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Moyen Orient et Monde - Éclairage

La relation Iran-Irak, entre influences et résistances

La République islamique tente de maximiser ses leviers aux niveaux paramilitaire, politique et religieux.

Les membres de la Mobilisation populaire brandissent des portraits de l’ayatollah Khomeini, du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, et de l’ayatollah de l’Irak chiite Ali Sistani durant la mobilisation de la Journée annuelle « al-Qods » à Bagdad, le 23 juin 2017. Photo Reuters

Les portraits de l'ayatollah Khomeyni fleurissent dans les villes irakiennes chiites frontalières de l'Iran. Anciens fiefs de résistance face à l'ennemi voisin durant la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, l'influence iranienne y plane depuis la chute de Saddam Hussein en 2003. La dislocation du régime baassiste a laissé place aux divisions nationales. Les mandats de l'ancien président américain Barack Obama ont été orientés vers un repli progressif de la scène moyen-orientale, comme en atteste le retrait des troupes américaines d'Irak en 2011. Pour Téhéran, c'est le moyen de réaliser son ambition historique : étendre sa griffe sur son voisin et consolider son croissant chiite, de la République islamique au Liban.

Le 16 juin dernier, le vice-président irakien, Iyad Allaoui, pourtant un chiite, a dénoncé l'influence oppressante de Téhéran : « Le soutien iranien aux milices chiites en Irak entrave les efforts de réconciliation dans le pays. Nous espérons que les Irakiens choisiront eux-mêmes, sans l'intervention d'une quelconque puissance étrangère. »
Les Iraniens tentent de maximiser leurs leviers d'influence aux niveaux paramilitaire, politique et via des réseaux cléricaux. Téhéran a fidélisé des groupes irakiens tels que l'organisation Badr, la Brigade du Jour attendu, et des groupes tels que Assaïb Ahl al-Haq ou les Kataëb Hezbollah via un appui financier et militaire conséquent. Ces constellations de milices sont supervisées, coordonnées, armées et formées par la faction iranienne al-Qods de Qassem Soleimani.

Depuis juin 2014, les Forces al-Qods, forces spéciales des gardiens de la révolution islamique d'Iran, sont présentes auprès des combattants kurdes irakiens, de l'armée irakienne et des milices chiites pour combattre les forces de l'État islamique. À titre d'exemple, l'organisation Badr, composée de plus 15 000 hommes, est contrôlée par les pasdaran. La faiblesse de l'armée irakienne face aux groupes islamistes a permis une gestion officieuse de l'organisation militaire sur le territoire irakien par Téhéran. Grâce à ces réseaux paramilitaires, Téhéran entend enraciner un « relais politico-militaire local semblable au Hezbollah libanais », explique Thierry Kellner, coauteur du livre 100 questions sur l'Iran et professeur à l'Université libre de Bruxelles.

Téhéran veut clairement propager le modèle islamique iranien, appuyé sur le concept de vilayet e-faqih, qui consent à l'intégration des fonctions politiques par le clergé. L'expansion iranienne dans le domaine religieux atteste d'une tentative d'influencer les élites cléricales naissantes de l'université al-Hawza de Najaf. La mise en œuvre de cette stratégie est visible : formation de jeunes clercs, construction de madrasa (écoles religieuses), constitution de réseaux de mosquées et investissements pour le pèlerinage dans les lieux saints tels que Najaf, Kerbala et Samarra. Pour Houchang Hassan Yari, professeur à l'école militaire canadienne et spécialiste de l'Iran, l'ayatollah iranien Ali « Sistani possède une influence limitée par rapport aux autorités cléricales iraniennes et leurs envoyés ; les mollahs vont vouloir remplacer les figures du clergé chiite irakien par des figures qui représentent leur idéologie ».

Le cas le plus significatif de l'influence iranienne est certainement la victoire aux législatives de l'Alliance irakienne unifiée en 2005, composée de groupes très proches de Téhéran tels qu'al-Daawa ou le Conseil suprême islamique irakien. Par la suite, ces partis, sous la griffe de Téhéran, ont participé à la rédaction de la nouvelle Constitution, et ce pour le plus grand plaisir de la République islamique. Les provinces frontalières de l'Iran se sont « autonomisées » de Bagdad, tout en se rapprochant de Téhéran. Durant les élections législatives de 2010, l'Iran a poussé à la création d'une alliance composite entre l'Alliance de l'État de droit de Nouri al-Maliki et l'Alliance nationale irakienne pour enrayer la victoire présumée de la coalition laïque et souple d'Iyad Allaoui. L'Iran souhaite contraindre l'Irak libéré à devenir un « État client, où un gouvernement d'obédience à Téhéran perdure », estime Hassan Yari. Face aux immenses investissements économiques et aux dons militaro-industriels, « l'Irak devrait se plier confortablement aux ingérences iraniennes », ajoute-t-il.

 

(Pour mémoire : Le jour où la guerre Iran-Irak a éclaté...)

 

Contestations irakiennes
Mais une grande partie du peuple irakien voit d'un mauvais œil la mainmise croissante de son ennemi historique. « L'Iran dehors ! Bagdad reste libre ! » scandaient déjà des milliers de protestataires en 2015 lors de manifestations contre les ingérences étrangères, la corruption et le délabrement des infrastructures. L'ambition de l'Iran d'étendre son modèle inquiète à Bagdad, y compris dans la communauté chiite, et ravive un « chiisme irakien indépendant fort », avance pour sa part Thierry Kellner, pour lequel l'appartenance nationale et ethnique (arabe, kurde) semble freiner l'emprise sectaire que Téhéran tente d'imposer. Les figures politiques chiites ne veulent pas apparaître comme « des pantins de Téhéran, l'Iran est réaliste et en est bien conscient », souligne le chercheur. À l'image du camp de Moqtada al-Sadr, chef politique irakien influent, on s'oppose farouchement à l'attitude oppressante de Téhéran. On préfère miser sur un « nationalisme à caractère irakien » pour servir le projet de réconciliation nationale. L'ayatollah Ali Sistani est également une figure de proue du clergé chiite indépendant. Sa doctrine diffère clairement du vilayet e-faqih iranien, c'est-à-dire l'idée d'un clergé infiltré dans les affaires politiques.

Dans ce contexte, l'avenir de l'Irak semble particulièrement sombre. « La fracture confessionnelle qu'entretient Téhéran va s'avérer chaotique », s'inquiète Thierry Kellner. En effet, les exactions des milices chiites contre de nombreux combattants et civils, majoritairement sunnites, dans le cadre de la guerre contre l'EI, entretiennent un climat violent, propice aux luttes communautaires et confessionnelles. « L'autodétermination évoquée par les Kurdes fait froncer les sourcils à Téhéran » en raison des craintes d'un projet de Kurdistan iranien, avance encore le chercheur, d'après lequel l'Irak de demain sera le « théâtre complexe de luttes interconfessionnelles et ethniques ». Les sunnites marginalisés, « pris d'un sentiment d'aliénation et de rejet, risquent de se fédérer derrière une nouvelle organisation et chercher des appuis de résistance à la mainmise violente des milices chiites », ajoute Houchang Hassan Yari. L'Irak reste un nouveau terreau fertile à l'apparition de groupes radicaux si les sunnites ne sont pas intégrés au projet politique irakien de demain, et l'histoire risque de se répéter. Mais cette situation où la cohésion nationale est « encline à sombrer sous les antagonismes religieux » profite à un Iran opportuniste et stratège, selon M. Hassan Yari.

 

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