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Culture - Exposition

L’oiseau jouait et mon père gazouillait

Greta Naufal déroule les bandes sonores, les tisse, les tricote et les peint dans un hommage posthume à son père Georges Naufal Sawaya, virtuose de l'instrument roi des musiques arabes*.

Greta Naufal, « Le fil de la vie », 2016, installation.

Greta Naufal est une artiste de la génération de la guerre civile du Liban. Sa riche production lui a valu plus d'une récompense. Ses œuvres ont trouvé refuge chez les collectionneurs privés, mais trônent également dans des espaces publics reconnus : musée Carl Miles de Stockholm, musée Sursock, le Parlement. Diplômée dans les années 80 en arts plastiques de la faculté des beaux-arts de l'Université libanaise, elle part préparer sa thèse à Paris sur les artistes libanais touchés par la guerre. « Pendant les années de guerre, dit-elle, les artistes sont le plus féconds. Impossible de rester passif. Face à la barbarie, on devient actif par la force des choses. »

Elle en choisit sept, les porte à bras-le-corps et se lance dans un décryptage psychique de ce qui nourrit leur inspiration, leur donne l'énergie artistique pour persévérer ou, à l'opposé, de ce qui les emmures dans un mutisme pictural. De retour au Liban, elle est engagée comme enseignante et dès lors n'aura de cesse de travailler, de faire ce qu'elle aime et ce qu'elle sait faire. Greta Naufal sait enseigner, sait comprendre une œuvre d'art, sait dessiner, sait peindre, sait chanter, sait reconnaître les grands morceaux de jazz (dont elle est férue), mais ce qu'elle sait faire par-dessus tout, c'est aimer son père. « Si vous voulez savoir ce que je vis, vous devez vous pencher sur mon travail et en ce moment je suis investie d'une mission, celle de mettre au grand jour l'héritage de mon père, ce grand compositeur oudiste qui nous a fait vivre au rythme du sama' (silence imposé). »

 

(Pour mémoire : Greta Naufal « in the mood for jazz » )

 

Derviche tourneur
À l'heure où tout devient conceptuel, dans l'écriture et dans la réflexion, l'art de Greta Naufal demeure dans l'action.
« Quand mon père est décédé à l'âge de 96 ans, j'ai décidé de mettre de l'ordre au reliquat de sa vie. J'ai tout appris en déballant ses caisses, et j'ai découvert un répertoire riche, singulier et inédit, plus de 500 partitions qu'il avait composées pour les plus grands chanteurs et un nombre incommensurable de cassettes. Mon père enregistrait tout, de la voix des humains au chant des oiseaux, sans compter les enregistrements des plus grands joueurs de oud de l'époque. J'avais un trésor national entre les mains et ne savais ni par où ni comment commencer. » Ce fut d'abord par de petits moyens, avec la contribution des amis et collègues qui l'ont connu et aimé. Elle met en place un petit livret qui réunit tous leurs témoignages, elle rassemble ensuite les traces éparses sur ses toiles pour redonner vie à son père, ou peut-être pour la prolonger le temps d'un regard, celui du visiteur qui traverse la galerie Janine Rubeiz où elle expose son œuvre.

Une installation trône au milieu de la galerie, sous le poteau, il est pour l'artiste le pilier de la sagesse, celle qu'elle tente d'atteindre après avoir déroulé les bandes des cassettes, puis de les avoir tricotées à la manière d'une petite laine qui réconforte et réchauffe le cœur. Elle est la musique, celle que Georges Naufal Sawaya a joué toute sa vie pour soulager le monde, sans jamais être en quête de notoriété. Une toile pour le sama', le silence qu'il incombait de faire par respect. « Si mon père jouait et que ma mère dressait la table, il fallait qu'elle fasse silence, si ma sœur écrivait la pointe du crayon devait se suspendre et il fallait faire silence. Faire silence et écouter, voilà ce que mon père a fait toute sa vie. Écouter le chant des oiseaux et les retranscrire en notes, écouter le timbre des voix et les coucher sur des partitions. »

Le compositeur réussit avec une folle insolence à accoupler deux oiseaux, un canari et un chardonneret, pour obtenir un oiseau hybride qui lui offre tous les matins ses plus belles mélodies et lui permet de promener sa technique hors normes sur des voies réputées inaccessibles. Quand Greta Naufal peint Osmose ou Taqasim, elle atteste d'une parfaite communion, celle de l'oiseau qui joue et de son père qui gazouille. Les partitions étaient écrites à la main et il arrivait à Georges Naufal Sawaya de prolonger la portée comme un derviche tourneur qui improvisait. Il faisait partie du premier noyau de ces musiciens qui ont appris à écrire la musique, son maître à penser était Farid Ghosn, aujourd'hui tombé dans l'oubli, mais pas dans la mémoire de son élève. Celle-là même que l'artiste honore, aussi.

Au cœur du chaos, quand les voix des grands se taisent ou meurent, le cri de la toile retrouve toute son urgence et sa nécessité. Les pinceaux de Greta Naufal chantent aujourd'hui les do, les fa et les sol, et émergent en résonance, en composition et en transmission dans une mélodie picturale où l'artiste semble chuchoter à son père « Ne me quitte pas ».

 

* Galerie Janine Rubeiz
Partition inachevée, de Greta Naufal. Jusqu'au 20 mai 2017.

 

Pour mémoire

Greta Naufal lauréate du prix Jouhaïna Baddoura

Greta Naufal est une artiste de la génération de la guerre civile du Liban. Sa riche production lui a valu plus d'une récompense. Ses œuvres ont trouvé refuge chez les collectionneurs privés, mais trônent également dans des espaces publics reconnus : musée Carl Miles de Stockholm, musée Sursock, le Parlement. Diplômée dans les années 80 en arts plastiques de la faculté des...

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