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Culture - À l’affiche

Quand le vent du printemps souffle et bouleverse les sentiments

Après le Festival de Cannes où il était projeté dans le cadre de la Semaine de la critique, « Tramontane » ou « Rabih  » (pour le Liban), produit par Abbout Productions et distribué par MC, est dans les salles libanaises.

Julia Kassar et Barakat Jabbour dans « Rabih ».

Rabih ou Tramontane est né dans l'esprit du réalisateur Vatche Boulghourjian du croisement de la lecture de deux livres : le premier de W.G. Sebald et le second de John Hull. Dans ces deux ouvrages, les deux auteurs tentent de reconstituer leur vie après que leurs mondes ont été brisés : l'un après la guerre et l'autre après la cécité. Comment bien observer le passé pour être en paix avec le présent ? Telle était la question primordiale posée par le metteur en scène. Ce dernier l'a traduite dans ce film retraçant l'itinéraire de Rabih, jeune garçon qui va à la recherche de son passé pour mieux comprendre le présent.

Le film éponyme, qui revient au Liban après une tournée internationale réussie (Cannes, Sundance et Dubaï), pour n'en citer que ceux-là, a vu le jour non seulement grâce à la passion du couple Vatche Boulghourjian (réalisateur) et Cynthia Zaven (directrice musicale), mais grâce aussi à la passion et à l'intuition de Georges Shoucair (Abbout Productions) qui a cru en ce projet et a contribué à son accouchement.

Rabih, interprété par Barakat Jabbour, est un malvoyant (dans le film tout comme dans la vie) qui veut faire une demande de passeport pour voyager avec sa troupe musicale. Cette tâche administrative, d'apparence banale, va vite se transformer en une quête d'identité qui va mener le jeune homme à la recherche de ses origines. Ayant été adopté par une femme (Julia Kassar), Rabih parcourra le Liban pour connaître sa véritable identité. Le voyage devient très vite un parcours intérieur lui permettant de se découvrir et découvrir son propre pays.

Le film Rabih est porté par deux acteurs aux parcours différents : une professionnelle, Julia Kassar, et un jeune musicien, Barakat Jabbour, qui fait ses premières armes au cinéma. L'OLJ les a rencontrés.

 

(Pour mémoire : Le Liban et son éventail de films hauts en couleur)

 

Julia Kassar : Un film peut être démultiplié

Qui dit Julia Kassar dit trente ans de carrière à surfer entre la télévision, le théâtre et le cinéma, mais aussi entre les émissions culturelles et l'enseignement à l'Université libanaise. Elle est partout, cette année, l'actrice au visage jovial, à l'optimisme contagieux et au sourire qui lui illumine le visage. Julia Kassar n'a pas chômé un seul jour, enchaînant trois films, l'un à la suite de l'autre, comme Mahbass, Nour et maintenant Rabih, en attendant la sortie du quatrième l'Insulte. Et pourtant, à chaque fois, elle concentre toute son énergie sur son travail du présent.

« Lorsque Vatche Boulghourjian m'a contactée pour le rôle de la mère dans Rabih, confie Kassar, le personnage de cette mère adoptive qui se suffit de ce petit bonheur (qu'elle sait fragile) avec son fils et qui craint par la suite de le perdre m'a très vite séduite. Le jeu devait se faire dans le silence, le non-dit, dans la non-expression des sentiments, Vatche exigeant de nous de ne pas trop faire ressurgir les émotions. Le rôle nécessitait donc beaucoup de retenue et surtout pas de pathos alors que la situation est dramatique. » Comment s'est-elle préparée à ce rôle ? Comment est-elle parvenue à se dévêtir de l'un pour revêtir l'autre ? « En lisant et relisant le script maintes fois, dit-elle, jusqu'à ce qu'il devienne mon livre de chevet. Je m'en imprègne jusqu'aux répétitions avec le reste des acteurs. J'écoute aussi beaucoup le réalisateur, en amont, pour imaginer les personnages. Et lors des répétitions, je suis à l'écoute des autres acteurs et de ce qu'ils me procurent comme énergie. Quand vient le moment du tournage, il y a toujours un élément magique qui ressort. Il m'est arrivé de ne pas accrocher au script, alors je le refuse immédiatement. Rabih m'a tout de suite habitée. »

Et de poursuivre : « La collaboration sur le plateau était magnifique, le script n'était pas statique mais bougeait tout le temps du fait que le metteur en scène acceptait mes propositions ou en proposait d'autres. Par ailleurs, le déclic s'est très vite fait également entre le jeune Barakat Jabbour et moi, bien que Vatché appréhendait la rencontre, car il tenait très fort à ce que l'alchimie s'effectue. Ses craintes se sont tout de suite dissipées car le jeune artiste m'a très vite adoptée, ajoute la comédienne. Travailler avec ce jeune homme m'a beaucoup appris. Je suis enseignante et j'ai rencontré beaucoup d'étudiants dans mon métier. Barakat, et bien que ce soit son premier rôle (et je lui en souhaite d'autres), a une qualité que beaucoup d'acteurs n'ont pas : écouter et voir avec le cœur. »

