« Dialogue » de Saoud Abdallah.
Du mont Shihan, du Kamishli, de Tadmor et de Tall Manin en Syrie, ainsi que des côtes du littoral libanais, les petites particules de sable ramassées, triées, assemblées et collées sont venues se poser sur les toiles de Saoud Abdallah, créant ainsi des formes féminines lascives et éloquentes. Ses œuvres sont exposées à la galerie Art on 56th.
Le travail de l’artiste syrien, installé depuis quelque temps à Beyrouth, est silencieux. Contemplatif. Il ne nécessite nul mot, chahut ou cri pour exprimer ce dialogue qui se construit sur la toile avec le spectateur. Il n’a même pas besoin d’explications ou de commentaires. Il suffit à Abdallah de tracer des traits, fins, onduleux et sensuels, pour interpeller le regard, l’inviter à s’immerger dans cette étendue de particules sablonneuses mises en aplat dans un geste chaud et multisensoriel. Juste des lignes avec du sable aux couleurs neutres (noir, marron, vert et brun). Le visiteur se chargera de faire le reste et de remplir les cases vides avec sa propre histoire. Car le trait, pour Saoud Abdallah, n’est pas le simple coup de crayon, mais avant tout cette calligraphie propre à la région qui raconte dans ses plis et replis tous les contes fabuleux du monde.
L’horizon des âmes
« C’est le thème de ce travail qui a imposé la technique », signale Saoud Abdallah, qui parle de cette femme en perpétuelle attente. « Il ne me fallait pas un fond de teintes acryliques ou d’huile, mais un espace tout simplement épuré, à la fois nu, vibrant et mouvant, pour mettre en évidence les lignes féminines. »
Diplômé de la faculté des beaux-arts de Damas, l’artiste a exposé en Syrie, en Italie et au Liban. En choisissant le sable glané de différents pays arabes, c’est aussi l’histoire de la région, de la femme, des deux à la fois, qui y est racontée. Cette Ève, aux courbes arrondies et à la chevelure de jais, est la descendante de l’odalisque de Manet, l’Olympia qui a fait tellement de vagues et de remous, ou de la Vénus d’Urbin du Titien (sauf que celle-ci avait un chiot sur ses draps satinés et non un chat qui l’observe), mais aussi de la Maja nue de Goya. La femme chez Abdallah est aussi différente de celles qui l’ont précédée. Elle a dépassé les frontières. Elle se love dans le sable. Elle y est coulée en entier. Elle est l’Orient avec ses rêves, ses appréhensions, son attente. Mais aussi l’Extrême-Orient de par son épure et sa simplicité.
Parfois, elle se fait liseuse, mutine avec son petit chignon, tricoteuse comme Pénélope. Elle est la naissance et la genèse de tout. Qu’attend-elle ? Dans sa chevelure d’ébène qui coule tel un flot sur ses épaules, se mêlent et se démêlent toutes les interrogations du temps.
« La femme est ma muse parce que sa vie est une longue attente. De son homme, son enfant, ou de l’espoir venu de loin », confie l’artiste. « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »
Le trait pour Saoud Abdallah est aussi une note, un rythme qu’il puise dans son passé de musicien et qui compose une ode symphonique à la femme. Il ne s’agit plus d’une ligne qu’on trace pour délimiter un espace ou faire surgir des frontières. C’est une ligne qui libère, qui ouvre vers un nouvel horizon, ce trait « qui souligne l’infini ». Et comme le dit Platon, « le corps de tout corps couché prend la ligne de l’horizon de l’âme. L’endormi devient le réveillé de l’ombre ». Par cette approche artistique, l’artiste aura tenté de découvrir l’horizon illimité des âmes.
Galerie Art on 56th
Rue Youssef Hayeck, Gemmayzé
Tél. : 01/570 331
Jusqu’au 17 février
que c'est beau et abouti avec si peu de choses!
14 h 36, le 07 février 2018