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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les musulmans indiens boucs émissaires de la politique nationaliste de Modi

Début juillet, des manifestants dénonçaient la montée des crimes antimusulmans dans plusieurs villes du pays.

Des manifestants protestent contre les violences visant les musulmans à New Delhi, en Inde, le 28 juin. Chandan Khanna/AFP

Le mois de juillet a été particulièrement violent pour la communauté musulmane en Inde. Le 3 juillet, un adolescent musulman était assassiné pour avoir acheté de la viande dans la banlieue de New Delhi. Le 14 juillet, des affrontements entre hindous et musulmans faisaient un mort et 12 blessés dans le Bengale occidental.
Les attaques de ce genre se multiplient depuis le début de l'année et la liste des agressions contre des musulmans ne cesse de s'allonger.
Ce sont notamment les campagnes de protection bovine du Parti du peuple indien, appuyées par le gouvernement, qui ont conduit à une multitude d'attaques contre les musulmans, vendeurs et consommateurs de viande de bœuf.

Ces violences interviennent dans un contexte économico-social défavorable aux musulmans. Selon le rapport Sacha publié en 2006 sur les musulmans en Inde et produit par un comité mis en place par le Premier ministre de l'époque, Manomhan Singh, la communauté musulmane est particulièrement touchée par l'analphabétisme, la précarisation de l'emploi, la difficulté d'accès à l'emprunt bancaire, l'incarcération pénitentiaire. Selon ce rapport, les musulmans intègrent difficilement les élites politiques et économiques, et les rangs de la fonction publique sont souvent réservés aux hindous.

La cohabitation entre hindous et musulmans est chaotique depuis la partition de 1947 en deux nations, indienne et pakistanaise. Le conflit indo-pakistanais a provoqué la montée des fondamentalismes hindou et musulman. « Ces composantes historiques et territoriales sont importantes pour comprendre la relation exacerbée entre hindous et musulmans et la condition des musulmans en Inde », indique Fabrizio Speziale, historien et maître de conférences à l'Université de la Sorbonne à Paris.

 

(Pour mémoire : Inde : Modi condamne les lynchages liés à la vache sacrée)

 

Récemment, la situation de la communauté musulmane s'est néanmoins aggravée depuis la prise de pouvoir du Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi en 2014. Narendra Modi est un ancien membre de l'organisation paramilitaire nationaliste Rashtriya Swayamsevak Sangh(RSS). Il a été accusé d'avoir laissé faire, voir même d'avoir soutenu les pogroms antimusulmans en 2002 dans l'État du Gujarat, dont il était le gouverneur. Le Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi mise sur l'idée que l'Inde doit être fondée sur l'hindutva, la nation doit être guidée par son hindouïté. Cette politique clivante prétend défendre le peuple indien de la submersion démographique des musulmans et des agressions du Pakistan voisin.

Depuis l'arrivée au pouvoir de M. Modi, les projets prosélytes de conversion de chrétiens et de musulmans vers l'hindouisme prolifèrent.
« Les crimes de haine, visiblement commis en toute impunité, contre des musulmans sont extrêmement inquiétants », s'inquiétait ainsi, en juin dernier, le directeur exécutif d'Amnesty International Inde, Aakar Patel. « Depuis avril 2017, au moins dix hommes musulmans ont été la cible de crimes de haine présumés et ont été lynchés ou tués en public », a dénoncé Amnesty International Inde dans un rapport publié ce mois-là. « Toutes ces attaques sont lamentables et semblent indiquer un affaiblissement de l'État de droit », commentait alors M. Patel. L'organisation a dès lors interpellé le gouvernement : « Les autorités indiennes doivent veiller à ce que les responsables présumés de lynchages publics et d'autres crimes de haine contre des musulmans dans plusieurs États ne restent pas impunis. »

 

(Pour mémoire : Condamnation de deux Indiens qui recrutaient pour l'EI)

 

Calcul politique électoraliste et populiste
Dans ce contexte, les voix se lèvent face au phénomène islamophobe croissant. En témoignent les manifestations du 3 juillet dernier pour dénoncer la montée des crimes antimusulmans dans plusieurs villes indiennes.
« Malgré la présence d'un bon nombre de militants laïcs et pluralistes dans la société indienne, les tensions sont récurrentes entre les communautés musulmane et hindoue », explique Karine Bates, anthropologue et chercheuse à l'Université de Montréal.
Elle estime en outre que la société indienne actuelle est « très polarisée entre les partisans du sécularisme indien historiquement proche de la vision de Nehru (le premier chef du gouvernement de l'Inde indépendante) et les nationalistes hindous ». Ces derniers avancent « l'établissement d'une Inde basée sur un retour aux sources du fondamentalisme hindou », ajoute la chercheuse.

Des fondamentalistes qui ne voient pas d'un bon œil la forte croissance de la population musulmane.
Forte de ses 170 millions de musulmans, soit 14 % de la population selon le dernier recensement de 2011, l'Inde va devenir le plus grand pays musulman d'ici à 2050 selon une étude, publiée en avril 2015, du Pew Research Center, un think tank américain. La communauté musulmane indienne dépasserait ainsi les 310 millions.

Suite à l'annonce du recensement de 2011, sorti quatre ans plus tard, les déclarations alarmistes se sont multipliées. À l'instar de celles de Yogi Adityanath, élu BJP au Parlement fédéral à New Delhi, qui déclarait que ces chiffres dévoilent « une tendance dangereuse ». Les plus radicaux comme l'organisation d'extrême droite hindoue Vishwa Hindu Parishad soutiennent que « les musulmans visent à faire de l'Inde une nation musulmane ».

Ces discours attestent d'un calcul politique « électoraliste et populiste de la droite nationaliste hindoue », avance Fabrizio Speciale. Cette stratégie pèse sur la société indienne, qui a élu le BJP en 2014. Les violences se propagent à mesure que les déclarations anxiogènes des franges d'extrême droite se généralisent. Le gouvernement et la justice semblent rester inactifs face aux agressions répétées des groupes radicaux qui paraissent parfois agir avec l'accord tacite des autorités étatiques. « Le Parti du peuple indien a ignoré, voire même parfois justifié les attaques », a ainsi dénoncé Aakar Patel.
Le gouvernement Modi craint cependant l'instabilité engendrée par les émeutes répétitives. L'insécurité est nocive pour « le développement économique et inquiète les investisseurs étrangers », conclut Karine Bates.

 

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Le mois de juillet a été particulièrement violent pour la communauté musulmane en Inde. Le 3 juillet, un adolescent musulman était assassiné pour avoir acheté de la viande dans la banlieue de New Delhi. Le 14 juillet, des affrontements entre hindous et musulmans faisaient un mort et 12 blessés dans le Bengale occidental.Les attaques de ce genre se multiplient depuis le début de l'année...

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