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Culture - Littérature

Que penser du dernier volet de « Vernon Subutex » ?

Virginie Despentes, monstre littéraire à l'écriture inimitable qui n'a pas peur de prendre des coups ou d'en donner, clôt en apothéose son ambitieuse trilogie qui met en scène ce disquaire devenu SDF, puis gourou et héros d'une utopie précaire.

Virginie Despentes rattrape l’actualité au terme de son feuilleton.

Treize ans que cela dure. Depuis Baise-moi, le roman phénomène – ou était-ce un coup de poing ? – sorti en 2004, qui a intronisé Virginie Despentes en un jeune monstre littéraire, une Germaine de Staël trash et tatouée, une Kathy Acker hexagonale, une Jacqueline Sauvage enfouraillée d'un stylo. Depuis, sa marque de fabrique, une littérature au hachoir et au crachat, pleine de cul et d'hémoglobine, n'a cessé de recréer des chocs sismiques aux rayons livres et films. Ce talent féroce, exacerbé par l'expérience que Despentes a gagné en vingt ans d'écriture, aura mené à l'une des œuvres les plus passionnantes de notre époque : la trilogie Vernon Subutex (Grasset) démarrée en 2015, cette formidable cartographie de la société française contemporaine à travers l'itinéraire d'un disquaire qui devient SDF, et que l'écrivaine vient de clore avec un troisième tome.

 

Subutex et mutation
Résumé des épisodes précédents à l'emploi de ceux qui les auraient oubliés ou pas (encore) lus – activité, il faut dire, fortement recommandable... Marque de la déshumanisation de notre époque, Vernon Subutex est donc ce disquaire, sorte de cavalier obscur de la contre-culture, qui est mis sur la touche à cause de la montée du numérique. Il se retrouve à la rue, squattant chez ses anciennes connaissances du rock, vieillissant dans l'écume amère des jours. Après avoir échappé à une crève mortelle grâce à un vieil alcoolique qui le soigne en assortissant oranges et paracétamol, Vernon prend racine au cœur du parc des Buttes-Chaumont, un lieu que l'auteure de cette trilogie affectionne particulièrement. Il y est rejoint par une troupe de solitaires qui errent tels une secte alternative et festive dont il est le gourou malgré lui.

Le troisième et dernier volume du feuilleton de Virginie Despentes voit Subutex évoluer et vivre loin des villes, au sein de cette même communauté – baptisée « le camp » – qui se déplace sans trêve. On retrouve cette tribu doucement déglinguée dans le volet 3, mais la liberté de ses membres sera mise à l'épreuve par le monde qui les entoure : l'argent s'y immisce et sabote les relations, la menace rampe, la violence les enserre, le producteur-tueur veut toujours prendre sa revanche... Et il est également question de l'assassinat de Vodka Satana, star du porno, dont la fille est devenue musulmane pratiquante.

 

Despentes et évolution
Dans le souci de ne pas dévoiler la fin, on se suffira de dire que ce dernier volume clôt en apothéose la série Subutex. Il est encore plus captivant que les précédents et toujours aussi saisissant dans la mesure où il détaille la France d'aujourd'hui avec la force de propos qui claquent tout en faisant profil bas. De fait, Virginie Despentes rattrape l'actualité au terme de son feuilleton et aborde les attentats du 13 novembre qui, avoue-t-elle, l'ont bloquée pendant un long moment, ainsi que le mouvement Nuit debout qu'elle repense avec son regard aiguisé.

Certes, on a affaire aux éléments du cocktail explosif de l'enfant terrible de la littérature qui se fiche toujours autant de bien écrire, de mal écrire, parce qu'elle écrit dans un style qui n'appartient qu'à elle. Punchlines, mots giflés, phrases morcelées, humour au vitriol sont au rendez-vous de ce roman pressé, nerveux, étoffé, dessiné en forme de polar, mais pas vraiment, qui marche sur la tête et laisse les péripéties fuir pour mieux les rattraper, en les prenant au collet, comme il se doit chez Despentes. Et si l'œuvre de cette dernière conserve soigneusement ses idées noires – « c'est vivifiant, la haine », estime l'une des protagonistes –, l'adjectif tendre est ce qui synthétise sans doute le mieux l'atmosphère utopique que l'écrivaine met en scène, ces rapports très 70s sous-tendus par la musique.

Dans cette optique, là où Despentes prend encore plus d'ampleur, un degré de maîtrise ahurissant, c'est en formulant l'intrigue avec autant d'affect que de satire, en n'étant jamais crédule, toujours aussi revêche, mais en y ajoutant un supplément d'humanité. Ce qui résume bien, en définitive, une romancière virtuose qui a inventé une langue à elle, mais qui s'adresse à tout un chacun.

Virginie Despentes – « Vernon Subutex 3 » (Grasset).

 

Pour mémoire

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