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Moyen Orient et Monde - Entretien

« Simone Veil n’était pas féministe, mais elle a vraiment œuvré pour les femmes »

Sarah Briand, journaliste à France Télévisions et auteure de « Simone, éternelle rebelle », une biographie de Simone Veil, répond aux questions de « L'Orient-Le Jour ».

Simone Veil et Jacques Chirac lors d’une cérémonie en l’honneur de son entrée à l’Académie française. s Charles Platiau/Reuters

Simone Veil s'en est allée. Grande figure de la vie politique en France, survivante de la Shoah, Européenne convaincue et ayant œuvré en faveur des droits des femmes, Simone Veil, qui avait porté la loi légalisant l'avortement en 1974, est décédée hier à 89 ans. L'ancienne femme politique aura souvent suscité l'admiration, que ce soit pour son combat en faveur du droit le plus élémentaire des femmes à disposer de leur corps, ou pour rappeler la mémoire des victimes de l'Holocauste, dont elle est une des rares rescapées.

 

Simone Veil a été l'une des grandes figures françaises du XXe siècle. En quoi son enfance et les traumatismes qu'elle a vécus ont-ils joué dans ses combats futurs ?
Simone Veil est une icône française qui était encore en 2016 la personnalité féminine préférée des Français. Cela tient à plusieurs éléments, son histoire personnelle d'abord, et aussi les combats qu'elle a menés. Son plus grand combat est celui de dire que ce qu'elle a vécu ne doit pas se reproduire. Elle a été marquée toute jeune par l'épreuve de la déportation. C'est quelque chose qu'elle a du mal à évoquer tout au long de sa vie, car au sortir de la guerre, les Français avaient du mal à entendre la parole des rescapés des camps. Ce n'est qu'assez tard qu'elle a commencé à en parler et à faire en sorte de transmettre cette mémoire. C'est une combattante et quelqu'un de résilient qui a vécu de grands moments de bonheur, mais aussi de grands moments de malheur. L'épreuve de la déportation l'a endurcie, et c'est une force qui l'a servie dans ses combats politiques. On s'en rend compte, à travers les images d'archives incroyables, lorsqu'elle se retrouve face à François Mitterrand, Georges Marchais et Jacques Chirac lors des élections européennes en 1979. En se replongeant dans le contexte de l'époque, on imagine combien il a fallu tenir tête aux hommes politiques de sa génération. Elle avait une liberté de ton et une liberté de parole assez incroyables.

 

Simone Veil a beaucoup été critiquée par une partie de la droite lors du projet de loi en faveur de l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette même droite lui rend aujourd'hui hommage. Est-ce qu'elle lui a pardonné ?
Son combat en faveur de l'IVG a été un moment extrêmement difficile, mais lorsque le projet de loi a été voté, c'est notamment grâce aux voix d'une partie de l'opposition, de la gauche donc. C'est vrai que des personnalités politiques de son propre camp étaient parmi les plus réfractaires à cette loi, et ne voulaient pas qu'elle soit votée. Il reste aujourd'hui encore une petite fracture à ce sujet au sein de la société française. Quand elle est entrée en 2008 à l'Académie française, sur le quai en face de ce lieu prestigieux, il y avait encore des gens avec des pancartes : « Pas d'avorteuse à l'Académie. » Depuis le lancement de ce projet de loi, elle a reçu des tas de lettres d'insultes, et continuait à en recevoir. Elle portait en effet un projet au nom du gouvernement de droite, mais le fait qu'elle n'ait jamais voulu appartenir à un parti politique a pu rassembler de manière large et la rendre si populaire.

 

(Voir aussi : Sur l'IVG, face aux FN, en hommage aux Justes : quelques interventions de Simone Veil (vidéos))

 

 

Que représente Simone Veil pour le féminisme en France ?
Elle n'était pas féministe, mais elle a vraiment œuvré pour les femmes. Ces dernières années encore, les femmes la remerciaient dans la rue parce qu'elle leur a permis de disposer librement de leur corps. Ça a été une réelle avancée pour les femmes, qui n'est pour l'instant, et fort heureusement, pas remise en cause, bien que critiquée par une certaine frange de la société. Le projet de loi était une promesse de campagne de l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing, mais le destin a voulu que ce soit elle qui le porte. Elle a été forte car elle a fait voter ce projet de loi sur un plan de santé publique et non moral, car la question divisait tellement la société que le projet de loi ne serait jamais passé. De nombreuses femmes mouraient chaque année dans les arrière-cuisines lors d'avortements clandestins. Elle a incarné également le combat pour la paix en Europe et la lutte contre l'antisémitisme.

