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Moyen Orient et Monde - Histoire

Comment la guerre des Six-Jours a durablement altéré la relation entre Paris et Tel-Aviv

En remettant en cause le lien particulier avec Israël, le général de Gaulle a peut-être privé la France d’un moyen de pression sur l’État hébreu.

Charles de Gaulle reçoit David Ben Gourion à l’Élysée en juin 1960. Archives AFP

Journée en clair-obscur pour le président français Emmanuel Macron et son invité israélien Benjamin Netanyahu. Deux sujets qui fâchent, l’Iran et Gaza, étaient à l’ordre du jour de l’entrevue hier entre les deux hommes. Malgré la discorde sur ces dossiers brûlants, le Premier ministre israélien a inauguré l’air de rien la « saison croisée France-Israël » avec son hôte français, une programmation culturelle de six mois rythmée par près de 400 échanges entre les deux pays, des artistes israéliens étant invités à se produire en France et réciproquement.

Intermède culturel paradoxal au milieu des vues diplomatiques divergentes entre les deux pays. 

Ce tableau dissonant coïncide avec un anniversaire jalonnant des relations franco-israéliennes. La guerre des Six-Jours (du 5 au 10 juin 1967) est en effet aussi le moment du virage français à l’égard d’Israël. Si le tropisme américain de la diplomatie de l’État hébreu semble presque naturel aujourd’hui, c’est bien la France de la IVe République qui a fourni au jeune État israélien le quasi mode d’emploi pour fabriquer une bombe A et l’arsenal militaire qui a fait basculer le rapport de force régional en 1967. Une victoire militaire de l’État hébreu équivoque pour la relation avec Paris. Redevable d’une certaine symbiose franco-israélienne dans les années 1950, elle est aussi un moment de rupture, et ce en grande partie par les orientations d’un homme : le général de Gaulle. Si mention n’est pas faite à cet anniversaire, la journée paradoxale de M. Netanyahu à Paris commémore à sa manière l’avant et l’après-1967.


(Pour mémoire : Avec la guerre des Six-Jours, l’Égypte entame son déclin régional)


Connexion française
La « rencontre » franco-israélienne dans les années 1950 débute presque comme une amitié par défaut. L’empire colonial français prend l’eau au Proche-Orient et en Afrique du Nord. La Syrie et le Liban ont été perdus en 1946 et les perturbations indépendantistes vont grandissantes au Maghreb. La position stratégique de la France s’érode dans une région où elle était incontournable depuis des décennies. Au même moment, le jeune État d’Israël ne possède pas encore d’allié indéfectible. Moscou n’est pas très enthousiaste alors que la Grande-Bretagne et les États-Unis sont soucieux de ménager leur position dans le monde arabe. La France voit dans Israël l’opportunité de damer le pion au panarabisme militant du colonel Nasser, qui irrite fortement Paris en appuyant les indépendantistes algériens. 

L’année 1955 représente un tournant. En août, Gamal Abdel Nasser conclut un contrat d’armement faramineux avec la Tchécoslovaquie. Damas se fournit aux mêmes sources. Tel-Aviv se fait à l’idée que la guerre est inévitable, et cherche un allié capable de l’accompagner dans l’aventure. La France sera ce soutien-clé. Douze chasseurs Mystère 4, ce que l’on fait de mieux à l’époque, sont fournis à Israël en octobre 1955, en plus des 120 Ouragan promis fin 1954. L’alliance se cristallise le 22 octobre 1956, lorsque des officiels israéliens, français et anglais tiennent secrètement des conciliabules dans une villa de Sèvres pour organiser la riposte à la nationalisation du canal de Suez par Nasser. L’alliance franco-israélienne a survécu à l’échec de la Grande-Bretagne et de la France dans cette affaire. Elle est confirmée l’année suivante par un transfert de technologie lourd de conséquence : la livraison par la France du réacteur nucléaire de Dimona dans le Néguev. 


Prise de distance
L’harmonie franco-israélienne souffre cependant d’une fragilité intrinsèque. Elle repose sur un sort partagé temporairement, l’isolement français et israélien au Moyen-Orient, ainsi que des affinités personnelles. La roue finit par tourner, le personnel politique et les intérêts nationaux se renouvellent. Yitzhak Rabin devient chef d’état-major de l’armée israélienne en 1964. Le futur Premier ministre israélien n’est pas encore parfaitement entendu lorsqu’il plaide pour le filon américain en matière d’armements, mais il prépare un terrain prometteur. 

