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Lifestyle - Un peu plus

S’envoler de/vers Beyrouth

Photo Shutterstock

C’est fou ce sentiment d’appartenance absolue et de patriotisme que nous avons, nous Libanais, quand nous sommes à l’étranger. Une espèce de fierté non dissimulée de venir du pays de la myrrhe et de l’encens. Une sorte de jouissance d’être le fils ou la fille de Khalil Gibran, la cousine éloignée de Shakira, le neveu d’Amal Clooney, la pote d’Ibrahim Maalouf, l’héritier de Feyrouz ou l’ex-voisin de Mika. Et surtout qu’on est en compétition aux oscars. Pas Ziad Doueiri, mais nous, tout le peuple. Comme avec Gabriel Yared.
On se délecte en fanfaronnant que nous sommes à l’origine de la couleur pourpre, que nous avons des milliers d’années d’existence, que nous avons créé le concept du commerce, que Jésus est passé par là, que nous sommes 17 confessions à cohabiter, que nous sommes à l’origine du hommos, de la tabboulé (la vraie) et du mezzé ; que nous avons la mer, la montagne, les forêts et les rivières dans à peine 10 452 km2 ; des ruines romaines, les cicatrices d’une guerre de 30 ans, la plus belle nightlife du monde, une hospitalité incomparable, que Bardot est venue chez Pépé Abed, que Dalida a chanté au Piccadilly et qu’on peut nager et skier dans la même journée.
Dès qu’on met le pied dans un avion de la MEA à destination de n’importe où, on devient un ambassadeur hors pair de ce pays qu’on adore détester. On vante ses mérites en invitant tout un chacun à venir passer quelques jours chez nous, en insistant bien évidemment sur le fait que l’on va s’occuper d’eux. Qu’on les emmènera, dans le désordre, à Baalbeck, Mar Mikhaël, au Skybar, aux Cèdres, à Hamra, à la grotte de Jeïta, à Batroun, à Decks, boire de l’arak chez Mounir, à Byblos, sur la Corniche, à Madina, au Music Hall, manger une man’ouché… partout où le vent aux fragrances de sumac nous portera. On leur certifiera aussi qu’il suffit de venir une fois sur notre terre promise pour qu’ils y reviennent. De véritables ministres du tourisme, nous rétorquent-ils.
 « Oui, mais si vous saviez combien je hais le Liban. » C’est un fait, dès qu’on met le pied dans un avion de la MEA à destination de Beyrouth, on (re)développe une allergie non dissimulée à notre (petit) pays. À commencer par les hôtesses (qui ne nous ont rien fait), le plateau-repas, le gemrok, les 350 3ettels qui se jettent sur nous, les taxis hors de prix qui cherchent à nous arnaquer, l’odeur fétide qui nous prend à la gueule quand on dit aux taxis d’aller se faire foutre et les embouteillages sur la route du retour. Et là, en un instant, tout ce qu’on avait pu dire de poétique sur les jacarandas ou le son mélancolique du oud devient un kess ekhta généralisé. Hal balad, lebneniyyé, l’siyessin. Et tout y passe. La pluie, la chaleur, les conducteurs, l’état des routes, les embouteillages, les darak, la cherté de vie, les additions dans les restaurants, les impôts, la grille des salaires, les scolarités exorbitantes, les fonctionnaires de l’État, les injustices, les lois antigays, les inégalités femmes-hommes, le non-transfert de la nationalité, le corps ecclésiastique, la pollution, l’air qu’on respire, les poubelles qui s’entassent, les prix des forfaits mobiles, la ligne qui se coupe sans arrêt, l’internet trop lent, l’électricité parkinsonienne, les moteurs, les réfugiés, les camps, les élections, la corruption, les programmes vulgaires à la télé, la chirurgie esthétique à outrance, les sourcils Angry birds, les seins trop gros, la narguilé à la plage, les livres d’histoire incomplets et j’en passe.
On a oublié tout ce qui faisait la beauté du Liban. Comme si on avait envoyé, ensemble, au bûcher ou à l’échafaud, Le Prophète, la musique d’English Patient, Sabah, le hommos et Baalbeck. Malheureusement, c’est légitime. Parce que lorsqu’on regarde le bleu de notre Méditerranée et son soleil couchant, on sait désormais qu’il faudra aller ailleurs pour voguer sur une mer plus tranquille. Une mer plus propre. Et là-bas, on reparlera sans amertume de ce pays auquel on tient tellement.