Julia Kassar a toujours eu cette peur de « bien faire, pas plus », d'être honnête avec son travail. Elle n'a jamais cherché à être une star, mais à être mieux. « Qu'on le veuille ou non, on évolue, on entasse de la maturité. Je n'aime pas regarder en arrière mais foncer. Avec tout ce que cela comporte comme risques. »
Même si l'actrice dit aimer le théâtre pour le contact avec le public et la diversité des rôles, tantôt dramatiques, tantôt comiques (elle vient de jouer après quatre ans d'absence dans une pièce de Roy Dib à Charjah), elle se dit pourtant être fascinée par le cinéma. « Parce que les films restent dans la mémoire collective. Ils s'inscrivent dans l'histoire du cinéma. Dès lors qu'ils sont nés, ils auront de multiples naissances, et chaque fois que quelqu'un les verra, il les refera naître. » Ce sera le cas pour ce film Rabih, si sensible et ancré dans la réalité et qui sera certainement unique et multiple.

 

(Pour mémoire : Un festival qui donne la voix à ceux qui n’en ont pas)

 

 

Barakat Jabbour : L'essentiel est de témoigner

Depuis l'âge de deux ans, Barakat Jabbour joue de la darbouka. Élevé à l'école de aveugles et des sourds à Baabda, il apprendra par la suite à jouer de onze autres instruments dont l'orgue, le piano, la flûte, le saxo et la clarinette. Barakat Jabbour est un jeune homme de vingt-cinq printemps, aux capacités réduites, en d'autres termes, un malvoyant. Il fait partie de la chorale de l'école et de cette troupe musicale qui parcourt le monde dans le cadre de tournées internationales.

Lorsque Vatché Boulghourjian l'approche pour lui donner le rôle principal de Rabih, il ne sait pas encore que c'est le plus beau cadeau qu'il puisse lui offrir. « Comme un tournant dans ma vie, dira Barakat Jabbour. C'était pour moi l'occasion rêvée de m'affirmer au monde et de montrer que nous autres, malgré nos capacités réduites, nous sommes capables de faire un tas de choses et que nous ne demandons pas un regard de pitié mais une simple attention. » C'est ainsi que le metteur en scène et son épouse Cynthia Zaven sauront saisir cette occasion et verront en Barakat Jabbour un jeune homme aux multiples talents. « Vatche et Cynthia m'ont rencontré la première fois durant une messe à Deir el-Salib. Ils ont aimé ma voix. Ils sont venus par la suite à l'école de Baabda pour faire le casting. En Vatche Boulghourjian, j'ai perçu un être humain, un frère et un ami, aux valeurs rares et en voie de disparition. Tandis qu'en Cynthia Zaven, une directrice musicale sensible, au grand talent et une collaboratrice qui a su mélanger les harmonies musicales de manière à en faire une symphonie expressive et accessible. »

Le metteur en scène de Rabih dira à ce propos : « J'ai voulu choisir un vrai aveugle pour le rôle principal de Rabih. J'ai voulu capter toute la complexité de la vie d'un malvoyant au quotidien, et mon choix s'est porté sur une personne atteinte d'une cécité complète plutôt que sur un jeu d'acteur. Je voulais coller le plus possible à la réalité et dépasser le cadre de la pure fiction. Pendant que Jabbour apprenait le jeu d'acteur, de mon côté je pénétrais davantage le monde de la cécité. » Il était donc important pour Barakat Jabbour de jouer ce rôle et de prouver à Vatche qu'il a eu raison d'avoir placé sa confiance en lui. « Je l'ai fait non pour l'amour du cinéma, dira-t-il, mais pour briser les préjugés.« Ce rôle prouve que mes amis et moi, qui avons grandi dans l'amour de l'art à l'école de Baabda, pouvons être traités sur le même pied d'égalité que les voyants et pouvons changer le regard du monde sur nous. »

Et de poursuivre : « Tout comme dans le film, je suis à la quête de mon identité, mes repères et ma place dans la société. Vatche a fait un film social, pas simplement local, mais à thème universel, différent des films routiniers. J'ai eu également la chance de travailler avec Julia Kassar, une grande actrice qui m'a appris la modestie. Animé par la foi en Dieu, je sais qu'il faut beaucoup lutter pour arriver. Le Tout-Puissant a mis des gens de bonne volonté sur mon chemin, qui ont cru en moi : d'abord mon école à qui je dois beaucoup, ensuite Vatche et Cynthia qui m'ont aidé à me mettre en avant », conclut-il. Après cette expérience, Barakat Jabbour se prépare à monter une pièce, L'amour aveugle, qui sera jouée à l'école des Besançons fin mai.
Rabih aura été pour lui un nouveau printemps plein d'espoir.

 

Pour mémoire

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