Le facteur individuel le plus bouleversant dans l’évolution du lien Paris-Tel-Aviv est Charles de Gaulle, revenu au pouvoir à Paris en 1958 pour « régler » la crise algérienne. Ayant été le président de l’indépendance de l’Algérie, le général a débarrassé la France d’un obstacle de taille à son rayonnement dans le monde arabe. Il s’emploie à rééquilibrer les positions françaises au Proche et au Moyen-Orient. Le glacis de 1967 avec Tel-Aviv n’est cependant pas écrit. Le général ajuste simplement la température. Il s’en explique dans ses Mémoires d’espoir, où il relate un entretien avec David Ben Gourion et critique en creux la proximité inédite consentie par l’administration française précédente : « Je mets un terme à d’abusives pratiques de collaboration établies sur le plan militaire, depuis l’expédition de Suez, entre Tel-Aviv et Paris, et qui introduisent en permanence des Israéliens à tous les échelons des états-majors et des services français. » Par l’arrêt du 12 janvier 1961, de Gaulle décrète l’arrêt de l’assistance française à Israël dans le domaine nucléaire. Deux ans plus tard, il rejette une proposition d’alliance formelle formulée par David Ben Gourion. Paris prend raisonnablement ses distances, mais ça n’est rien de bien sérieux. Dans les deux dernières semaines de mai 1967, Israël réceptionne l’arrivage d’équipements militaires français le plus important. La guerre des Six-Jours ne catalyse pas à proprement parler une défection française qui « couvait » dans la période précédente. C’est précisément durant les six jours que Paris et Tel-Aviv se « ratent ». 


(Pour mémoire : Comment la guerre des Six-Jours a-t-elle transformé la géopolitique du Proche-Orient ?)



Volte-face gaullienne
La remilitarisation du Sinaï le 14 mai et la fermeture du détroit de Tiran le 22 par le raïs égyptien sont perçus comme un casus belli par Israël. Mais lorsque le ministre israélien des Affaires étrangères Abba Eban accourt à Paris pour défendre le cas d’Israël, il fait face à la raideur du président français. Le général de Gaulle lui indique qu’il tiendra Israël comme responsable de la guerre s’il tire le premier, et lance cette remarque qui sonne comme un acte de trahison : « Israël est suffisamment fort pour résoudre tous ses problèmes par lui-même. » Le 31 mai, la France décrète l’embargo sur l’approvisionnement militaire aux pays du Proche-Orient. Dans la pratique, la mesure ne frappe pas aveuglément, car Israël est le plus gros client de l’industrie de guerre française. Enfin, le 28 novembre 1967, le général prononce sa « petite phrase », définissant les juifs comme « un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». La maladresse occupe une place de choix dans la mémoire collective des relations franco-israéliennes. Ce faisant, de Gaulle a donné raison à Yitzhak Rabin. 

La première conséquence du revirement français est d’avoir poussé définitivement Israël dans les bras des Américains. La « connexion américaine » est symboliquement inaugurée par l’entrevue entre le Premier ministre israélien Levi Eshkol et le président américain Lyndon B. Johnson à Washington, au cours de laquelle ce dernier promet à son invité des appareils F-4 Phantom. La guerre des Six-Jours a été remportée avec une flotte aérienne à 90 % française. Celle du Kippour, en 1973, sera menée avec des appareils américains. La seconde conséquence est moins certaine. En altérant le lien particulier avec Israël, le général a peut-être privé la France d’un moyen de pression sur l’État hébreu, dont Washington jouit désormais presque exclusivement. Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, parle dans l’ouvrage collectif sous la direction d’Alain Dieckhoff État d’Israël, d’un rendez-vous manqué avec l’histoire : « L’ironie (…) veut que le général de Gaulle aurait sans doute été le seul à pouvoir empêcher la guerre. La déception n’avait pas encore vraiment entamé le capital de sympathie et d’admiration dont il bénéficiait auprès des Israéliens ; et il avait déjà beaucoup fait, depuis le règlement de l’affaire algérienne, pour passer pour un ami aux yeux des Arabes. Seul homme d’État de cette envergure, disposant donc d’une autorité morale considérable dans les deux camps, il aurait pu peser efficacement sur la décision de Nasser ».


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commentaires (1)

Cette thèse, déjà développée dans un article du Figaro il y a quelques jours, est biaisée. En sous-entendant que le général de Gaulle a commis une erreur diplomatique en "jetant les Israéliens dans les bras des Américains", la journaliste plaide donc pour une sorte d'impunité de l'État hébreu qui serait le prix à payer pour s'en faire un allié. Ainsi, il ne faut pas fâcher Israël ou condamner ses agressions parce que sinon, il va voir ailleurs? À l'appui de sa théorie, la journaliste cite le livre de M. Dieckoff, farouche défenseur d'Israël, qui ne cherche même pas à envelopper ses propos d'un semblant d'objectivité universitaire. J'en parle en connaissance de cause puisqu'il a été mon prof à Paris I. Et cite M. Barnavi qui, en bon ambassadeur d'Israël, rejette la faute sur Nasser!

Marionet

00 h 41, le 07 juin 2018

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Commentaires (1)

  • Cette thèse, déjà développée dans un article du Figaro il y a quelques jours, est biaisée. En sous-entendant que le général de Gaulle a commis une erreur diplomatique en "jetant les Israéliens dans les bras des Américains", la journaliste plaide donc pour une sorte d'impunité de l'État hébreu qui serait le prix à payer pour s'en faire un allié. Ainsi, il ne faut pas fâcher Israël ou condamner ses agressions parce que sinon, il va voir ailleurs? À l'appui de sa théorie, la journaliste cite le livre de M. Dieckoff, farouche défenseur d'Israël, qui ne cherche même pas à envelopper ses propos d'un semblant d'objectivité universitaire. J'en parle en connaissance de cause puisqu'il a été mon prof à Paris I. Et cite M. Barnavi qui, en bon ambassadeur d'Israël, rejette la faute sur Nasser!

    Marionet

    00 h 41, le 07 juin 2018

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