Yasmina Sabbah.
Chef ou cheffe ?
Le chef d’orchestre est-il un créateur ou un meneur ? Il a commencé d’abord par être essentiellement un homme. Le célèbre chef d’orchestre Herbert von Karajan n’avait-il pas déclaré que « la place des femmes est dans la cuisine et non dans l’orchestre ». Les femmes chefs d’orchestre sont largement minoritaires et, dans l’histoire de la musique classique, les femmes ne dirigeaient pas les orchestres. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle que les premières chefs commencent à s’imposer sur la scène et à se tailler une place au soleil. « La carrière de chef est très exigeante », avoue la jeune conductrice. En coulisses d’abord, dans la capacité d’organiser, de répartir le travail, de choisir les partitions, d’établir un plan pour les choristes et de mener toutes les répétitions, l’efficacité est de mise. « Tout un processus que le public ne voit pas. » Sur scène, c’est un métier où il est essentiel de maîtriser les bases. Bien sûr, il y a l’importance du geste, un chef d’orchestre a le bras ou ne l’a pas. Ce bras qui sert à coordonner les efforts de tous les instrumentistes ou choristes, à indiquer à chacun le moment où ils doivent intervenir, à régir les nuances et le tempo, et à produire ainsi la magie d’un spectacle. Voilà le rôle de Yasmina Sabbah, la plus jeune chef d’orchestre femme de la scène libanaise. Pour elle, l’essence de l’émotion en musique réside dans cette alchimie et ce lien particulier qui se crée entre un chef et son orchestre, cet organisme vivant qui peut, comme tout groupe, se donner corps et âme ou se murer dans une résistance inflexible.
Métaphore de la vie
La liberté du chef est-elle un devoir ou un pouvoir ? Pour Yasmina Sabbah, elle est une « dynamique pour établir le dialogue avec un musicien ou un choriste qui attend que vous lui donniez une impulsion. Si vous n’avez aucune impulsion et vous vous contentez d’être mécanique, l’inspiration ne suit pas. Ils attendent que vous leur dictiez leur rôle. Il faut trouver, par des mots précis, les gestes qu’ils vont faire ». Pour la jeune femme, ce métier est une métaphore de vie, avec toujours une naissance pleine de promesses, un milieu accompli et une fin transfigurée. Quand on lui demande comment les choristes ou musiciens arrivent à suivre leur partition et leur chef, Yasmina Sabbah dévoile le secret : « Ce que le public ne voit pas, c’est que les musiciens développent une vision périphérique et même s’ils semblent ne pas regarder leur chef, ils gardent toujours un coin de l’œil rivé sur leur maestro. » Aujourd’hui, à seulement 29 ans, cette jeune artiste dirige la jeune chorale de Beyrouth, la chorale de l’Université Saint-Joseph, enseigne la musique à l’AUB, à la LAU (Lebanese American University) et au Conservatoire de Beyrouth. Et comme si le talent n’était pas suffisant, la question de l’apparence n’est pas négligeable. Étant une des rares femmes conductrices, elle revendique sa féminité et troque le smoking traditionnel contre des robes couleur lumière, et se crée ainsi une identité visuelle : au plaisir de l’ouïe s’ajoute celui des yeux. Quand une extrême délicatesse épouse une formidable puissance, cela donne Yasmina Sabbah, une silhouette vue de dos (au grand dam du public !) et des bras qui tracent dans l’espace le rythme, le sien, dans des gestes précis et une sensibilité exquise pour un contrôle parfait et un ravissement des sens.
commentaires (5)
Comme un baume d' espoir ce talent extraordinaire!!! Bravo Mme, surtout dans un pays qui ne ressemble pas à votre bel horizon!! Bonne chance et bon courage!
Zaarour Beatriz
16 h 55, le 15 juin 2018