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Idées - Économie

Croissance mondiale : ce que cachent les bonnes nouvelles

Photo d'illustration prise en mars 2015 dans un centre commercial à Yichang (Chine). Archives STR / AFP.

À l’entame de 2018, les choses semblent s’être améliorées sur le plan économique. Au cours des six derniers mois, les prévisions de croissance de l’économie mondiale publiées par des institutions officielles, telles que le Fonds monétaire international, ont été ajustées à la hausse. Les prévisions privées les ont égalées ou même dépassées. Pourtant, toutes les nouvelles ne sont pas bonnes.
Certes, il y a beaucoup d'indicateurs positifs qui inspirent l'optimisme. L’indice des directeurs d’achat de la zone euro dans le secteur de l’industrie a atteint un niveau record le mois dernier ; même l'économie de la Grèce a finalement renoué avec la croissance. Aux États-Unis, la croissance semble maintenant susceptible de dépasser les prédictions d’octobre du FMI établies à 2,3% pour 2018. Dans le monde émergent, la Chine semble avoir évité le risque d'un ralentissement brutal: bien que son économie ne connaisse plus de croissance à deux chiffres, sa taille accrue implique que, en termes absolus, le taux annuel actuel de 7 % vaut plus que le taux de 10 % du passé. La Turquie, pour sa part, a enregistré 11 % de croissance au troisième trimestre de 2017. Même le Brésil, qui a connu une croissance négative en 2016, est susceptible de dépasser les prévisions de croissance établies par le FMI à 1,5 % pour 2018. La justesse de la valeur des actions – qui, pendant un certain temps, semblait déconnectée des fondamentaux – est de plus en plus confirmée par le renforcement de l'économie réelle. Le Stock Exchange All-World Index du Financial Times a augmenté de près de 22 % en 2017 – sa meilleure performance depuis le rebond post-crise de 2009.


(Commentaire : Pourquoi le populisme économique est parfois nécessaire)


Pessimisme obsolète ?
Avec la disparition progressive du pessimisme concernant les possibilités de croissance qui régnait ces dernières années, certains des avertissements exprimés au cours de ces années semblent être devenus obsolètes. Robert Gordon de l'Université Northwestern, par exemple, estimait que l'économie américaine finirait forcément par ralentir, parce que les innovations technologiques d'aujourd'hui ne stimuleraient pas la croissance autant que dans le passé. L’économiste de Harvard Lawrence H. Summers avait attiré beaucoup d'attention avec son argumentation selon laquelle le monde risquait de glisser vers une « stagnation séculaire », car le taux d'intérêt nécessaire pour faire correspondre les niveaux désirés d’investissement et d’épargne était en dessous de zéro.
Pourtant, bien que la borne inférieure du niveau zéro ne semble plus être une contrainte, il y a des causes potentielles de préoccupation, dont un a trait aux niveaux d’endettement. Puisque les économies avancées n’ont plus besoin de maintenir des politiques monétaires extraordinaires, les taux d'intérêt nominaux sont appelés à s’élever au-dessus de leurs plus bas historiques actuels. Lorsque cela se produira, les niveaux élevés de dette pourraient devenir problématiques, ce qui nuirait à la croissance en déclenchant un désendettement désordonné. Cela dit, étant donné la faible inflation, il y a peu de raisons de s’attendre à ce que les taux d'intérêt augmentent fortement ; la normalisation progressive de la politique monétaire n’aura pas nécessairement des effets négatifs sur la croissance ou l'inflation.
Mais il y a un autre obstacle potentiel sur la voie d’une reprise soutenue: le déclin de long terme de la croissance de la productivité n'a pas encore été inversé. Au lieu de cela, le boom actuel semble être basé sur la demande, la consommation privée étant le principal moteur, bien que l'investissement privé, lui aussi, commence enfin à augmenter. Ces tendances se sont accompagnées d'une solide croissance de l'emploi, ce qui est une bonne nouvelle, mais ne peuvent pas durer éternellement. À plus long terme, la performance économique et la croissance potentielle dépendra de l'offre et, en particulier, d’une relance de la croissance de la productivité. Les techno-optimistes affirment que la technologie fournira les gains nécessaires, lorsque le décalage entre les capacités numériques et leurs applications dans l'économie diminuera. Mais il est trop tôt pour dire avec certitude, grâce à des preuves empiriques, si ce sont ces derniers ou les techno-pessimistes comme Gordon qui ont raison. Bien que nous nous considérions plutôt comme des techno-optimistes prudents, il existe des arguments convaincants des deux côtés.


