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Nos Lecteurs ont la Parole - Sissi BABA

L’art, un artisan de la paix (II)

La destinée, la Providence ou le hasard a un jour voulu que deux esprits se rencontrent, le premier, un intellectuel et professeur palestinien, le second, un chef d’orchestre argentin d’origine israélo-russe. Le premier s’appelle Edward Said, le second Daniel Barenboïm.
En termes de géographie, et sans label politique, les deux proviennent de la même terre. En termes d’humanité, les deux sont frères. En termes de politique, les deux sont des ennemis qui ne doivent pas se rencontrer. Heureusement que la politique n’est pas toujours la plus importante sur notre terre ; il est des circonstances où le sens d’humanité doit dominer. Heureusement que l’audace existe, c’est elle qui donne l’élan pour bouleverser le monde. Heureusement que l’art existe, c’est lui qui bouleverse seul le monde. Heureusement que Said et Barenboïm se sont rencontrés, car leur rencontre a engendré un nouveau discours sur et pour la paix, et un orchestre composé d’Arabes et d’Israéliens, le West-Eastern Divan Orchestra, pour dire finalement au monde qu’il y a toujours deux facettes de la même médaille, qu’il y a dans notre race même les gens de la guerre qui veulent toujours s’armer, séparer les peuples et bâtir des murs de haine, et les gens de la paix qui veulent jouer ensemble, fusionner en harmonie et faire de l’art. Effectivement, l’art unit ce qui a été désuni par la politique. L’art nous rappelle qu’on est tous des humains et qu’il est beau un jour de parler uniquement d’amour et de paix, qu’il est beau qu’on ne bombarde plus des enfants et des cités, qu’il est beau de ne plus terroriser un pays et son peuple juste parce qu’on a été terrorisé auparavant, qu’il est beau de ne pas agresser ses professeurs et d’emprisonner et interroger surtout les artistes, qui sont les premiers défenseurs de la paix.
Clarifions les choses une fois pour toutes : le véritable ennemi qui ronge la région porte un seul nom : le terrorisme. C’est un virus qui change constamment de visage et de nom, raison pour laquelle on n’arrive pas à se protéger contre lui. Il repose sur des idéologies parfois historiques parfois religieuses et dont les arguments sont désuets et intenables. Ce virus s’appelle « nazisme », « fascisme », « sionisme », « Daech », et tout autre parti qui croit combattre pour Dieu, que Dieu l’a « choisi », que Dieu est avec lui et qu’il le protège.
Comme il existait des Allemands qui ont fui le règne d’Hitler en condamnant le nazisme, il est des Israéliens qui condamnent le sionisme, tel Barenboïm l’Israélien qui est désormais porteur du passeport palestinien. Il est des Israéliens qui veulent la paix non pas aux dépens du sang des Palestiniens, des Libanais, etc. Et comme il existe de rares « bons » Israéliens – adjectif qu’on n’a pas l’habitude d’associer à cette nationalité– il est aussi de mauvais Arabes qui conspirent avec Israël. Le problème, c’est que les conspirateurs travaillent clandestinement alors que les défenseurs de la paix travaillent au grand jour et ne cachent rien car le bien n’a pas besoin d’être caché, contrairement au mal. Et c’est ce qu’a fait Ziad Doueiri. On interroge et combat les artistes sous prétexte d’avoir collaboré avec l’État ennemi alors que les véritables collaborateurs traînent partout.
Il est ironique que le Liban et Israël, deux États ennemis, se soient mis inconsciemment d’accord, il y a quelques années, sur une chose : l’interdiction à Daniel Barenboïm de donner des concerts respectivement à Beyrouth et à Tel-Aviv. Deux États interdisent à un Israélo-Palestinien, à un homme de paix et de pensée, de parler de paix et de musique. Il est ironique qu’on arrête un réalisateur libanais pour avoir tourné son film en « Israël ». Pourtant, en bons Libanais, il faut qu’on appelle le pays voisin « Palestine occupée », mais quand Doueiri y va pour des raisons artistiques, le pays porte, tout d’un coup, le nom d’Israël.
