C’était un moment de sincérité, comme la vie politique en réserve peu. Entre le président de la Chambre, Nabih Berry, et les étudiants de la LAU (Lebanese Americain University) le courant est rapidement passé. En dépit du temps limité de la rencontre (40 minutes), M. Berry s’est prêté au jeu des questions-réponses, alternant les boutades et les positions politiques, avant de déclarer avec simplicité : « Je ne suis pas fils d’un bey, je ne suis pas un bey et mon fils ne sera pas un bey. Je n’ai pas d’héritier politique au sein de ma famille. Et je suis fier d’avoir lutté contre le féodalisme qui régnait au Sud depuis plus de 400 ans, en suivant la ligne tracée par l’imam Moussa Sadr. » Tout en reconnaissant avoir essuyé des échecs dans sa pratique politique, Nabih Berry a aussi affirmé qu’il croit par-dessus tout au dialogue...
Accompagnés de leurs professeurs, des doyens et président de l’université Joseph Jabra, les 128 étudiants sélectionnés pour participer à cette rencontre sont arrivés au siège du Parlement vers 11 h, ce samedi, en tenue stricte, comme l’exige la solennité du lieu. Ils ont pris place, chacun sur le siège d’un député, essayant de se familiariser avec l’utilisation du micro. Les professeurs et autres responsables universitaires, eux, se sont installés sur les sièges réservés aux ministres alors que les journalistes étaient à leur place habituelle.
À midi, le président de la Chambre est annoncé. Il fait son entrée alors que tous les présents se mettent debout par respect. Avec son habileté à détendre l’atmosphère, Nabih Berry lance : « Cela fait bien longtemps que je n’ai pas vu autant de députés dans l’hémicycle », provoquant les rires des présents. Il se comporte comme s’il s’agit d’une séance parlementaire ordinaire, avec l’exposé de l’ordre du jour et l’annonce du nombre des présents.
La séance est ensuite déclarée officiellement ouverte. Un étudiant prend la parole pour présenter l’université. Le président de la LAU lui succède à la tribune et c’est ensuite au président de la Chambre de prendre la parole. Au lieu de s’exprimer à partir de sa chaire, comme l’exige le protocole, il se place lui aussi devant la tribune, « pour, dit-il, être plus près des étudiants ». M. Berry explique dans les grandes lignes le rôle du Parlement, tout en le comparant à une mini- « Assemblée générale des Nations unies ». Il insiste sur deux concepts qui sont devenus en quelque sorte le label de sa longue présidence de la Chambre : la démocratie consensuelle et la diplomatie parlementaire. Il dresse aussi une feuille de route pour la période qui suivra les élections législatives de mai, annonçant qu’il faut œuvrer à respecter la Constitution et les échéances qu’elle prévoit. Il faut aussi tout faire pour éviter un retour en arrière et il faut aussi entamer un vaste chantier pour élargir la base proportionnelle et renforcer la démocratie à travers l’augmentation de la participation de la femme et celle des jeunes.
Nabih Berry se prononce ainsi en faveur du quota féminin et en faveur de la fixation de l’âge de vote à 18 ans. À un étudiant qui lui fait remarquer que la moyenne d’âge des députés est actuellement de 64 ans alors que près de 30 % des électeurs ont moins de 30 ans, tout en lui suggérant d’adopter un quota pour les jeunes au Parlement, M. Berry répond qu’il est préférable de rabaisser l’âge de vote et de le fixer à 18 ans au lieu de 21.
« Pas de journaliste en prison »
Il évoque ensuite les grands dossiers qui pèsent sur le Liban, dont en tête bien sûr la volonté israélienne de s’approprier les ressources du Liban, ainsi que les déplacés syriens. Il conclut sa présentation en rappelant l’importance du dialogue et le fait que le Parlement reste le lieu idéal où tous les débats peuvent se dérouler.
Un étudiant lui demande alors s’il lui est arrivé d’échouer dans sa politique de « main tendue » et M. Berry répond : « Oui, j’ai échoué à plusieurs reprises dans mes initiatives pour former la Commission nationale pour l’abolition du confessionnalisme politique. » À la question de savoir si la nouvelle loi électorale aboutira au renouvellement de la classe politique, il déclare : « Franchement, je ne crois pas. La proportionnelle peut le faire, mais, dans la loi actuelle, ce n’est pas celle que nous voulons... Pour être efficace, elle doit se faire dans de grandes circonscriptions. Ensuite, il aurait fallu adopter le quota pour la représentation de la femme, sans parler de l’âge de vote. »
À une étudiante qui travaille sur un projet de voitures électriques sans chauffeur, qui lui demande si un tel projet peut être envisagé au Liban, M. Berry lance : « Il faut toujours rêver. Un être humain sans rêve est pratiquement mort, et une patrie sans rêve est finie... »
Au sujet de la crainte pour les libertés de la presse, Nabih Berry répond qu’il est avec la presse, qu’elle soit juste ou non. Mais il ajoute dans une boutade : « J’aimerais bien voir un journaliste en prison pour en faire une cause. Mais il n’y en a pas ! »
Sur les qualités attendues d’un leader, il précise qu’il doit être droit et au-dessus de tout soupçon. Il déclare encore que, jusqu’à présent, la construction de l’État a été un échec, d’abord parce que la Constitution n’a pas été appliquée et ensuite parce que les institutions ne peuvent pas remplir leur rôle à cause du confessionnalisme politique qui empêche de réclamer des comptes. En conclusion, il a lancé cette phrase qui ressemble à un appel : « La confession est une bénédiction, mais le confessionnalisme est une malédiction, car il consiste dans l’exploitation de la religion à des fins politiques... »
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commentaires (7)
Ouaouuuu !!! On est renversé par tant de noblesse d'esprit, d'abnégation et de dévouement à la patrie...on lui donnerait le BON DIEU sans confession !!! Irène Saïd
Irene Said
17 h 44, le 26 février 2018