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Culture - Portrait

Annabel Kassar, rêveuse pragmatique

Énergie solaire et carrière probante, cette architecte franco-libanaise pilote l'ambitieuse restauration d'une bâtisse XIXe siècle de la rue Gouraud, dans le cadre du projet « Handle With Care »*, qu'elle présentera pendant la Beirut Design Week.

Annabel Kassar : On ne peut pas concevoir un futur sans se retourner sur le passé. Photo Ray Main

Pour décoder Annabel Karim Kassar, il faudrait échapper à sa mine mignardise et ses joues hautes agrafées, habilement recouvertes par une frange rideau baissée sur sa timidité qui la prend à revers. Zapper la vivacité de cette architecte sans âge, l'allant très dansant quand elle escalade des marches escarpées d'un chantier, sur ses talons, les jambettes célébrées par des collants orange fluo. Il faudrait aussi, pour un instant, oublier le CV bétonné et la réputation cimentée. Et se concentrer sur sa voix. Cette voix où se dissout le français de sa naissance dans d'autres langues, celles des pérégrinations d'une femme mappemonde qui dit « je n'ai pas vraiment de chez-moi ». Cette voix en éternelle reconstruction, qui marche sur un fil et bascule aisément du gris fumé au rose friandise, tout à fait raccord avec une nature d'équilibriste qu'elle résume de la sorte : « Je suis une rêveuse pragmatique, j'aime la tradition et la modernité. Et je n'y vois pas de contradictions. »

 

Femme papillon
Annabel Kassar a toujours marché bras dessus, bras dessous avec des envies de nouveau : nouveaux départs, nouveaux territoires, nouvelles techniques, se posant ainsi dans un perpétuel mouvement. C'est une femme papillon avec des bottes de sept lieues qui se plaît à explorer tous les possibles comme autant de projets qu'elle a archivés au fil des années sur les étagères de ses bureaux de Londres, Beyrouth et Dubaï, entre lesquels elle fait sans cesse des allers-retours. « J'avais démarré des études en maths et physique, ce qui ne m'avait pas plu outre mesure. Je me suis ensuite essayée au théâtre, au cinéma, avant de réaliser que l'architecture serait le métier idéal, comme un pont entre les deux pans de ma personnalité », raconte celle qui finira par monter son bureau AKK Architects (Annabel Karim Kassar) en 1994, après avoir fait ses armes à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Et de poursuivre : « En fait, c'est un métier qui permet d'aller plus loin. » De fait, dans la lignée de ses projets qui l'ont emmenée sillonner le globe, entre Beyrouth où (entre autres) elle remporte avec Valode & Pistre une compétition pour la reconstruction des Souks, la France ou la Chine, Annabel Kassar revendique une inspiration puisée dans les principes du mouvement Bauhaus « à la fois dans la dimension collective de mon travail et dans mon penchant pour la modernité des structures », explique-t-elle.

Femme ancre
Ne pas croire pour autant que cette architecte volubile et pétillante, ouverte sur le monde et papillonnante, n'est que tournée vers l'avenir. Autant que l'avant-garde et la modernité, le retour aux sources est le fil rouge de son travail. C'était déjà le cas lorsqu'elle transposait en septembre dernier, à travers « Mezzing in Lebanon », un morceau de Beyrouth sur le parvis de la Somerset House londonienne, une installation qui lui avait valu le prix London Design Biennale Medal 2016. Aujourd'hui, Annabel Kassar récidive et se positionne en femme ancre, jetant son harpon sur ses racines qu'elle se plaît à explorer, protéger et revigorer dans le cadre de « Handle With Care » qui consistera à restaurer une demeure érigée en 1870 sur la rue Gouraud. Elle l'explique ainsi : « Avant d'acquérir cette bâtisse, j'ai habité deux maisons du quartier que j'avais restaurées. J'y suis très attachée et ça me mettait en colère de voir toutes ces vieilles bâtisses tomber en décrépitude, rasées au profit de tours, ou alors être mal rénovées. »

Femme bouée
Alors qu'elle nous fait parcourir les 750 mètres carrés de cette demeure qui semble siester quelque part sur les ruines fumantes de l'Empire ottoman et dont chacune des salles diffuse une lumière singulière de par les dallages, les moulures ou la couleur des murs, l'architecte, tel un petit capitaine vif, détaille : « On ne peut pas concevoir un futur sans se retourner sur le passé. Pour le moment, avant d'attaquer la véritable restauration, il faut d'abord consolider et protéger la maison à travers un travail de propping et d'échafaudage réalisé par une école d'ingénieurs allemands. »
Sur la rue, dans les échoppes appartenant à la maison et qui s'ouvrent au public pendant la Beirut Design Week, « une première partie consistera à plonger dans l'émotion que suscite ce bâtiment et qui déclenche cet instinct de protection », grâce à une installation photo de Colombe Clier et un film de Florence Strauss, qui ont suivi les pas d'Annabel Kassar depuis qu'elle a empoigné ce projet ambitieux. « Et la seconde partie permettra au visiteur, à travers une palette d'explications détaillées et une conférence, de comprendre comment s'opère ce projet de rénovation. » Au moment de conclure l'entretien, à la question « Pourquoi ce projet ? » qu'on pose naïvement, Annabel Kassar répond sans forfanterie autre que celle de l'évidence : « Laisser cette mémoire se déliter, c'est perdre une partie de nous. Voilà pourquoi je me suis sentie investie du devoir de protéger ce patrimoine, sauver Beyrouth en quelque sorte. »
À bon(s) entendeur(s), salut.

*Handle With Care
Rue Gouraud, Gemmayzé, jusqu'au 26 mai. Une conversation aura lieu aujourd'hui mardi 23 mai à 17 heures, avec Annabel Kassar, Ibai Rigby, Nathalie Chahine (architecte conservatrice), Christof Ziegert (ingénieur), Aurélia Badde (conservatrice) et Dr Youssef el-Khoury (architecte), autour de la restauration de cette bâtisse.

 

Pour mémoire

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