Par ailleurs, il est à noter que « juif » ou « israélien » ne rime pas toujours avec « sioniste ». Et par « Israélien », il faut, bien évidemment, sous-entendre les horreurs indicibles et inhumaines commises par un régime anti-humain contre les peuples du Moyen-Orient qui sont tous d’ailleurs sémites – bizarre ! Ce régime même se considère le premier contempteur de l’antisémitisme, bien qu’il n’ait aucun problème à démolir les Libanais et les Palestiniens, peuples sémites ! Mais par « Israéliens », il faut parfois sous-entendre les contempteurs du sionisme, les artistes qui chantent la paix, tels Barenboïm ou Ofra Haza, chanteuse israélienne d’origine yéménite qui chantait en arabe pour réduire le fossé de la haine entre Arabes et Israéliens. Oui, il y a les voleurs de notre patrimoine culturel et culinaire, les violeurs de notre terre, mais il y a aussi la race des artistes qui ne travaille pas à un niveau politique mais à un autre, humain. Cette même race est condamnée par le Liban et Israël. Ironique et étrange en effet ! Si deux droites sont parallèles à une même troisième, alors ces deux droites sont parallèles ! Le Liban qui a condamné Barenboïm et Doueiri est donc parallèle à Israël.
Les rares et audacieux Arabes et Israéliens qui s’opposent aux idées reçues, aux conflits historiques et tentent de se frayer un nouveau chemin seront les seuls à être capables de nous conduire vers la paix. Nul n’oubliera son passé. Mais on ne peut pas rester l’esclave de son passé. Les juifs ont fait ainsi et voici le résultat : la victime d’hier est le bourreau d’aujourd’hui qui fait d’un autre peuple sa victime. Nous devons tous dépasser les complexes historiques pour vivre ensemble. Résister contre le mal ? Ce n’est pas en brûlant le drapeau d’Israël qu’on luttera contre le sionisme. Ce n’est pas en s’armant que les milices libanaises et l’armée israélienne atteindront des victoires « divines ». L’arme n’est qu’affaire d’ego et de phallus. Quant à la résistance, elle est toujours culturelle. Laissons alors les artistes en paix. Ce sont eux qui nous la rendront finalement.
Notre région regagnera son harmonie à condition que juifs, chrétiens et musulmans vivent ensemble en paix, ce qui était le cas du Liban et de la Palestine d’avant 1948. Sur la terre des paradoxes, tout est possible, tant que l’art respire. Il faut juste de la patience. Les Ottomans ont occupé notre région pendant 402 ans ! Finalement, tout pays regagnera sa véritable nationalité. Un jour, le sionisme, Daech et tout fanatisme idéologique s’évaporeront.
Au Moyen-Orient se réunissent aujourd’hui des dissonances. L’harmonie ne tardera pas à s’opérer grâce à l’art. Et la main peureuse qui porte l’arme flétrira. La main qui s’appelle résistance militaire et qui ne combat plus l’ennemi que quand bon lui semble flétrira aussi. Seule la main qui porte la caméra, le pinceau, le stylo, le marteau fleurira et fera fleurir Beyrouth, Jérusalem, Damas, etc.
Merci Ziad Doueiri. Votre audace est inspirante et contagieuse.

Sissi BABA
Tous les hommes deviennent frères quand les ailes de la joie les conduisent
(« Hymne à la joie », musique de Beethoven et paroles de Schiller).

La destinée, la Providence ou le hasard a un jour voulu que deux esprits se rencontrent, le premier, un intellectuel et professeur palestinien, le second, un chef d’orchestre argentin d’origine israélo-russe. Le premier s’appelle Edward Said, le second Daniel Barenboïm. En termes de géographie, et sans label politique, les deux proviennent de la même terre. En termes d’humanité, les...

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