure : « (Hafez el-Diwani) songea que le passé va et vient. Avec les Ptolémées, le Phare et la bibliothèque d’Alexandrie à l’esprit, Napoléon avait dû être bien déçu en découvrant une ville presque morte, dont les derniers habitants survivaient dans les ruines lagides, dans une totale amnésie collective. (…) Il commençait tout juste à se dire que plus encore que de conserver, il fallait (re)construire. Que, peut-être, tout devait changer pour que tout reste pareil. »

C’est aux éditions L’Harmattan que Raphaël Mabro, avocat d’affaires franco-libanais, a publié il y a un mois son premier ouvrage, Nouvelles levantines. Une pépite littéraire, sociétale, historique et érudite à ne pas manquer. Si le jeune auteur de 36 ans se cache derrière un pseudonyme, c’est pour bien différencier sa carrière de juriste et celle, naissante, d’auteur....

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