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Idées - Nations Unies

Le drôle de Noël de Trump

Le président des États-Unis Donald Trump dans sa résidence de Mar-a-Lago à Palm Beach.Nicholas KAMM / AFP

À la veille de Noël, les États-Unis ont annoncé une coupe de 285 millions de dollars dans leur contribution au budget ordinaire de l'Onu. Techniquement, ce budget est adopté par consensus des 193 pays membres de l'organisation, mais les États-Unis sont manifestement les premiers à agir dans le sens d'une réduction de ce budget. Nikki Haley, la représentante des États-Unis à l'Onu, a ajouté que son pays pourrait envisager d'autres réductions dans l'avenir.
Scrooge (le personnage avare et misanthrope de la nouvelle de Dickens, Le drôle de Noël de Scrooge, Ndlr) n'aurait pas fait mieux. Du fait de la réduction de son budget, il sera beaucoup plus difficile à l'Onu de désamorcer des conflits, d'aider des millions de personnes déplacées en raison d'une guerre, de nourrir et d'habiller des enfants affamés, de combattre les maladies émergentes, de fournir de l'eau potable là où elle fait défaut et d'aider les plus pauvres à accéder à l'éducation et à bénéficier de soins de santé.


Économies stupides
Le président Trump et Haley insistent lourdement sur l'augmentation du coût des opérations de l'Onu, et il y a sûrement des économies à faire de ce côté. Mais le retour sur investissement des opérations de l'Onu est énorme pour toute la planète, aussi faudrait-il que les pays membres augmentent leur participation financière à l'Onu, plutôt que de la diminuer. Considérons les montants en cause. Le budget ordinaire pour 2018 et 2019 sera d'environ 2,6 milliards de dollars par an – quelques 142 millions de moins que celui des deux années précédentes. La participation annuelle des États-Unis représentera 22 % du budget total, 580 millions de dollars, soit 1,8 dollars par Américain chaque année. Qu'obtiendront-ils en échange de cette économie ?
Le budget ordinaire de l'Onu inclut les dépenses afférentes au fonctionnement de l'Assemblée générale, du Conseil de sécurité et du Secrétariat (le secrétariat général, le département des affaires économiques et sociales, le département des affaires politiques et le personnel administratif). Quand apparaît une grave menace à la paix (par exemple le face à face tendu qui a lieu actuellement entre les États-Unis et la Corée du Nord), le département des Affaires politiques peut intervenir pour faciliter des contacts diplomatiques d'importance majeure en coulisse.
Le budget ordinaire de l'organisation inclut également les sommes affectées à de nombreux programmes et institutions spécialisés : l'Unicef, le programme de développement de l'Onu, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Haut-commissariat aux réfugiés, le Haut-commissariat aux droits de l'Homme, les organes régionaux de l'Onu (pour l'Asie, l'Europe et l'Amérique latine), le Programme de l'Onu pour l'environnement, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (en cas de catastrophe), l'Organisation météorologique mondiale, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, l'Agence Onu Femmes et beaucoup d'autres agences spécialisées pour répondre aux crises, aux conflits, à la pauvreté, aux déplacements forcés, aux risques écologiques, aux maladies et à d'autres besoins primordiaux. Nombre de ces organisations et de ces programmes reçoivent des contributions « volontaires » supplémentaires de pays directement concernés par les initiatives d'agences spécialisées telles que l'Unicef ou l'OMS. Le mandat de ces agences a une portée générale et elles ont capacité et légitimité politique pour agir partout dans le monde.
La stupidité de l'attaque des États-Unis contre le budget de l'Onu apparaît au grand jour si l'on compare leur participation à ce budget à leur budget militaire – de l'ordre de 700 milliards de dollars par an, soit environ 2 milliards par jour. Autrement dit, uniquement pour leur défense les États-Unis dépensent en 33 heures l'équivalent du budget ordinaire annuel de l'Onu, et en 7 heures l'équivalent de leur contribution annuelle à cette organisation.