(Lire aussi : Les plus riches ont accaparé 82% de la richesse mondiale créée en 2017 (Oxfam))


Panacée virtuelle
Ce qui n’est pas vraiment un débat, c’est que les inégalités au sein des pays sont en train d’augmenter rapidement. Bien que chaque pays connaisse des niveaux d'inégalité différents, leur augmentation a été évidente presque partout, avec une concentration de plus en plus grande des revenus et de la richesse au sommet. Cette tendance va s’accélérer avec les nouvelles technologies qui, indépendamment du niveau de croissance de la productivité qu'elles génèrent, ne cessent d’augmenter la prime de qualification, de transférer des revenus aux entreprises à la frontière technologique et de permettre à de nouveaux types de positions de quasi-monopole, où « le gagnant emporte tout », de se développer à une échelle mondiale.
C’est là que réside le plus grand danger lié aux gros titres actuellement exubérants à propos de la croissance. De nombreuses personnes croient que la croissance rapide peut agir comme une panacée virtuelle pour les malheurs politiques et sociaux des pays, y compris la montée du populisme et du nationalisme. Or, si les bénéfices de la croissance rapide se dirigent vers les 5 % ou 1 % les plus riches, les tensions sociales augmenteront inévitablement. Et le fait est qu'il sera difficile d'élaborer des politiques capables d’inverser les tendances politiques nuisibles actuelles et de promouvoir une croissance plus largement partagée.
Cela ne veut pas dire que rien ne peut être fait. Au contraire, la conception de solutions devrait être une priorité ; le débat politique devrait se centrer sur des mesures permettant de construire des économies véritablement inclusives. L’une de ces mesures serait de permettre un large accès à une éducation abordable et de qualité, y compris en vue d’améliorer ou de recycler ses compétences une fois sur le marché de l’emploi. L'élaboration de cadres réglementaires encourageant la concurrence aiderait aussi ; ainsi que de lutter contre l'érosion de l'assiette fiscale. La recherche publique doit être financée de manière à faire participer les contribuables aux résultats rentables. De même, les investissements en infrastructure devraient avoir des objectifs explicites de financement par fonds propres. L'objectif devrait être des combattre les inégalités sur deux fronts: veiller à ce que les revenus avant impôts augmentent de façon plus inclusive et renforcer le rôle d'égalisation joué par les impôts et transferts.
Étant donné la nature mondiale des marchés, de nombreuses politiques nécessiteront une coopération internationale pour être efficaces. Puisque les questions du commerce international, de l'investissement, de la concurrence et des droits de propriété intellectuelle sont de plus en plus reliées, il est devenu vital de développer des approches globales permettant de traiter ces sujets de manière holistique. Une incapacité à atteindre une plus grande intégration – objectif difficile mais réalisable – attiserait les tensions sociales et donnerait du grain à moudre au nationalisme qui est déjà en recrudescence, produisant des perturbations qui, en fin de compte, conduiraient à des pertes pour tout le monde. Pourtant, les bonnes nouvelles actuelles sur le plan de la croissance pourraient masquer ce danger, affaiblissant la volonté de réaliser les changements nécessaires et laissant les économies compter sur les effets de ruissellement du sommet vers le reste de l’économie.


© Project Syndicate, 2018.
Traduction Timothée Demont

Kemal Derviş est vice-président du Brookings Institute et a été ministre de l’Économie de la Turquie (2001-2002) et responsable du Programme des Nations unies pour le développement (2005-2009).
Zia Qureshi est chercheur invite au Brookings Institute et a été économiste en chef à la Banque mondiale.


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