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Moyen Orient et Monde - PORTRAIT

Ahmad Albasheer, de l’humour acide pour réformer l’Irak

Le présentateur vedette du premier show satirique étrille les politiciens et brave les menaces de mort pour améliorer le futur d’un pays qu’il a dû fuir.

« Ils ont détruit ma vie, mais ils ont peur de mes blagues, ça veut dire qu’en un sens, j’ai gagné ! » affirme Ahmad Albasheer. Photo Sebastian Castelier

« Parfois, je me sens aussi seul qu’un chasseur face à un troupeau d’éléphants », lâche Ahmad Albasheer, en allumant sa première cigarette, installé dans son bureau sécurisé de la capitale jordanienne. Depuis quatre ans, le présentateur de l’émission de télévision satirique irakienne Albasheer Show se bat contre les dirigeants de son pays. Chaque vendredi, devant sept millions de téléspectateurs, il étrille indistinctement hommes politiques, dignitaires religieux et groupes terroristes, à grand renfort de blagues à double sens et de sketches corrosifs.
Son audace lui vaut d’être devenu, en quelques années, le présentateur préféré des jeunes Irakiens. 85 % des 25 000 visiteurs mensuels de la page Facebook du Albasheer Show ont moins de trente ans. « Ahmad est comme un guide pour nous. Il nous apprend beaucoup de choses sur les politiciens et nous conduit sur la bonne voie », raconte Nameer Alashiar, un Baghdadi de 25 ans, rencontré au tournage du 5e épisode de cette nouvelle saison, spécialement dédiée aux élections législatives du 12 mai.

« Président de la République Albasheer »
Depuis le début de la campagne électorale, Ahmad Albasheer est devenu, sur la Toile, « président de la République Albasheer ». Le trentenaire s’amuse de ce surnom : « Dans chaque épisode, je tiens un discours à l’intention de mes concitoyens. Je leur rappelle que toutes les vies se valent, qu’il n’y a pas de différence entre les chiites et les sunnites, et qu’il faut être ouvert d’esprit », sourit-il, malicieusement. En Irak, certains jeunes portent même des tee-shirts à l’effigie de la « République Albasheer ».
Ils sont peu parmi sa communauté de fans à connaître son histoire personnelle, quand Ahmad Albahseer vivait à Bagdad et qu’il travaillait comme correspondant de presse. C’est pour fuir les menaces de mort à répétition qu’il décide, en 2011, de se réfugier en Jordanie. Sur Facebook, il rencontre Hussam Hadi, propriétaire d’une société de production pour la télévision irakienne. Les deux hommes, mus à cette époque par le même désir d’améliorer l’Irak, entreprennent de collaborer.
À l’été 2014, Ahmad commence à diffuser sur YouTube quelques sketches visant à ridiculiser les combattants du groupe État islamique, alors à leur apogée. Face au succès rencontré par ces clips vidéo, le comédien imagine un show télévisé, sur le modèle du Daily Show américain de Jon Stewart. Désormais diffusé sur la branche arabe de la chaîne allemande Deutsche Welle, Ahmad Albasheer se détourne des jihadistes et déverse sa critique acide sur la corruption qui gangrène son pays. Pour cette saison dédiée aux élections, il épingle les discours changeants et mensongers des 6 981 candidats.

Vengeance personnelle
Désormais fort d’une audience considérable, Ahmad ne cherche plus à taire la haine qu’il porte à l’égard de ceux qui ont détruit sa vie en Irak. Son père, enlevé par les membres d’el-Qaëda, est mort sous la torture. « C’est de leur faute si j’ai aussi perdu mon frère, mon oncle, mon cousin. Une partie de tout ce que je fais est une vengeance personnelle. Maintenant, ces gens ont peur de mes blagues, ça veut dire qu’en un sens, j’ai gagné ! » lance Ahmad Albasheer.
Ces prises de position osées dans un pays où sexe, religion et politique restent d’ultimes tabous lui valent de vivre sous une pression constante. Dans son bureau empli de figurines colorées, Ahmad nous montre sur son téléphone la liste des appels anonymes. « Sur les plateaux télévisés, les hommes politiques répandent des horreurs à mon sujet. Ils disent que ma mère est une prostituée, que mon père est homosexuel, que dans la famille, on est tous consanguins », déplore-t-il, le visage fatigué.

À la veille des élections, Ahmad explique monter dans l’arène une dernière fois : « J’ai une grosse responsabilité sur les épaules, je ne peux pas laisser tomber tous ceux qui m’ont accordé leur confiance. » Dans chaque épisode, le comédien essaye d’inciter les jeunes à se rendre aux urnes. Pour les aider à faire le tri entre les politiciens corrompus et les autres, Ahmad Albasheer distribue les étiquettes pour distinguer « les plus propres des plus sales ».
Convaincu que ces élections ne seront pas celles du changement, il tente tout de même de rester optimiste : « L’histoire a prouvé qu’un seul homme pouvait tout changer, alors j’aime à croire que quelques députés non corrompus pourraient faire beaucoup de bien à notre pays. » Le présentateur dit rêver que son pays devienne la Suisse du Moyen-Orient pour qu’il puisse retourner y vivre, que ses enfants puissent un jour y grandir. « Peut-être que je vais échouer, mais, au moins, j’aurai essayé. Je n’attends pas, assis, qu’un pouvoir surnaturel change le cours des choses », lâche-t-il, en écrasant son énième cigarette.

« Parfois, je me sens aussi seul qu’un chasseur face à un troupeau d’éléphants », lâche Ahmad Albasheer, en allumant sa première cigarette, installé dans son bureau sécurisé de la capitale jordanienne. Depuis quatre ans, le présentateur de l’émission de télévision satirique irakienne Albasheer Show se bat contre les dirigeants de son pays. Chaque vendredi, devant...

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