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Moyen Orient et Monde - Syrie

Ankara face à un casse-tête militaire et diplomatique

La Turquie, qui dit vouloir en finir avec une nouvelle force dominée par les Kurdes, est prise en étau entre ses alliés américain et russe.

Hier matin, plusieurs milliers de personnes ont manifesté dans les territoires kurdes du nord de la Syrie, dénonçant les menaces de la Turquie de lancer une offensive contre Afrine et Manbij, des bastions de leur communauté. Delil Souleiman/AFP

La Turquie a beau jurer vouloir en finir avec une nouvelle force dominée par les Kurdes en Syrie, elle est confrontée à un véritable casse-tête diplomatique et militaire en raison de risques de collision avec ses alliés américain et surtout russe, selon des analystes.
Depuis l’annonce, dimanche dernier, de la création de cette force de sécurité frontalière, entraînée par les États-Unis, le président turc Recep Tayyip Erdogan tire à boulets rouges sur Washington et répète qu’Ankara agirait militairement pour la « tuer dans l’œuf ». Cette force frontalière sera composée pour moitié de membres des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes. Or les FDS sont dominées par les Unités de protection du peuple kurde (YPG), une milice kurde considérée par la Turquie comme l’extension en Syrie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui livre une sanglante guérilla contre Ankara depuis 1984.
Lundi, M. Erdogan a affirmé que l’armée turque était « prête » à lancer une opération « à tout moment » contre les bastions des YPG à Afrine et Manbij, dans le nord de la Syrie, et des renforts militaires turcs ont été depuis acheminés à la frontière, laissant croire à l’imminence d’une attaque. Et, hier matin, intervenant sur la chaîne de télévision CNN-Türk, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a réaffirmé qu’Ankara était prêt à intervenir militairement. « Nous interviendrons à Afrine. Nous prendrons aussi des mesures à l’est de l’Euphrate contre des menaces », a-t-il dit, ajoutant que la Turquie se coordonnerait avec la Russie pour ce qui est des observateurs russes présents dans le secteur de Afrine. Aussitôt, Damas a réagi en prévenant Ankara que l’armée syrienne était prête à détruire les avions turcs qui tenteraient d’attaquer Afrine. « Nous prévenons les dirigeants turcs que s’ils lancent des combats (…), cela sera perçu comme une agression de la part de l’armée turque contre la souveraineté » de la Syrie, a déclaré le vice-ministre syrien des Affaires étrangères, Fayçal Moqdad, cité par l’agence de presse SANA.

Washington peu concerné ?
Mais une telle offensive s’annonce périlleuse, car la Russie, qui coopère de plus en plus avec la Turquie sur le dossier syrien, ne dispose pas seulement d’une présence militaire à Afrine, mais entretient également de bons rapports avec les YPG. Hier, le chef de l’état-major turc, Hulusi Akar, et le patron des services de renseignements turcs, Hakan Fidan, se sont rendus à Moscou pour évoquer le sujet avec le chef de l’armée russe. Une action militaire turque mécontenterait aussi Washington, car les YPG sont en première ligne sur le terrain dans la lutte contre les groupes jihadistes en Syrie, même si les Américains sont moins impliqués dans le secteur de Afrine.
 « Les menaces turques d’intervenir paraissent sérieuses, ou du moins très bruyantes et persistantes. Il serait difficile pour Erdogan de se défausser à ce stade », estime Aron Lund, spécialiste de la Syrie au centre de réflexion américain Century Foundation. Notant que les Américains « ne considèrent pas Afrine comme leur problème », car ils concentrent leurs activités auprès des YPG dans les régions à l’est de ce canton, il minimise les chances de voir les forces américaines s’impliquer dans un éventuel conflit. « L’armée américaine est présente en Syrie avec un mandat limité à la lutte antiterroriste. Participer aux guerres des YPG contre la Turquie ou d’autres rebelles n’en fait pas partie », souligne-t-il.
Aaron Stein, de l’Atlantic Council, convient qu’il existe une certaine « résignation à Washington qu’il s’agit d’un show turc, et que rien ne peut être fait pour dissuader Erdogan d’envoyer son armée de l’autre côté de la frontière s’il décide de le faire ». « Erdogan menace d’envahir la Syrie au moins une fois par semaine depuis un an. Cette fois, c’est différent, car la rhétorique est beaucoup plus spécifique et dirigée contre les États-Unis. Je crois qu’il va mettre en œuvre sa menace, mais l’ampleur d’une éventuelle opération reste inconnue », ajoute-t-il. M. Stein estime que « la seule puissance extérieure qui peut empêcher une invasion à ce stade est la Russie ». De son côté, Metin Gürcan, analyste militaire à l’Istanbul Policy Center et chroniqueur pour le site al-Monitor, juge « improbable » une offensive turque, sauf si la Russie « ouvre l’espace aérien de Afrine à la Turquie » et « retire ses soldats » déployés dans ce canton. « Ankara osera-t-il attaquer Afrine sans le feu vert de la Russie ? La réponse, pour moi, est sûrement non », affirme-t-il.

Déclarations « insatisfaisantes »
Par ailleurs, la Turquie a fait savoir, hier, qu’elle n’était « pas satisfaite » par les déclarations du Pentagone, faites la veille, assurant Ankara que les États-Unis ne cherchaient pas à constituer une armée kurde dans le nord de la Syrie. « Sommes-nous entièrement satisfaits (par ces déclarations) ? Non, nous ne sommes pas satisfaits. Nous avons besoin de voir des mesures concrètes », a déclaré M. Cavusoglu, toujours lors de son intervention sur CNN-Türk. En réponse, le secrétaire d’État américain Rex Tillerson a réaffirmé que les États-Unis n’entendent pas créer une « force de sécurité frontalière » avec leurs alliés kurdes en Syrie, mais qu’ils doivent « une explication » à la Turquie si leurs intentions ont été mal comprises. « Nous comprenons leur réaction », a-t-il dit, déplorant plusieurs fois que « certains commentaires faits par certains aient donné une fausse impression ». « Il s’agit seulement d’un entraînement accru (des YPG) pour essayer d’empêcher l’État islamique de refaire surface, a-t-il plaidé. Rien n’a changé. »
Hier matin aussi, plusieurs milliers de personnes ont manifesté dans les territoires kurdes du Nord syrien, dénonçant les menaces du voisin turc de lancer une offensive contre des bastions de la communauté. Ce qui n’a pas empêché l’armée turque d’effectuer des tirs de mortier sur des positions kurdes, pour répliquer à des tirs en provenance du côté syrien de la frontière, selon l’agence de presse turque Anadolu.

Sources : agences

La Turquie a beau jurer vouloir en finir avec une nouvelle force dominée par les Kurdes en Syrie, elle est confrontée à un véritable casse-tête diplomatique et militaire en raison de risques de collision avec ses alliés américain et surtout russe, selon des analystes.Depuis l’annonce, dimanche dernier, de la création de cette force de sécurité frontalière, entraînée par les...

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