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Culture - Théâtre

L’être et la demeure

Lors du décès de leur mère, deux sœurs et un frère sont confrontés à un ultime dilemme, garder ou vendre la maison familiale. Al-Beyt*, une œuvre drôle et tragique, mais surtout très réaliste, dans une mise en scène de Caroline Hatem.

Deux sœurs, un frère et une maison familiale en péril. Photo Caroline Hatem

La maison, un mot si suggestif et si riche aux multiples synonymes. Le terme est utilisé aussi bien pour désigner la demeure, l’abri, le logis ou le refuge, que la maison de santé, de retraite, ou encore la maison close. Mais elle reste avant tout, pour le philosophe français Gaston Bachelard, le centre du monde, et pour Nadia – campée avec brio par Yara Abou Haïdar, dans la pièce al-Beyt de Caroline Hatem –, le centre de son monde, celui qu’elle a du mal à quitter. Habiter est une attitude qui imprègne tant notre quotidien que notre être. Comment habite-t-on la maison de l’être ? Est-ce y demeurer ? Est-ce y appartenir ? Pour Nadia, cette maison est tantôt le coffre de ses souvenirs et de sa mémoire, tantôt le miroir de son état d’âme. Et lorsque sa sœur Reem (interprétée par Jessy Khalil) évoque les murs qui suintent et la peinture qui se désintègre, c’est à sa sœur aînée qu’elle fait allusion, celle qu’elle regarde se défraîchir et flétrir à force de s’isoler, celle qui ne dégage plus que la moisissure et le renfermé. Un poète a dit un jour : « On passe sa vie à rentrer chez soi », ce chez-soi où l’on naît et où l’on meurt peut aussi bien être l’endroit de l’hospitalité et des étrangers qui en traversent le seuil que le vivier d’hostilité des familles qui se déchirent et règlent leurs comptes.

Comme un air d’Orient
La scène s’ouvre sur une maison traditionnelle. Un vieux buffet, un canapé recouvert d’un plaid en crochet, un portemanteau en bois et au sol, un cadre photo placé dos au public qu’éclairent quelques bougies. Deux sœurs commentent le quarantième du décès de leur mère. Elles ne sont pas d’accord et n’arrêteront pas de se disputer tout au long de la pièce : « Nous aurions pu nous suffire d’une petite messe intime », dit la cadette. « Non, rétorque l’aînée, ta mère méritait qu’on l’honore. » Le ton est donné ! Sous le regard à ras du sol de la défunte, que le public devine derrière le cadre, les deux sœurs n’auront de cesse de se déchirer dans une bataille de pamphlets, quelquefois tempérée par un frère pétri de lâcheté humaine. Le texte, écrit par Arzé Khodr lors d’une résidence d’écriture à la Royal Shakespeare Company, a été traduit en quatre langues, et adapté sur les planches londoniennes, tunisiennes, marseillaises et new-yorkaises. Il est interprété aujourd’hui par trois acteurs talentueux sur les planches du théâtre Monnot qui vient de faire peau neuve.

Partir pour mieux revenir
L’aînée, celle qui n’est jamais partie, qui n’a jamais aimé, qui n’a jamais osé et qui a veillé sa mère jusqu’au bout, c’est Nadia. Et quelle famille libanaise ne possède pas sa Nadia ? La fille dévouée qui a refusé les prétendants : « Tu mérites mieux que ça », ont souvent répété des mères et des pères égoïstes. C’est dans les marmites que Nadia a enterré sa liberté et dissimulé son courage derrière les fourneaux et le sens du devoir. C’est dans cet être intérieur qu’elle demeure, s’abrite et se protège de l’extérieur, cet extérieur que la cadette Reem est partie, depuis 10 ans, affronter. Non qu’elle ait abandonné le domicile familial pour mieux vivre, mais surtout pour s’empêcher de mourir. Au fil de la pièce, se dévoile un traumatisme dû au décès de son père que la mère a longtemps reproché à la fille cadette : « Tu n’aurais pas été aussi capricieuse, il serait encore vivant. » Des reproches, de la culpabilité, la liberté revendiquée et le regard des hommes sur les femmes sont les composants essentiels de cette pièce qui n’en demeure pas moins riche en rebondissements, en situations drôles et graves. « Oui, je suis la putain qui est partie collectionner les aventures », lance Reem à sa sœur qui tente en vain de la récupérer pour pallier à la solitude de son quotidien. Et enfin, il y a le frère, Tarek Yaacoub, seule figure masculine qui gravite au sein de cette entreprise aux couleurs de Vénus : d’abord le texte, ensuite la mise en scène adaptée avec brio par Caroline Hatem, actrice et ballerine de formation, et enfin les deux actrices, un univers de femmes. Un frère mené par sa femme dont on devine l’archétype de la parfaite belle-sœur, un frère tiraillé par ses besoins et l’affection qu’il porte à ses sœurs.

Sachant trouver, dans son texte dramaturgique, la juste mesure entre humour et gravité, Arzé Khodr donne à expérimenter un théâtre humaniste ouvert à tous, qui ne manquera pas de dépoussiérer la mémoire de plus d’une famille libanaise. La pièce est servie par une mise en scène réussie, dans des effets de cadrage et de lumière intimiste. On rit, on partage, mais pour un sujet si fort, une émotion, celle qui cherche le mouchoir désespérément, reste à être trouvée.
 
*Al-Beyt
Théâtre Monnot
Jusqu’au 24 Février, 20h30.

Infos : 70/789906 ou Antoine Ticketing.
Mise en scène de Caroline Hatem ; texte de Arzé Khodr
Avec Yara Abou Haïdar, Jessy Khalil et Tarek Yaacoub.



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