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Liban - La vie, mode d’emploi

96 - Le salut par la générosité (3)

Chassez le naturel, il revient au galop. Chassez le professeur de philosophie et le voici qui pointe de nouveau son nez avec des raisonnements qu’on dit pointus lorsqu’on veut se donner licence de s’en détourner pour n’en être pas inquiété (qu’il remise donc son « aiguillon » le pauvre émule de Socrate !). C’est qu’après les variations sur la générosité pervertie (Vie, mode d’emploi, numéros 75 et 76) et par crainte de ressembler nous-mêmes à Timon d’Athènes que l’ingratitude humaine a poussé à devenir misanthrope et voir dans l’univers une immense entreprise de vol (le soleil ne dérobe-t-il pas à la mer son eau et la lune sa lumière au soleil ?), nous avons ressenti le besoin d’une gorgée d’eau pure, c’est-à-dire d’une bonne leçon de sagesse. Et à qui mieux se fier pour nous aider à la concevoir qu’à Descartes qui a doté la réflexion, grâce à son cogito, d’un socle inébranlable ? Que pense donc cet esprit éminent de la générosité ?
Parmi les vertus, la générosité occupe elle-même, nous assure le philosophe, une place éminente puisqu’elle est la vertu des vertus. Son étymologie, « être bien né », nous le révèle sans équivoque : la générosité est la noblesse de l’homme libre. Notre âme démocratique frémit sans doute déjà d’indignation devant cet élitisme sans fards. Elle aurait pourtant tort, car cette grandeur est liée non pas à l’appartenance à certains lignages, mais à la belle race humaine : tout homme étant pourvu d’une liberté, la générosité réside dans le meilleur usage qu’il en fait. Et s’il agit effectivement de cette manière, alors se trouve parfaitement justifiée l’estime de soi et d’autrui. Nous voyons comment, en moins de deux propositions, ce sentiment, qui fait couler tant d’encre psychologique et pérorer tant de coachs en manque de clientèle à fouetter et pressurer, a été clairement et généreusement fondé.
Munie de ces prémisses et par fidélité à la parole libératrice du maître, nous nous lançons dans notre propre questionnement sur la générosité. Si l’estime dépend de la générosité, est-ce mépriser autrui que de le juger incapable de générosité ? Pourquoi imaginer qu’en tendant notre main pour secourir un malheureux nous manifestons une libéralité exceptionnelle, digne de louanges et fondant une obligation à vie ? Certes, il est légitime de s’estimer pour l’avoir fait alors que nous aurions pu nous en abstenir, mais non pas nous surestimer, car l’occasion se présentera, et peut-être dans l’instant d’après, où l’autre, à son tour, aura à se pencher sur nous pour nous relever. N’est-ce pas là une mesure humaine, admirable dans ses limites mêmes ? Et n’est-ce pas encore estimer autrui que de lui reprocher son ingratitude : « Non, vraiment, à ta place je n’aurais pas agi de la sorte ! Je ne te ferai pas l’offense de penser que tu es moins que moi ! » Et cette vertu n’est-elle pas à la portée de tous ? Car qu’est-ce qui humilie le pauvre, sinon l’idée que l’autre le suppose en dessous de lui, incapable de rien donner parce qu’incapable de rien s’approprier. Or, précisément, lui donner et en même temps lui redonner sa dignité, c’est lui rappeler qu’il n’a pas seulement à prendre, mais à donner de son côté, ne fût-ce que la reconnaissance qu’il a bien reçu, et qu’on est en droit donc de le penser en deçà de lui-même, en tant qu’homme, quand il ne l’a pas fait.
Il est dans l’ordre des choses que, n’ayant pas de liberté, la nature ne soit pas généreuse. Aussi ne nous étonnons pas qu’elle ait fait montre d’avarice avec Descartes et avec nous en nous privant, trop tôt, de cet immense génie, mort à la suite d’un simple refroidissement contracté en Suède parce que la reine Christine, férue de discussions métaphysiques, le retenait de longues heures dans des salles glaciales. Mais, dans cette mort également, il ne manque pas de générosité en nous fournissant une belle illustration de cette pensée de son contemporain Pascal : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffisent pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. (…) Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. » De cela nous déduisons nous-mêmes que la générosité, meilleur usage de la liberté, est encore le choix de la pensée.

Chassez le naturel, il revient au galop. Chassez le professeur de philosophie et le voici qui pointe de nouveau son nez avec des raisonnements qu’on dit pointus lorsqu’on veut se donner licence de s’en détourner pour n’en être pas inquiété (qu’il remise donc son « aiguillon » le pauvre émule de Socrate !). C’est qu’après les variations sur la générosité...

commentaires (2)

LA GENEROSITE... PAR LES TEMPS QUI COURENT... EST UN VICE PLUTOT QU,UNE VERTU... ET DE L,HEBETUDE PLUTOT QUE DU SERIEUX ! LES TEMPS ONT CHANGE ET ON APPELLE IDIOT LE GENEREUX...

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 22, le 20 janvier 2018

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Commentaires (2)

  • LA GENEROSITE... PAR LES TEMPS QUI COURENT... EST UN VICE PLUTOT QU,UNE VERTU... ET DE L,HEBETUDE PLUTOT QUE DU SERIEUX ! LES TEMPS ONT CHANGE ET ON APPELLE IDIOT LE GENEREUX...

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 22, le 20 janvier 2018

  • Bien dit, bravo! Donner, ce n'est pas "faire la charité" (comme "faire l'amour" ou "faire le pitre", c-à-d simuler). La véritable générosité n'humilie pas car elle est basée sur l'amour. "Ce n'est que pour ton amour, pour ton amour seul, que les pauvres te pardonneront le pain que tu leur donnes." (St Vincent de Paul: Lettre à Jeanne)

    Yves Prevost

    07 h 48, le 20 janvier 2018

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