Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

Rania Matar : Quand elle devient elles

À la galerie Tanit*, adolescentes, jeunes filles ou jeunes femmes du monde se prêtent à l’objectif de Rania Matar qui porte sur elles le regard d’une mère, d’une sœur ou simplement d’une femme.

« Huguette et Brigitte », de Rania Matar, 2014. Photo Amon Carter Museum

Née au Liban, Rania Matar déménage aux États-Unis en 1984 après une formation en architecture à l’Université américaine de Beyrouth qu’elle poursuivra à l’Université de Cornell. Attirée par la photographie, elle complète ses études à La New England School of Photography et enrichit sa formation grâce à des workshops dans différentes villes des États-Unis. 

Elle se lance dans l’enseignement en 2009 et lance des ateliers de photographie à l’intention des adolescentes dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban, avec l’aide d’organisations non gouvernementales. Des États-Unis où elle vit, au Moyen-Orient d’où elle vient, Rania Matar, attirée surtout par la relation qui oppose ou rapproche depuis des millénaires les mères et leurs filles, va se pencher sur la question de la féminité qui se construit de l’adolescence à l’âge adulte, à travers des portraits qui tentent de décrypter l’identité de chacun de ses modèles. Énumérer ce que cette artiste a réalisé ou obtenu comme reconnaissances, bourses ou prix, citer les musées qui présentent son travail ou les honneurs qu’elle a reçus, relève d’un exercice très ardu : titulaire de lab ourse Guggenheim pour son travail en 2018, nommée pour le prix Yield, lauréate du Top 50 à Photolucida en 2015, élue pour le meilleur livre 2012 avec Girl and Her Room ou encore lauréate avec mention honorable pour le Prix de la photo de l’année de l’Unicef 2010, tout cela n’est qu’un aperçu succinct de tout ce que cette artiste, reconnue mondialement, a accompli. 

Grandir, c’est mourir un peu
À travers trois thèmes : l’enfant-femme, l’adolescente en devenir, et la mère et l’enfant, ainsi qu’une installation ayant pour sujet les filles et leurs chambres, Rania Matar s’est fixé pour objectif (dans She à la galerie Tanit) de tenter d’élucider un mystère qui ne cessera jamais d’être objet de débat. Celui du passage de l’adolescence (par définition une période de rébellion) à l’âge adulte dans une perpétuelle quête d’identité. Comment jouer le rôle de mère et maintenir le dialogue tout au long de cette délicate période de crise lorsque la séparation d’avec le cocon parental est cruciale, incontournable, et se vit souvent comme une grande déchirure, sans outrepasser les limites, heurter ou empêcher l’épanouissement ? Comment établir un juste équilibre entre autorité et laisser-aller ? Chaque enfant est unique au regard de sa mère, chaque mère est un exemple pour l’enfant, et chaque modèle dans les portraits de Rania Matar est unique aux yeux de l’artiste. Pour avoir suivi, attendu dans leur évolution et photographié ces modèles, les portraits apportent à cette maman de deux jeunes filles les réponses aux questions qu’elle se pose dans l’éducation de ses enfants ou lui projette les questions qu’elle se posera dans l’avenir quand elles devront naturellement s’affranchir. Dans l’intimité de cet affranchissement que les jeunes adolescentes brandissent et de l’indépendance qu’elles tentent d’acquérir au détriment d’un quotidien fait de déchirures et de confrontations, la photographe pénètre avec respect et bienveillance au cœur de chaque identité, de chaque intimité. 

Au-delà du simple cliché
Que se soit dans sa manière de dépeindre la croissance qui prend de court les adolescentes, la beauté sous-jacente qui se devine derrière chaque puberté et chaque fragilité corporelle, ou dans sa façon de mettre en situation les couples mère-filles, Rania Matar réussit à lire au-delà de l’attitude, au delà de l’individualité, et à soulever la problématique des différences culturelles, religieuses et ethniques. Elle réussit à montrer, à travers son objectif, l’évolution de la société et du regard que celle-ci porte sur la jeunesse. Ainsi, cette mère et sa fille portent toutes les deux le voile, mais chacune d’une façon qui lui est propre et conforme à sa génération. Un peu plus dégagé sur le front pour la jeune fille que pour la mère, légèrement accessoirisée chez l’une et plus conventionnelle chez l’autre, ce double portrait laisse deviner une certaine émancipation que confronte un traditionalisme certain.

Étaient-elles conscientes de l’image qu’elles projetaient ou est-ce le talent de la photographe qui réussit à mettre le doigt et la lentille sur la différence ? Et cette jeune femme qui dépose sa tendresse sur le visage de sa mère par un geste de la main, avait-elle prévu cette émotion qui lui embrume le regard ? Ou encore cette petite fille qui a insisté pour se faire photographier trois ans plus tard dans la même robe comme pour résister à se défaire de sa part d’adolescence, son geste était-il réfléchi ? 
Des émois qui surgissent à travers chaque regard, de ces changements subtils dans le langage corporel, de l’attitude légèrement embarrassée à la vulnérabilité suggérée, du respect de la tradition ou sur les sentiers de la liberté, c’est tout un lexique de la féminité que l’on retrouve au cœur de ces photographies.

De l’individu à l’universel, qu’elles soient choyées et protégées ou démunies et laissées à elles-mêmes, le travail de Rania Matar appréhende le devenir, questionne le passé et examine le présent pour finalement retrouver la beauté dans chaque regard et dans chaque geste, et tracer ce chemin que toutes les femmes empruntent, inévitablement, de l’enfance à la réalisation de soi. 

Galerie Tanit
Mar Mikhaël
Jusqu’au 1er juin 2018

Lire aussi
Née au Liban, Rania Matar déménage aux États-Unis en 1984 après une formation en architecture à l’Université américaine de Beyrouth qu’elle poursuivra à l’Université de Cornell. Attirée par la photographie, elle complète ses études à La New England School of Photography et enrichit sa formation grâce à des workshops dans différentes villes des États-Unis. Elle se...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut