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Culture - Design

Paola Sakr, à la fois café, fleur et béton...

La toute jeune designer oscille entre créations purement fonctionnelles et objets poétiques.

Reconvertir des cylindres en ciment en vases stylisés... Photo DR

Quand d'autres, au même âge, en sont peut-être encore à cueillir des fleurs en bordure de route, Paola Sakr, 22 ans tout rond, trace, elle, son chemin. En récupérant, notamment, des cylindres de béton abandonnés sur un chantier... Pour en faire des vases. La frêle jeune femme, qui cultive les paradoxes, autant dans sa personnalité que dans ses créations, aime aller là où on ne l'attend pas. Vers l'architecture plutôt que la peinture et la photo, deux disciplines auxquelles elle s'adonne, avec un certain talent, depuis l'enfance. Puis vers le design plutôt que l'architecture.

C'est d'ailleurs, pour tenir tête à Marc Dibeh, son professeur d'introduction au design à l'ALBA – qui, au départ, n'avait pas cru en son potentiel de créatrice d'objets – que cette étudiante en architecture d'intérieur a bifurqué vers le design de produits et décroché, il y a juste un an, son diplôme avec mention.

 

Une portée sociale
Depuis, elle a déjà réalisé trois projets. À commencer par celui – de fin d'études – qui lui tient le plus à cœur : un service de table conçu pour faciliter la vie des malvoyants sans pour autant qu'il ne leur soit exclusivement destiné. « Je ne voulais pas faire quelque chose qui les isole, qui marque un écart entre eux et le reste des gens, bien au contraire », explique la designer qui se dit attirée par le design à portée sociale. « L'idée m'en était venue à l'issue d'une conversation avec un artiste aveugle de naissance (Barakat Jabbour, le héros du film Tramontane). Ce jeune homme multitalentueux (il est acteur mais aussi musicien ultradoué), totalement intégré dans le monde du travail, m'avait parlé des difficultés qu'il rencontrait au quotidien. Parmi lesquelles le maniement des couverts en société. C'est de là qu'est née mon idée d'un service de table qui soit autant adapté aux voyants qu'aux malvoyants », indique-t-elle. Après avoir testé un million de possibilités, « en tenant compte des différents degrés de cécité, les aveugles de naissance, ceux qui le sont devenus par accident ou encore ceux qui perçoivent juste les contrastes », la jeune femme finit par concevoir les prototypes de son « Haptic Tableware ». Un ensemble comprenant une assiette et un bol en porcelaine noire incurvée et aux rebords colorés, un verre à double parois (aluminium à l'extérieur et silicone adaptée à l'alimentaire à l'intérieur), un couteau, une cuillère et une fourchette en aluminium plié... Chaque pièce est pensée de manière à offrir des indicateurs sensoriels et une manipulation aisée.

 

Un rituel inspirant...
Un projet que la jeune femme est en train de peaufiner avant de se lancer, bientôt, dans sa production-commercialisation. « Pour moi, le design est essentiellement fonctionnel et innovateur. J'adore faire des recherches pour produire des objets qui aident à changer la vie de l'utilisateur », assure-t-elle. Et pourtant, il lui arrive de concevoir des « objets purement poétiques et qui racontent des histoires », ajoute-t-elle aussitôt. À l'instar de la série de vases en béton qu'elle vient de créer pour la dernière édition de la Beirut Design Week (BDW). Un mélange de matières brutes et d'esprit poétique. « Et ça me ressemble. Car je peux être, à la fois, très émotive et très dure », assure ce petit bout de femme, à la détermination en acier trempé sous un physique extrêmement délicat.

 

Détournement de matériel de construction
« L'année dernière, j'avais été sélectionnée par la BDW, parmi d'autres étudiants, pour travailler sur le thème du "Sustainble Design" , un programme de créations d'objets à partir des déchets recyclés, indique-t-elle. Pour ce projet, je m'étais inspirée du rituel de mon père, qui tous les matins boit son café en lisant le journal, L'OLJ bien sûr ! En récupérant le marc de café et le papier journal, deux produits qui sont jetés quotidiennement, et en les mélangeant ensemble, après les avoir trempés et broyés, j'ai obtenu une matière totalement naturelle, écologique et biodégradable, avec laquelle j'ai fabriqué toute une série d'ustensiles de cuisine, boîtes et petits contenants. La collection baptisée "Morning Ritual" a eu beaucoup de succès à la Design Week de Beyrouth mais aussi, à mon grand étonnement, à celle de Dubaï », indique Paola Sakr. « Du coup, cette année, les organisateurs de la BDW m'ont sollicitée pour un nouveau projet. À ce moment-là, je passais par une période de turbulences émotionnelles. J'étais particulièrement sensible à l'éphémère des choses, à la disparition de certains objets, aux inéluctables cycles de vie... Et je n'avais surtout pas envie de faire quelque chose de conventionnel. Tout cela s'est exprimé dans cette série de sept vases en cylindres de béton, confie-t-elle simplement. En fait, ces vases ont une histoire. En passant près d'un chantier, j'avais vu des ouvriers jeter les cylindres en béton (de 30 cm de hauteur par 15 cm de diamètre, qu'on appelle, dans le jargon, les carottes, et qui servent à tester la solidité de l'alliage ciment-gravier). Cela m'a interpellée. Je me suis dit qu'il fallait que je les récupère et que je leur redonne une nouvelle vie en y intégrant différents éléments en laiton, en verre, en bois, en textile ou encore en paille tressée. »

Cela a donné des pièces uniques, inédites, à mi-chemin entre le design et l'art, que la boutique d'un grand musée beyrouthin s'est empressée de commander. Une belle vitrine pour le travail de cette jeune créatrice qui n'a pas encore choisi définitivement sa niche. Et qui préfère pour l'instant poursuivre toutes sortes d'expérimentations. Autant dans le design que la peinture ou la photo. Bref, un talent à suivre...

 

Pour mémoire
Des objets, des idées et des Libanais aussi...

 

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