 

Simone Veil avait l'image de quelqu'un de très dur et d'austère. Était-ce le cas ?
Pour pouvoir s'endurcir et résister aux blessures qu'elle avait, Simone Veil s'était forgé une sorte de carapace. C'était quelqu'un à qui on ne pouvait pas taper dans le dos, qui imposait une distance nécessaire dans sa vie publique, une carapace qu'elle avait du mal à ôter dans sa vie personnelle. Au fil du temps, elle a réussi à se livrer, notamment en 2004 lors d'un voyage à Auschwitz avec ses enfants et petits-enfants, où ils ont pu en savoir davantage sur son passé. C'était un moment très intense que m'ont raconté ses descendants, parce que pour la première fois elle leur livrait le témoignage de sa vie. Il n'y avait que Jacques Chirac qui avait le privilège de la prendre par les épaules et de l'appeler « poussinette ». Malgré son apparence bourgeoise, rigide, chignon strict et tailleur, j'ai découvert une femme capable d'emportements, au caractère rebelle, capable de mots assez durs, mais aussi une grande amoureuse et une mère très tendre.

 

Emmanuel Macron a rendu hommage à Simone Veil, cet « exemple » qui représente le « meilleur de la France ». Elle aurait pensé quoi de la vague macroniste ?
C'est vrai qu'elle a fait, en quelque sorte, du « macronisme » avant l'heure, car elle a su rassembler et n'a jamais appartenu à aucun parti. On aurait aimé savoir ce qu'elle pensait d'Emmanuel Macron.

 

Quel est l'équivalent aujourd'hui en France de Simone Veil, en tant que figure tutélaire des droits des femmes?
Elle est à part, parce qu'elle n'était pas féministe et qu'elle a mené des combats qui vont au-delà de cela. Avec le décès de Simone Veil, c'est une page qui se tourne. C'est une figure qui a marqué la vie politique française du XXe siècle. Le jour où Jacques Chirac, dont elle était très proche, s'en ira à son tour, une autre page se tournera.

 

Pourriez-vous partager une anecdote sur la vie de cette grande dame ?
J'étais très admirative de cette femme iconique et j'ai pu la découvrir dans son intimité que je raconte dans mon livre*, grâce à ses enfants et petits-enfants. J'ai découvert une femme qui, un jour, regardait les photos de son passé que ses enfants avaient déployées sur la table, et cela était très émouvant. Notamment de la voir regarder une photo de Jacques Chirac et d'elle-même en 1976, juste après l'adoption de la loi sur l'IVG. On les voit tous les deux extrêmement beaux, jeunes, souriants. Cette mise en abîme était touchante.

* « Simone, éternelle rebelle », Sarah Briand, aux éditions Fayard (2015).

 

 

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commentaires (2)

Quand même elle est restée en France elle n'a pas été en Israël, bravo

Eleni Caridopoulou

17 h 06, le 01 juillet 2017

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Commentaires (2)

  • Quand même elle est restée en France elle n'a pas été en Israël, bravo

    Eleni Caridopoulou

    17 h 06, le 01 juillet 2017

  • Quelles qu'aient été ses qualités, Simone Veil restera pour la postérité l'auteur de la désastreuse loi qui porte son nom; loi qui permet à la femme de disposer, non pas de son corps, mais de la vie de son enfant. Il est vrai que, consciente du fait que"l’avortement est un drame, il sera toujours un drame" et qu'il faut "l’éviter à tout prix",elle avait placé autour de ce permis de tuer un certain nombre de garde-fous,lesquels ont bien évidemment sauté.On sait ce qui se passe lorsqu'on entrouvre une porte.

    Yves Prevost

    07 h 12, le 01 juillet 2017

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