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Nos Lecteurs ont la Parole - Zeina NADER SELWAN

Henri Moussalli, 100 ans de bonheur, 100 fois merci

Du plus loin que je m’en souvienne, je le voyais toujours en contre-plongée. D’abord parce que j’étais toute petite et que lorsqu’il se baissait pour m’embrasser, j’entendais ma grand-mère lui crier : « Tu vas la piquer avec tes moustaches ! » Ensuite, je le surprenais perché sur sa vigne tenant victorieusement une de ces grosses grappes de raisin ; ou alors sur le lampion de l’entrée du jardin en train de changer, à 3 mètres de hauteur, l’ampoule « parce que personne ne sait le faire convenablement ». Je le revois aussi sur les briques rouges de son toit en train de tourner l’antenne, seul sur une pente raide.
Oui, car seul sur une pente raide il releva tant de défis et il fut toujours maître des lieux et des cérémonies, en acrobatie sur tous les aléas de la vie. Il fut toujours si grand pour moi que, même lorsque j’atteignis sa taille, il me semblait que je devais hausser la tête pour mieux admirer son courage.
Il composa allègrement un siècle.
Cadet d’une famille de 6 garçons, il tenait son frère Victor par la main pour se diriger vers le Petit Collège des jésuites. Ils achetaient la « kaake » à l’entrée de l’école. Elle coûtait un sou troué. Son enfance fut bercée par les multiples blessures dues aux parties de football et les espiègleries en servant la messe aux autels des jésuites.
Cela prit brusquement fin lorsque son père en décida ainsi alors qu’il avait à peine 10 ans et que sa mère décida de rentrer à Alep pour avoir le soutien de ses parents.
Après avoir eu son bac, il ne put continuer ses études afin de subvenir aux besoins de sa famille. Et c’est alors qu’il entra travailler à la banque, à Beyrouth d’abord puis à Damas, où il rencontra sa future femme, Élise.
Il survécut aux deux grandes guerres, au krach boursier de 1929, au fameux tremblement de terre de 1956, il vit le Liban durant sa période de gloire, palpa son effondrement avec douleur. L’écouter jusqu’à aujourd’hui nous parler de ces événements est une leçon d’histoire vivante et vibrante.
Il mena si bien son chemin, fit frémir ses employés à la banque pendant plus de 50 ans. Et il ne s’arrêta pas. Il ne prit jamais vraiment sa retraite. Il entreprit de construire sa maison à Kfarhbab, celle de ses enfants.
Il voulut surtout reconstruire l’église de la paroisse. Il en fut le trésorier fidèle et combatif.
Vingt ans plus tôt, je l’entendais répéter qu’il ne mourra pas avant que la dernière pierre n’en soit posée. Et il inaugura, à 99 ans, la maison de Dieu, assis droit et humble sur le premier siège.
Ce fut un grand chasseur. Il allait en longues randonnées à l’affût des gibiers, délicieusement cuisinés ensuite par ma grand-mère.
Grand voyageur également, il ne ratait pas l’occasion de prendre ses enfants à la découverte de nouveaux sites.
Il importa des roses de France et planta des arbres fruitiers et des arbustes. Ses avocats, ses fraises et ses pamplemousses ont le meilleur goût de la planète.
Il se souvient de tout. De la date d’anniversaire de son arrière-petite-fille, de l’examen que passe son arrière-petit-fils, du numéro du vol que prend son fils.
Il est au courant de tout. Le poids de l’âge n’a jamais été lourd pour lui. Il est fils de son temps. Il est d’ailleurs connecté à notre époque. La sienne. Il suit religieusement le fil des actualités et il ne manque pas de m’envoyer des articles susceptibles de m’intéresser.
Passionné de tennis, il continue à visionner tous les tournois en direct en nous servant de ses commentaires.
Il perdit sa femme un matin de février. Avec foi et recueillement, il lui dit adieu. Il ne cessa jamais de l’aimer ni de lui rendre hommage. Et il perdit tous ses frères, ses cousins, ses amis. Tant de deuils jalonnèrent son existence.
Il surmonte ces peines avec son éternelle positivité. Il ne cesse jamais d’espérer. Il veut toujours mieux faire, donner plus. Il décide aujourd’hui d’enjamber un autre siècle. Sans béquilles, sans canne et avec tout son esprit.
Il nous apprend la persévérance, la patience, l’humilité, la dévotion, la fidélité, l’amour surtout.
Ce héros au grand cœur, cette ride ancrée dans tous ses souvenirs, cette mémoire d’éléphant, ce cerveau bien rempli, effervescence et sagesse, énergie et piété, ma fierté, notre doyen, notre pilier, mon si grand grand-père!... Et il cultive encore son jardin.

Du plus loin que je m’en souvienne, je le voyais toujours en contre-plongée. D’abord parce que j’étais toute petite et que lorsqu’il se baissait pour m’embrasser, j’entendais ma grand-mère lui crier : « Tu vas la piquer avec tes moustaches ! » Ensuite, je le surprenais perché sur sa vigne tenant victorieusement une de ces grosses grappes de raisin ; ou alors sur...

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