Jusqu'à la dernière minute, le cheikh déchu Ahmad el-Assir a essayé de jeter le poison de la discorde confessionnelle dans les esprits des personnes présentes dans la salle du tribunal militaire pour la dernière audience de son procès. Au moment où il affirmait qu'il ne reconnaissait pas le tribunal et son président, le général Hussein Abdallah (qui a succédé au général Khalil Ibrahim), selon lui sous la coupe de l'Iran, les familles de ses partisans arrêtés clamaient dans la rue, devant le siège du tribunal, des menaces claires contre le général Abdallah, en évoquant la « vengeance des sunnites ».
L'audience s'est terminée vers 13 heures jeudi et le tribunal a prononcé son verdict à 18 heures, condamnant le cheikh déchu à la peine de mort. Immédiatement, les familles des détenus condamnés ont protesté à Saïda, et les avocats d'Ahmad el-Assir ont pris d'assaut les caméras des télévisions pour multiplier les déclarations mettant en cause le verdict. Malgré tout, le mouvement de colère est resté limité, ne trouvant pas véritablement d'écho dans la rue. Seuls les réseaux sociaux ont été envahis par des commentaires critiques, voire insultants, contre le tribunal militaire, accusé d'être sous la coupe du Hezbollah et de l'Iran. Le venin distillé par le dignitaire salafiste déchu continue donc à avoir de l'effet auprès d'une certaine couche de Libanais, mais désormais, sa capacité de nuisance est limitée. Et sa dernière déclaration devant le tribunal ressemblait plus au dernier acte d'une tragédie qui a failli plonger le Liban dans un bain de sang interne qu'à la continuation d'un parcours de révolutionnaire.
Pour mémoire, Ahmad el-Assir est apparu soudainement sur la scène libanaise, à Abra en particulier, à partir de 2011, en même temps que débutait la guerre en Syrie. Ses diatribes anti-Hezbollah et antirégime syrien ont trouvé à cette époque des échos au Liban, dans le camp du 14 Mars, alors que le clivage politique était encore très marqué. Manipulateur, maniant la communication, Assir a rapidement réussi à s'imposer sur la scène médiatique comme un phénomène particulier, prônant « la résistance des sunnites » contre l'hégémonie chiite et alaouite. Le ton et le contenu populiste, basés sur les instincts confessionnels, ont plu à une certaine couche populaire à Saïda et dans ses environs (notamment dans le camp palestinien de Aïn el-Héloué), d'autant qu'Assir prétendait au début lutter contre la présence des « brigades de défense » (des forces de toutes les confessions parrainées et entraînées par le Hezbollah, en tant que groupes complémentaires de la résistance). D'ailleurs, aujourd'hui encore, ses partisans continuent d'affirmer que ce sont ces brigades qui auraient déclenché la bataille de Abra le 23 juin 2013 pour pousser l'armée à combattre Assir et ses hommes.
Toutefois, la riposte du cheikh el-Assir s'est faite contre l'armée, ses hommes ayant attaqué un barrage à Abra, provoquant ainsi la riposte de la troupe. Les affrontements ont duré près de trente heures et ont fait plus d'une vingtaine de morts et près de 150 blessés parmi les soldats. Le chef des unités de commandos à l'époque (envoyées en renfort à Saïda), le général Chamel Roukoz, a raconté dans des entretiens à la presse qu'il n'avait écouté que son honneur de soldat, poursuivant Assir et ses partisans à l'intérieur de la mosquée Bilal ben Rabah qui avait été transformée en quartier général, et donc en bunker. Le général Roukoz précise ainsi avoir reçu des messages des autorités lui demandant de ne pas entrer dans la mosquée par respect pour le côté religieux du lieu, alors qu'il y était déjà pourchassant ceux qui s'en étaient pris aux soldats et qui avaient eux-mêmes bafoué le lieu de culte en le transformant en salle d'opérations.
Malgré la détermination des soldats, Ahmad el-Assir et certains de ses hommes avaient réussi à s'enfuir. Ce n'est que le 15 août 2015 qu'il a été arrêté par la Sûreté générale, alors qu'il s'apprêtait à prendre l'avion pour le Nigeria via Le Caire, les cheveux coupés et pratiquement métamorphosé pour ne pas être identifié.
Sa saga et sa pseudo-« résistance contre l'hégémonie du Hezbollah » se sont donc terminées de façon assez lamentable, mais l'homme a continué à croire à son destin particulier, convaincu qu'aucun tribunal n'oserait le juger en raison des risques de discorde confessionnelle. D'ailleurs, depuis son arrestation, ses avocats annonçaient régulièrement la conclusion d'un compromis prévoyant son départ du Liban. Pendant trois ans, les avocats ont ainsi essayé de gagner du temps, tantôt en soulevant des vices de forme et tantôt en boycottant les audiences du tribunal sans cesse reportées, dans l'espoir de laisser une chance à la conclusion d'un compromis.
Mais Ahmad el-Assir et ses hommes ont découvert avec amertume que lorsqu'on est l'instrument d'un projet régional, on est sacrifié quand les circonstances, les intérêts et les enjeux changent. Le rapport des forces régional en 2017 n'est plus le même que celui de 2011, et à la tête de l'État, il y a désormais un homme déterminé à renforcer les institutions, en accord avec le Premier ministre.
Ahmad el-Assir, qui se voyait en « nouvelle icône » des sunnites du Liban, de Syrie et peut-être même d'Irak, s'est retrouvé bien seul devant le tribunal militaire, utilisant encore des slogans qui n'ont plus qu'un écho limité. Quel qu'ait été le projet dont il a été le fer de lance, aux yeux de la loi libanaise, il reste celui qui a incité des jeunes Libanais, Palestiniens et Syriens à combattre l'armée. Il a été vaincu et certains de ses partisans qui avaient réussi à fuir ont été par la suite arrêtés dans le cadre du démantèlement de cellules ou de réseaux terroristes.
Aujourd'hui, il ne reste plus à Ahmad el-Assir que le recours que lui donne la loi. Ses avocats ont un délai de 15 jours pour présenter un pourvoi devant la Cour de cassation militaire contre le jugement émis à son encontre. Le pourvoi peut être accepté et son procès se poursuivre, mais celui qui mobilisait une partie des jeunes en annonçant « une marche massive vers Beyrouth » et une autre pour couper la route du Sud, faisant le bonheur des médias, n'intéresse plus grand monde. Les Libanais préfèrent désormais panser les blessures du passé...
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commentaires (5)
Madame il y a un mal bcp plus pernicieux !!
Bery tus
15 h 19, le 30 septembre 2017