Approche dangereuse de la souveraineté
Trump et Haley diminuent la participation des États-Unis au budget de l'Onu pour trois raisons :

- Répondre à l'attente de la base politique de Trump. La frange la plus à droite des électeurs républicains voit l'Onu comme un affront aux États-Unis. Ainsi la section texane du parti républicain a appelé à de multiples reprises au retrait des États-Unis de l'organisation. Mais la plupart des Américains reconnaissent l'importance de l'Onu et lui sont favorables. Selon une enquête réalisée en 2016 par le Pew Research Center, 64 % des Américains sont favorables à l'Onu, contre seulement 29 % qui n'y sont pas favorables.


- Ne pas gaspiller de l'argent pour des programmes mal gérés. À première vue cela peut sembler judicieux, mais l'erreur est de réduire le budget d'ensemble consacré à l'Onu, plutôt que de réorienter les fonds vers les programmes de lutte contre la faim et la maladie, l'éducation des enfants ou la prévention des conflits.


- Affaiblir le multilatéralisme au nom de la « souveraineté » américaine. « L'Amérique est souveraine », insistent Trump et Halley, et de ce fait elle peut faire ce qu'elle veut, sans prendre en considération l'opposition de l'Onu ou de tout autre groupe de pays. C'est le plus dangereux des trois facteurs qui poussent les États-Unis à réduire leur participation au budget de l'Onu, ainsi qu'on a pu le voir avec la décision des États-Unis de transférer leur ambassade d'Israël à Jérusalem. Dans son récent discours devant l'Assemblée générale de l'Onu à ce sujet, Haley a déclaré au reste du monde que c'était une bonne chose, que telle était la volonté du peuple américain, et que ce n'était pas un vote de l'Onu qui allait modifier la décision américaine. Or à leur très grande majorité les pays membres de l'Onu ont rejeté cette reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale d'Israël.

Cette approche de la souveraineté est extrêmement dangereuse, en premier lieu parce qu'elle ne tient pas compte du droit international. Dans le cas de Jérusalem, les résolutions adoptées par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité indiquent à plusieurs reprises que le statut final de Jérusalem doit relever du droit international. En faisant fi de manière éhontée de ce droit, les États-Unis menacent tout l'édifice de coopération internationale établi dans le cadre de la Charte de l'Onu.
Cette approche est aussi très dangereuse pour les États-Unis eux-mêmes. Lorsqu'ils ignorent ce que dit le reste du monde, leur puissance militaire et leur arrogance conduit souvent à un désastre auto-infligé. Des partisans de « L'Amérique d'abord » comme Trump et Haley se hérissent quand d'autres pays s'opposent à la politique étrangère des États-Unis, pourtant ces pays leur donnent avec franchise des conseils qu'ils seraient bien inspirés de suivre. Ainsi en 2003 l'opposition du Conseil de sécurité à la guerre en Irak n'était pas destinée à affaiblir les États-Unis, mais à les protéger, ainsi que l'Irak et le reste du monde, de leur colère et de leur aveuglement.
« Bah, c'est de la foutaise » disait Scrooge. Mais la nouvelle de Dickens montre que Scrooge est la première victime de son arrogance, de son avarice et de son insolence.

© Project Syndicate, 2017.
Traduction Patrice Horovitz


Jeffrey D. Sachs est professeur d'économie, directeur du Centre de développement durable et du Réseau pour des solutions de développement durable des Nations unies (UNSDSN).

À la veille de Noël, les États-Unis ont annoncé une coupe de 285 millions de dollars dans leur contribution au budget ordinaire de l'Onu. Techniquement, ce budget est adopté par consensus des 193 pays membres de l'organisation, mais les États-Unis sont manifestement les premiers à agir dans le sens d'une réduction de ce budget. Nikki Haley, la représentante des États-Unis à l'Onu, a...

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