C’est fou ce sentiment d’appartenance absolue et de patriotisme que nous avons, nous Libanais, quand nous sommes à l’étranger. Une espèce de fierté non dissimulée de venir du pays de la myrrhe et de l’encens. Une sorte de jouissance d’être le fils ou la fille de Khalil Gibran, la cousine éloignée de Shakira, le neveu d’Amal Clooney, la pote d’Ibrahim Maalouf, l’héritier...

commentaires (11)

Quel style savoureux et pittoresque qui nous peint des descriptions au moyen de mots ?

Jihad Sfeir

22 h 42, le 15 avril 2018

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Commentaires (11)

  • Quel style savoureux et pittoresque qui nous peint des descriptions au moyen de mots ?

    Jihad Sfeir

    22 h 42, le 15 avril 2018

  • Bravo! Le rêve qui ne ressemble pas à la réalité!

    Nadine Naccache

    09 h 33, le 05 mars 2018

  • ARTICLE TELLEMENT VRAI Parfaitement ecrit et reflete une verite que toute personne Libanaise émigré resent si bien Rien n'est plus beau dans notre memoire que le Liban que nous avons connu, Rien n'est plus vrai quand on s'y rend que de voir ce qu'il est devenu par rapport aux payx ou on vit maintenant MM nos DIRIGEANTS qu'avez vous fait de notre pays ?

    LA VERITE

    02 h 22, le 05 mars 2018

  • Sentiment partagé. Quel délicieux article. Merci.

    Stephane W.

    20 h 37, le 03 mars 2018

  • Moi qui est libanaise d'origine grecque . Le Liban est mon pays et je l'aime , j'espère aller au Liban en Octobre pour dès vacances

    Eleni Caridopoulou

    17 h 29, le 03 mars 2018

  • En fait il ya plusieurs Liban, autant de Liban que de libanais. Tout ce qui est écrit est véridique mais pour moi la chose la plus vraie c'est qu'il faut passer 10 jours au liban à chaque séjour espacé d'au moins 3 mois. Comme ça le Liban mémorisé reste bien ancré dans notre disque dur.

    FRIK-A-FRAK

    12 h 52, le 03 mars 2018

  • Genial la pure verite...Oui c'est notre chere pays...

    Soeur Yvette

    09 h 59, le 03 mars 2018

  • UN ARTICLE QUI DECRIT HAUT ET FORT LES ENCHANTEMENTS ET LES DECEPTIONS DES EMIGRES LIBANAIS ! BRAVO !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 44, le 03 mars 2018

  • Génial!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 17, le 03 mars 2018

  • SUPPPPERBBBB ARTICLE 100% LA PURE VERITE HELAS...

    Obeid Laurent

    07 h 13, le 03 mars 2018

  • Très réaliste, très bien décrit et que c’est vrai... Je vois ces immigrés nostalgiques qui ne rêvent que de revoir les lieux de leur enfance... Une fois débarqués, ce sont les retrouvailles avec les résidus de leurs familles,tribus et amis et les festivités qui commencent: ils vont revoir, goûter et revivre tout ce que vous décrivez dans la première part de votre article... sorties dans tous les restaurants à la mode, en ville et en montagne, virées dans les plages huppées et aseptisées... Ils sont maintenus dans l’euphorie du moment par cette chaleur humaine et hospitalité bon enfant propres aux Libanais qui peut durer une semaine à 10 jours... Puis c’est le réveil brutal à la réalité que vous décrivez dans la 2ème moitié de votre article: sentiment de déception, de dégoût et ils ont hâte de quitter au plus tôt! Sauf qu’ils vont y revenir une ou deux années plus tard: que voulez-vous, c’est comme une drogue et nous l’avons dans nos gênes!

    Saliba Nouhad

    05 h 00, le 03 mars 2018

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